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Les métamorphoses trompeuses de la Grande Mère : l'archétype de Mishima
L'archétype de Mishima dans la culture japonaise d'après-guerre est le plus haut exemple de dialectique subtile, dans laquelle la combinaison particulière du libéralisme moderniste incorporé à un certain nombre d'aspects matriarcaux du shintoïsme est devenue clairement évidente. Ainsi, une nouvelle culture japonaise a été construite, dans laquelle tout ce qui était proprement japonais, lié à l'identité japonaise authentique, était interdit, perverti ou remplacé. Cette culture, qui a donné des noms brillants dans la littérature, le cinéma, la musique, etc., était fondée sur la dégradation rapide de l'esprit traditionnel japonais, sur la désintégration profonde des symboles célestes, dissipant tout de manière entropique en particules infiniment petites. C'était une culture en déclin qui fascinait l'Occident en grande partie pour son exotisme, sa rapidité et son originalité. Les intellectuels japonais de l'après-guerre qui ont décidé d'"attendre un peu plus longtemps..." ont rendu cette situation d'autant plus douloureuse et perverse.
En ce sens, le célèbre réalisateur japonais Takashi Miike peut être considéré comme un exemple vivant de la culture japonaise moderne, reflétant la structure de son état actuel, quelqu'un qui a réalisé de nombreux films de genres différents, mais qui, dans beaucoup d'entre eux, a réussi à refléter les principales lignes de force qui traversent le Japon moderne. Un européanisme méfiant à l'égard de l'ethnologie et de l'écologie d'Akira Kurasawa, et même le paradoxe tragique de Takeshi Kitano chez Miike est dépassé par les formes les plus extrêmes d'expression de l'absurdité, de la cruauté et de la dégénérescence. La société japonaise de Miike n'est pas seulement une société extrêmement dégénérée, c'est une société qui n'existe pratiquement pas, qui est devenue son propre simulacre, une illustration du postmodernisme japonais. L'Occident a pénétré au cœur de la culture japonaise, a détruit tous ses liens organiques, a coupé toutes ses chaînes sémantiques, et les "déchets de Nipponcity" sont apparus au grand jour sous forme de sadisme, de cruauté, d'effondrement de la famille, de dégénérescence, de mafia, de perversion, de corruption, de pathologie et, en même temps, d'ethnocentrisme, dont tous les films de Miike sont empreints.
Le méchant yakuza
Chacun des films de Miike reflète les deux faces de la morbidité de la société japonaise. Toute la série de films Yakuza est une représentation grotesque de groupes pseudo-samouraïs, militants, extrêmement masculins, qui se distinguent par une cruauté excessive, une indifférence morale absolue et, en même temps, sont profondément engagés dans la décomposition du système social japonais, où la corruption, l'immoralité et la folie sont devenues une norme universellement reconnue.
Miike dépeint ses héros la plupart du temps dans un contexte surréaliste, où l'absurde atteint son paroxysme, où les yakuzas, la police, les gens ordinaires et les héros aléatoires se confondent dans une continuité de démembrements sanglants, de perversions de toutes sortes, de cruauté injustifiée, complètement dépourvue de motivation, dans le contexte de laquelle la voie du samouraï et l'éthique militaire deviennent une parodie totalement dénuée de sens.
Un exemple impressionnant de la façon dont le genre populaire du film japonais Yakuza de Miike (dans une version beaucoup plus sobre, représentée par une série d'œuvres d'un autre célèbre réalisateur japonais Takashi Kitano) se transforme en une illusion surréaliste peut être le film Yakuza Horror Theatre : Gozu (2003) et le feuilleton Multiple Personality Detective Psycho (2000), où les thèmes classiques de Miike deviennent un mélange de pathologie délirante et de découvertes postmodernes absurdes.
La cruauté très douloureuse et sanglante, ainsi que l'intrigue intelligible qui peut en rationaliser au moins une partie, deviennent des contenus indépendants dans des films comme Ichi the Murderer (2001) ou Izo (2004). Dans le film Ichi l'assassin, Ichi, un jeune homme souffrant d'un retard mental et dépourvu d'émotions, tue inutilement, par ordre ou par accident, tous ceux qui l'approchent à l'aide de lames tranchantes ; le film Izo offre une version surréaliste d'un personnage historique réel, le samouraï Izo Okada (1832-1865), qui devient un esprit immortel de destruction selon Miike, et qui renaît périodiquement avec un seul objectif : l'extermination totale de tous ceux qui se trouvent sur son chemin. En même temps, la position de Miike dans l'interprétation des personnages dépeints et de ses actions reste strictement neutre : il décrit tout ce qui se passe avec précision et exactitude documentaire, sans se soucier le moins du monde de la façon dont le public l'évaluera. En règle générale, les spectateurs le considèrent comme tout à fait approprié : dans la postmodernité, le sens a été aboli, et la seule forme d'interprétation reste le fait même de la contemplation et du suivi assidu de chaque rebondissement, sans signification, pour tout rejeter de la tête au moment de quitter la salle de cinéma ou du déroulement du générique de fin du spectacle.
Zebraman : un vol vers nulle part
Avec la même neutralité et la même ponctualité soulignées, Miike interprète d'autres thèmes : en particulier, la désintégration complète de la famille japonaise et la disparition des saisons et des relations sociales classiques, avec le film Visitor Q (2001) ou Lebonheur desKatakuris (2001) ; la criminalisation radicale des écoles japonaises et l'autonomisation de l'archétype de l'adolescent, privé des procédures pour grandir dans les conditions de l'individualisme libéral, avec Crows Zero (2007) et Crows Zero 2 (2009) ; la transformation du Japon en décharge industrielle et des Japonais en ses habitants dans Shangrila (2002), etc.
Il est particulièrement nécessaire de souligner l'attrait de Miike pour les intrigues mythologiques et archétypales, parfois présentées de manière délibérément enfantine à l'aide d'une stratégie postmoderne réflexive. Dans la série de films Dead or Alive, il s'agit donc de la réincarnation de deux anges punisseurs qui détruisent le capitalisme corrompu.
Les films Zebraman (2004) et Zebraman 2 (2010) dépeignent le mythe de Kirin, la version japonaise de Qilin, la licorne jaune, symbole des logos chinois, qui incarne la figure grotesque d'un enseignant pathétique qui croit aux bandes dessinées et tente de voler dans le ciel comme des surhommes et des héros qui sauvent l'humanité.
La Grande Mère
Le très subtil film Audition (1999), qui est devenu l'un des films les plus célèbres de Miike, est consacré à l'horreur primitive associée à l'élément sombre du féminin, où sous le masque d'une jeune fille fragile se cache une essence sadique au sang profond qui recherche la tromperie, le meurtre, la torture, le démembrement et la mort de tout ce qui croise son chemin.
Ces métamorphoses trompeuses de la Grande Mère, présentées de manière saisissante dans Audition, reflètent le diagnostic le plus précis de l'état moderne de la civilisation japonaise : sous l'innocence et la précision technologique présentées par le type d'adolescent japonais, se cache un abîme de décadence, de vice, de dégénérescence et de destruction, à la contemplation duquel la conscience collective de la société japonaise tente d'échapper par tous les moyens possibles, mais qui la dépasse dans l'art et les instincts psychologiques, les recouvrant également d'une vague d'horreur totale. Dans Audition, vous pouvez lire la version contemporaine postmoderne de l'histoire de la visite d'Izanagi dans le pays de Yomi et de sa rencontre fatale avec Izanami en enfer.
Les Chinois volants
L'attitude de Takashi Miike à l'égard du monde qu'il représente est assez difficile à comprendre, car il a réalisé de nombreux films, parfois très différents et avec des attitudes idéologiques différentes, unis uniquement par l'indéniable postmodernisme stylistique du réalisateur ; mais la clé de sa position se trouve dans le film Le peuple oiseau enChine (1998) (Tugoku no tojin - 中人 のコ), dans lequel, plus franchement que dans d'autres films, il révèle une idéologie personnelle soigneusement cachée. Dans ce film, deux mondes, le Japon et la Chine, s'opposent de manière très transparente, mais pas en tant que phénomènes sociaux, mais en tant que deux espaces symboliques. Le Japon est représenté par le fonctionnaire naïf et impuissant Wada et un Yakuza d'âge mûr envoyé à la recherche d'un trésor dans les montagnes abandonnées de Chine. Tous deux sont présentés comme les représentants d'une civilisation complètement décadente, sans valeurs morales ou religieuses, sans vision du monde, sans identité personnelle positive, agissant en vertu de l'individualisme et de l'inertie dictés par l'influence des circonstances matérielles. C'est le Japon typique de Miike, une sorte d'anti-Japon, son double-noir moderne d'après-guerre.
Une fois en Chine, les héros n'arrivent pas dans une société socialiste, mais se retrouvent dans un environnement naturel habité par un groupe ethnique totalement épargné par la modernité et vivant dans des conditions de valeurs simples, claires et transparentes, de mythes, de tradition céleste et de sincérité. Le noyau principal des mythes de ces habitants d'un petit village perdu, où les Japonais arrivent avec beaucoup de difficultés sur les tortues d'eau, se trouve dans la légende du "peuple volant".
Miike donne une explication rationnelle dans l'esprit du matérialisme sceptique : il s'agit des souvenirs des événements de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'un pilote américain s'est écrasé près du village ; les villageois, après avoir vu l'avion pour la première fois, ont décidé qu'il s'agissait d'un homme volant, d'autant plus que le pilote tombé a survécu et a laissé des descendants parmi les habitants, une fille d'apparence européenne qui est considérée, néanmoins, comme une parfaite femme chinoise. Peu à peu, les Japonais tombent sous le charme direct des habitants, oublient les objectifs pragmatiques pour lesquels ils ont été envoyés et commencent à croire aux "Chinois volants". Les habitants eux-mêmes n'abandonnent pas leurs tentatives de décoller du sol, portant toujours des ailes artificielles et sautant depuis les pentes des montagnes. À un moment donné, les Japonais se joignent à eux : d'abord le directeur Wada, puis les yakuzas, plus sceptiques, mais naïfs et animés. Le film culmine dans des scènes de sauts désespérés par les Japonais eux-mêmes, et dans les dernières scènes, nous voyons une figure humaine volant haut dans le ciel avec des ailes artificielles.
L'ontologie chinoise est un être flottant fondé sur la "magie du souffle" (M. Granet). Le film de Miike représente cela littéralement et visuellement. Dans le contexte de l'après-guerre, le Japon est perçu comme un royaume de la mort et de la terre, de la gravité et de la décadence. Une telle topologie comparative s'inscrit parfaitement dans notre cadre noologique : le logos chinois, avec le Tao et le bouddhisme Mahayana, surtout dans la tradition Ch'an, est devenu la composante la plus importante de la culture japonaise à travers la " fascination pour la Chine ", qui est le début le plus important de toute l'histoire du Japon (selon L. Frobenius, la culture/pideuma commence par " l'obsession ", la " fascination ", l'Ergriffenheit).
L'émergence de la synthèse nippo-chinoise, correspondant au dialogue actif et significatif du bouddhisme et du confucianisme avec le shintoïsme, les traditions locales et la dynastie impériale japonaise qui a conduit à l'incarnation finale du logos japonais, où dans la structure de l'ellipse japonaise l'attention zen a activement soutenu et renforcé l'approche shintoïste, tandis que tout ce qui est chinois a fondé et éclairé tout ce qui est japonais. C'est la deuxième phase du paideuma japonais, toujours selon L. Frobenius, la phase d'"expression" (Ausdruck). La troisième phase a été la division des Japonais et des Chinois pendant l'ère Meiji, et après la dernière tentative de renaissance et la révolution conservatrice pendant le "zen impérial" (l'école de Kyoto, certaines formes de nationalisme japonais dans la première moitié du 20e siècle), la défaite dans la Seconde Guerre mondiale, l'effondrement du Logos, dont seuls les moments techniques appliqués et restés (Anwendung).
Par conséquent, le voyage des Japonais en Chine chez Miike devient un moyen de retourner à leur patrie spirituelle, aux origines de la fascination. Le Chinois volant pour le Japon est une indication clé de l'époque où existait le Japonais volant, dont l'écho tragiquement douloureux et ironique, son double/simulacre, est le héros zebraman ; mais cette idéologie, qui est le code principal de Miike, contraste trop avec la réalité - métaphysique, sociale, politique, culturelle et stylistique, c'est pourquoi, apparemment, le réalisateur n'a pas osé développer ce thème tragique et dangereux, qui a le potentiel de répéter le chemin de Yukio Mishima - avec la même fin, prévisiblement triste et, pire, simulée. L'ombre de Mishima plane sur tous les vrais artistes japonais, et même les meilleurs ne peuvent pas dépasser les limites de cet archétype, et les libéraux conformistes ne veulent même pas essayer.
Cela prédétermine le postmodernisme amer et ironique de Miike et d'autres réalisateurs proches de lui, comme Shinya Tsukamoto, auteur de films extrêmement absurdes sur la fusion d'un homme avec une machine (développement postmoderne du thème de Mishima - "le corps et l'acier") Tetsuo - L'homme de fer (1989) et même Les aventures deElectric Rod Boy (1987), Tokyo Fist (1995) ou Takashi Shimitsu, qui a réalisé Marebito (2004) et Ju-On (2002) avec plusieurs suites. Le Japon se déplace progressivement dans l'espace d'un autre monde, où la frontière entre le mécanisme et l'homme, entre les vivants et les fantômes, entre la raison et la chute en cascade dans l'irrationnel, s'éloigne.
Le port du shintoïsme
Toutes ces peintures dépeignent les plans inférieurs du cosmos shinto, où la saturation du sacré est encore clairement ressentie (et c'est là la différence fondamentale avec le postmodernisme américain ou européen, dont le sacré a été expulsé au début de l'euro-modernisme), mais toute cohérence, aisance, ordre, contrainte et spiritualité sont irrémédiablement perdus. C'est la double ombre du Japon, de son peuple et de sa civilisation, immergés dans le pays des racines, Yomi, jusqu'au fond de l'univers shintoïste au stade de son dernier refroidissement. Le surréalisme postmoderne japonais n'est donc rien d'autre qu'un réalisme "photographique" fiable, une réplique exacte de l'état du logos japonais, qui se trouve au stade final de sa décomposition et de son naufrage.
Le 21 mai 1265, Dante Alighieri naquit en Italie, mais en Occident, cette date n'est plus célébrée.
Aujourd'hui, ce serait tout simplement dangereux de la célébrer. Comment cela se fait-il, me direz-vous? Dante est le symbole de la poésie occidentale, un classique mondialement connu. C'est vrai. Mais ce génie médiéval italien n'a pas non plus été épargné par la guillotine du politiquement correct.
Lorsque la Divine Comédie est tombée entre les mains de défenseurs des droits de l'homme, de libéraux et de mondialistes enragés, ils ont jugé l'œuvre de Dante ‘’politiquement incorrecte’’. Et c'est tout. Pas de Dante. Il est devenu une autre victime de la nouvelle culture politique. Désormais, ses œuvres ne peuvent être imprimées qu'avec des coupures et avec la mention que leur contenu est non politiquement correct.
Techniquement, Dante a fait placer le fondateur de l'Islam dans une partie pas très agréable de l'espace sacré. Et les libéraux, qui ne se soucient généralement pas de l'Islam, ni d'aucune religion traditionnelle d'ailleurs, ont soudainement décidé qu'une telle lecture pourrait avoir un effet négatif sur le psychisme des migrants originaires de pays islamiques. Et qu'ils doivent en être protégés afin de ne pas provoquer des accès d'agressivité imprévisibles.
Cela semble absurde, mais dans notre monde, presque tout semble absurde. Il est temps de s'y habituer.
Ici, tous les protagonistes de cette censure sont dans la position de l’idiot complet :
Les censeurs eux-mêmes (tout d'abord, on peut imaginer le vieux Soros accompagné de la petite Greta Thunberg feuilletant La Divine Comédie, soulignant les endroits suspects) ;
et les Européens, qui doivent maintenant se repentir non seulement du colonialisme et du meurtre du junkie Floyd, mais aussi de Dante ;
et les musulmans eux-mêmes, qui semblent si faibles d'esprit qu'ils sont incapables d'apprécier la distance qui sépare le Moyen Âge chrétien de l'Europe moderne, et prennent tout au pied de la lettre et réagissent immédiatement de manière brutale - comme des maniaques incontrôlables.
Mais il est clair que la localisation de Mahomet dans l’œuvre de Dante n'est qu'une excuse. Dante est l'encyclopédie du Moyen Âge européen, le grand monument de la théologie, de la philosophie, de la poésie, de la culture. Dante est l'apogée de l'esprit chrétien de l'Europe occidentale du moyen-âge, le chantre solennel de l'Empire, de la religion et de l'amour chevaleresque. De nombreuses générations d'Européens se sont inspirées de Dante pour former leur personnalité. Selon les modèles posés par Dante, les héros de l’Europe ont construit leur destin et leur vie. Fideli d'amore - Fidèles d'Amour. Dante a exprimé les idéaux de cette société courtisane chevaleresque de l'élite aristocratique chrétienne.
C'est pour cela que Dante est exécuté aujourd'hui. Il est le porteur d'une autre Europe - une Europe de l'esprit et de l'idée, de la foi et de l'honneur, du service et du grand Amour. Les gouvernants modernes de l'Europe détestent tout cela farouchement. C'est pourquoi ils interdisent Dante, le retirent des programmes d'enseignement, l'accusent de manquer de tolérance et le soumettent à la honte.
L'Europe détruit ses fondations, érode ses piédestaux, jette hors de leurs tombes les reliques impérissables des génies.
Nous ne devons en aucun cas nous engager dans cette voie. Il s'agit de protéger non seulement nos génies russes, mais aussi les grands penseurs, artistes et poètes d'Europe. La Russie n'a jamais été un pays européen, mais nous avons toujours été capables d'apprécier la grandeur européenne - la pensée, l'art et le génie. Même si les Européens ne nous comprenaient pas, nous les comprenions. Et nous avons respecté ce qui était admirable chez eux. Aujourd'hui, alors que les Européens jettent le grand Dante à la poubelle de leur civilisation effondrée, il est grand temps de l'élever et de l’inscrire sur notre bannière.
Dante est à nous. Nous le connaissons, l'honorons, le lisons, l'enseignons et le comprenons. Sans le vouloir, la Russie se retrouve dans le rôle de gardien et de protecteur des valeurs européennes, mais des valeurs, et non des résultats de la décadence européenne, de la décadence et de la dégénérescence. Le libéralisme et la mondialisation ne sont pas encore le lot de toute l'Europe. De plus, c'est l'Anti-Europe. Par conséquent, en les adoptant, l’Europe renonce à ses racines. Nous n'abandonnons pas les nôtres. Et les génies européens sont proches de nous.
L'amor che move il sole e l'altre stelle
Nous devons être des Fidèles d'Amour.
Et si l'Amour s'épuise, qu'est-ce qui fera bouger le soleil et les étoiles ?
Contre le Grand Reset ! Vers la culture politique du Grand Réveil !
par Alexandre Douguine
QU’EST-CE QUE LE « GRAND RESET » ?
Les Cinq Points du Prince Charles
Au Forum de Davos en 2020, son fondateur Klaus Schwab et le Prince Charles de Galles ont proclamé une nouvelle orientation pour l’humanité — le Grand Reset. Le plan, annoncé par le Prince de Galles, consiste en cinq points :
1. Captiver l’imagination de l’humanité. 2. Rétablissement économique après la pandémie du COVID-19, ce qui devrait conduire au début du « développement durable ». 3. Transition vers une économie non-pétrolière au niveau mondial. 4. Science, technologie et innovation doivent recevoir une nouvelle impulsion pour le développement. 5. Il est nécessaire de changer la structure de l’équilibre des investissements. La part des investissements verts doit être augmentée.
Ce programme est en fait devenu l’idéologie de l’élite libérale globale. Joe Biden et son administration sont arrivés à la Maison Blanche sous ces slogans.
Si nous écartons la rhétorique humaniste et l’accent mis sur l’écologie (qui est précisément la lubie du Prince Charles), alors le programme de la nouvelle phase de globalisation et le plan d’action de l’élite internationale dans l’ère Biden sont réduits à ce qui suit :
Il est nécessaire de subordonner complètement la conscience de l’humanité aux idées libérales-globalistes. Cela peut être atteint par le contrôle complet des médias, des réseaux sociaux, de l’éducation, de la culture, de l’art, où les nouvelles lois sont établies – politique du genre, glorification des minorités – sexuelles, ethniques, biologiques (exaltation de la laideur corporelle comme idéal de beauté et d’harmonie). En même temps, les Etats nationaux sont diabolisés, et les structures supranationales, au contraire, sont exaltées de toutes les manières possibles.
Le « développement durable » (le projet du Club de Rome) implique une réduction de la population du globe (puisque les limites de croissance sont atteintes). D’où le lien avec la pandémie du COVID-19, ainsi que la mise en garde de l’OMS sur la probabilité de nouvelles pandémies.
Le refus du pétrole vise à frapper un coup contre l’économie de la Russie, d’un certain nombre de pays islamiques et d’Amérique Latine (principalement le Venezuela), qui sont les piliers de l’ordre mondial multipolaire. La même tactique fut utilisée par les Etats-Unis dans la dernière période de l’URSS, ce qui abaissa artificiellement le prix du pétrole.
« Développement technologique » signifie encore plus de numérisation avec l’introduction du contrôle total et de la surveillance totale des citoyens, le transfert d’un certain nombre de fonctions à l’« Intelligence Artificielle forte », l’accélération des technologies de bio-ingénierie, la production de masse des robots, la promotion des projets de mutation génétique et des projets de croisements d’espèces (ainsi que le « croisement » des humains et des machines).
Il est nécessaire de continuer et d’accélérer la désindustrialisation de l’économie, de déplacer les bulles financières accumulées dans le domaine vague et opaque de la « production écologique » avec la monétarisation simultanée de l’environnement lui-même et sa transformation en capital.
En même temps, les globalistes croient que l’arrivée des Démocrates à la Maison Blanche et la diabolisation de Trump et des conservateurs qui le soutenaient créent les conditions idéales pour un nouveau tour de globalisation et d’application de ce programme. De plus, la globalisation a manifestement piétiné durant les dernières décennies, et l’ordre multipolaire alternatif basé sur la montée de civilisations indépendantes – russe, chinoise, islamique, etc. – est graduellement devenu une réalité irréversible. Par conséquent, les globalistes n’ont simplement pas le temps : c’est maintenant ou jamais.
Voilà ce qu’est le « Grand Reset ». Et il a commencé.
Brève histoire du libéralisme
Si nous regardons les principaux stades de l’idéologie libérale, nous comprendrons que le « Grand Reset » n’est pas quelque chose de fortuit et de transitoire. La globalisation est le résultat logique de l’histoire mondiale, telle qu’elle est comprise par la pensée libérale.
Le libéralisme est une idéologie qui se concentre sur la libération de l’individu vis-à-vis de toutes les formes d’identité collective.
Cela commença avec la Réforme Protestante et l’abolition des états médiévaux [= clergé, noblesse, tiers-état]. Le résultat fut une société bourgeoise où tous étaient égaux – mais seulement en théorie et en termes d’opportunités. Mais ce fut une grande avancée aux yeux des libéraux.
Les Etats-nations modernes émergèrent sur les ruines de l’Empire européen et du pouvoir du Pape – à nouveau, des individus (mais sous la formes d’Etats) furent libérés de l’identité collective (les identités catholique et impériale). Mais le progrès libéral ne s’arrêta pas là.
Les philosophes Locke et Kant décrivirent le projet de « société civile », où les Etats-nations devaient être abolis. Les individus pouvaient théoriquement s’en sortir sans eux. Ainsi surgit la philosophie du cosmopolitisme, qui présuppose l’abolition des Etats-nations et (comme idéal) la création d’un Gouvernement Mondial. Ce fut la naissance du mondialisme – bien qu’en théorie.
Adam Smith formula les fondements du libéralisme en économie, soulignant la nature internationale du marché. Dans cette théorie libérale, le développement du capitalisme présupposait la disparition graduelle des Etats, et en fin de compte, le remplacement complet de la politique par l’économie, c’est-à-dire le marché.
La théorie critique du marxisme émergea au XIXe siècle, qui opposait la théorie des classes à l’individualisme libéral. L’idée de progrès était vue différemment ici, bien que les marxistes s’accordaient aussi sur la nécessité de la mort des Etats (l’internationalisme). Au XXe siècle, des idéologies de nationalisme extrême (le fascisme), contestant à la fois le libéralisme et le communisme, surgirent. Elles mettaient en premier le principe de la nation (l’Etat pour les fascistes, la race pour les nationaux-socialistes).
La défaite du fascisme en 1945 élimina cette idéologie de l’agenda, et l’image du futur fut disputée entre les libéraux et les communistes. Ce fut la signification idéologique de la Guerre Froide.
En 1991, l’Occident libéral finit par gagner. L’URSS s’effondra, et la Chine communiste se lança sur le chemin du développement du marché.
C’est alors que la « fin de l’histoire », c’est-à-dire la victoire finale du libéralisme, fut proclamée. Cependant, après un examen plus attentif, il s’avéra que les libéraux n’avaient pas aboli deux types d’identité collective – l’identité sexuelle (le genre) et l’identité humaine elle-même. Cela signifiait que de nouveaux obstacles se trouvaient sur la route du progrès libéral. C’est pour cela que depuis les années 90 du XXe siècle, la politique du genre est venue au premier plan. Sa signification n’est pas seulement la tolérance pour les pervers et le féminisme radical qui restaure l’égalité des genres. D’après les progressistes libéraux, le genre devrait devenir une question de choix individuel – comme auparavant la religion, la profession, la nationalité, etc. Sinon, le « progrès » ralentirait. D’où les couples transgenres et gays dans l’administration Biden. Ces normes de la correction politique sont les signes de la victoire sur le tournant conservateur qui était presque arrivé sous Trump.
Maintenant la démocratie a fini par être définie comme le pouvoir des minorités, dirigé contre la majorité (manifestement une majorité « criminelle » qui est capable de choisir Trump ou… Hitler à tout moment, sous l’influence des sentiments populistes). Trump tenta désespérément de défendre l’ancienne compréhension de la démocratie, mais fut renversé. Il a été « annulé » [« canceled »] comme l’ont été les autres figures, mouvements, et pays entiers se trouvant sur la route du « Grand Reset » – le dernier stade du mouvement du libéralisme vers son triomphe historique.
Et les libéraux ont un dernier problème devant eux – l’abolition de l’humanité, la politique du post-humanisme. La libération vis-à-vis de l’identité collective requiert l’abolition du genre et de l’espèce. Les futurologues libéraux font déjà l’éloge des nouvelles possibilités des post-humains – la fusion avec la machine multipliera la force du corps, de la mémoire, et aiguisera les sens ; l’ingénierie génétique mettra fin aux maladies ; la mémoire peut être stockée sur un serveur « cloud » ; l’humanité peut se connecter à la machine et atteindre l’immortalité.
Le « Grand Reset » est le triomphe de l’idéologie libérale à son stade le plus élevé, à son stade de globalisation.
Et tous ceux qui s’opposent à un tel agenda sont déclarés « ennemis de la société ouverte ». Ils sont invités à capituler volontairement. Sinon, tout le monde progressiste – avec ses finances illimitées, son potentiel technico-militaire et sa capacité inépuisable de contrôler l’« imagination de l’humanité » – leur tombera dessus.
Ainsi, le « Grand Reset » est la dernière note du progrès humain, tel qu’il est compris par la pensée libérale. Maintenant toute l’humanité est libre – libre d’être libérale.
Mais il faut noter qu’en même temps elle n’est pas libre de ne pas être libérale. Si un « illibéral » ou un « pas assez libéral » est repéré quelque part, le système punitif est lancé automatiquement.
Grand Réveil
Durant la féroce campagne électorale aux Etats-Unis, les supporters de Biden – les partisans du « Grand Reset » – utilisèrent tous les moyens contre leur adversaire Trump, incluant les moyens prohibés. Ils allèrent même jusqu’à appliquer les méthodologies des « révolutions de couleur » à l’intérieur des Etats-Unis – des méthodologies qui étaient auparavant exportées. Une telle détermination à la limite de l’infamie en dit long sur l’importance des enjeux. Les globalistes sont bien conscients que si leurs défaites et leurs échecs continuent à s’accumuler, toute l’histoire du libéralisme, longue de cinq cent ans, s’effondrera. Un monde multipolaire – vers lequel Trump, étant critique de la mondialisation, gravitait instinctivement – ne laisserait aucune chance aux libéraux. Ils jetèrent donc leurs masques, abandonnèrent les principes de la « vieille démocratie » et poussèrent Biden à la Maison Blanche, sans aucune considération de décence, des procédures et des règles.
Les supporters de Trump savaient à quelle force puissante et maniaque ils avaient affaire depuis sa première campagne électorale. Les Démocrates, conduits par la logique du mondialisme, étaient prêts à sacrifier les institutions américaines traditionnelles et la démocratie elle-même. Et c’est contre cela que les trumpistes mettaient en garde depuis 2016.
Bien sûr, il est difficile pour les citoyens ordinaires de comprendre tout l’arrière-plan sinistre de l’idéologie libérale, qui mène immanquablement et consciemment à la destruction de l’humanité, à son « dépassement ». Cela est difficile à croire, ce n’est pas facile de parvenir à la vérité. Spécialement pour ceux qui ont été élevés sous l’influence de la démocratie libérale, à l’intérieur du système capitaliste et sous la profonde introduction d’une culture mondialiste. Et pourtant l’épiphanie a commencé.
C’est ainsi que la thèse du « Grand Réveil » est née. Ce slogan fut mis en avant par les supporters de Trump, qui devinrent les premières victimes du nouveau totalitarisme libéral à venir. Leurs initiatives furent immédiatement censurées, leurs comptes sur les médias sociaux furent supprimés, et même les références à eux furent effacées des systèmes des géants technologiques – Twitter, YouTube, Google, Facebook.
Tout d’abord, cela affecta seulement les adversaires les plus bruyants des globalistes et les supporters de Trump. Mais à mesure que la campagne électorale s’envenimait, des cercles de plus en plus larges devinrent les victimes de la culture de l’« annulation » et du « deplatforming ». Jusqu’à ce que les globalistes appliquent finalement leurs méthodes au président US lui-même – Donald Trump.
Ce fut le moment du « Grand Réveil ». Maintenant la vraie nature des mondialistes a été comprise non seulement par les plus lucides et les plus irréconciliables, mais aussi par de vastes sections de la société américaine.
Ceux qui avaient voté pour Trump furent presque identifiés à des « fascistes » dans la dictature libérale établie. C’est ainsi que fonctionnent les lois du « Grand Reset » : quiconque n’est pas avec nous est un « fasciste », et il est possible – et même nécessaire ! – de traiter un « fasciste » de la manière la plus cruelle. Et cette fois, cette catégorie inclut non seulement les vrais conservateurs, qui ont toujours eu des réserves vis-à-vis des libéraux, mais aussi des libéraux, les citoyens américains ordinaires qui n’avaient pas eu le temps de s’adapter aux nouveaux critères du « progrès libéral ». Ils n’ont pas encore compris que la liberté est la liberté des minorités, et que les paramètres de cette liberté – c’est-à-dire ce qui peut être dit et fait, et ce qui ne peut absolument pas être fait (les normes du politiquement correct) – sont strictement établis par les élites libérales.
Le « Grand Réveil » est le fait de comprendre que dans la période de la mondialisation, le libéralisme moderne s’est transformé en une vraie dictature, est devenu une idéologie totalitaire qui dénie – comme tout totalitarisme – le droit d’avoir un point de vue différent du point de vue dominant. C’est très similaire au début d’une nouvelle guerre civile aux Etats-Unis. Mais cette fois, ses camps sont différents : les supporters du « Grand Réveil » contre les supporters du « Grand Reset ».
A la veille d’une grande confrontation
Les Etats-Unis sont la première puissance du monde. Ce qui s’y passe concerne toute l’humanité. La victoire de Joe Biden et des architectes du « Grand Reset » derrière lui signifie que le monde est entré dans une nouvelle phase. Les globalistes sont déterminés à mener à bien ce qu’ils ont régulièrement échoué à faire durant les deux dernières décennies. D’abord le 11 septembre, puis Poutine, puis la Chine sous Xi Jinping, puis l’Iran, puis la Turquie, puis Trump. Et si les échecs continuent, le mondialisme risque de s’effondrer finalement. Le « Grand Reset » doit se faire maintenant ou jamais.
Et beaucoup d’élites d’orientation libérale dans divers pays – en Occident tout comme en Orient (incluant la Russie, bien sûr) – seront mobilisées par le mondialisme pour prendre une part active au projet de « Grand Reset ». Cela signifie qu’un front externe ainsi qu’un front interne vont être ouverts contre les supporters de la multipolarité, de la souveraineté et d’un ordre mondial polycentrique. Et ici commencent la pression externe de la part de la démocratique Washington et de l’OTAN sous son contrôle et le sabotage interne de la cinquième colonne et des élites libérales à l’intérieur des structures administratives des Etats.
Le début d’une série d’opérations de changement de régime, une nouvelle vague de « révolutions de couleur » et la manipulation des conflits régionaux devraient s’ajouter à cela. Maintenant toute la force du sabotage global contre ceux qui n’ont pas pris le parti du « Grand Reset » va travailler à plein régime.
Il est évident que la Russie – du moins la Russie de Poutine, la Russie souveraine, indépendante et libre – appartient aux rangs du « Grand Réveil ».
Pour que cela devienne un fait irréversible, il faut faire un dernier effort. La moitié de la Russie s’est réveillée il y a vingt ans. Et ensuite elle commença un retour difficile mais généralement réussi (bien que prolongé) à l’histoire en tant que sujet de la politique mondiale, et non pas comme objet (comme dans les années 90 du XXe siècle). Mais l’espace pour un compromis avec les mondialistes est complètement épuisé. Nous n’avons qu’une option – nous réveiller complètement et non seulement prendre une part active au « Grand Réveil », mais – ce qui serait souhaitable et digne de l’échelle de notre histoire et de notre esprit – aussi le diriger.
Préalablement traduit en anglais par Cyrill Strelnikov, blogueur, observateur politique
Il faut encore une fois saluer l’excellente initiative éditoriale d’Ars Magna qui a sorti dans la collection « Heartland » en novembre 2020 Les templiers du prolétariat d’Alexandre Douguine (467 p., 32 €).
Cet ouvrage au titre quelque peu énigmatique paraît en Russie en 1997. Il correspond à la phase activiste de son auteur. Avec l’écrivain et ancien dissident Édouard Limonov, Alexandre Douguine cofonde le Parti national-bolchevik, fer de lance de l’opposition nationale-patriotique à la présidence détestable de Boris Eltsine.
Par « templiers du prolétariat », Alexandre Douguine entend une avant-garde, une fraternité militante qui s’engage en faveur du « travailleur […] humilié et écrasé comme avant, plus qu’avant (p. 173) ». Il en appelle ouvertement à une révolution nationale des forces laborieuses, d’où la référence explicite au national-bolchevisme.
Cet ouvrage s’intéresse aux effets politico-théoriques de ce courant né en Allemagne après 1919. Alexandre Douguine trouve toutefois une tradition similaire dans l’histoire religieuse russe. Ainsi se montre-t-il intarissable sur les sectes issues du schisme orthodoxe de 1666 – 1667. Il examine par ailleurs d’un point de vue original plusieurs œuvres littéraires russes. Il se penche tout autant sur l’essai remarquable d’Ernst Jünger, Der Arbeiter (1932), que sur le situationniste français Guy Debord. Il décrypte d’une façon déconcertante le titre, Absolute Beginners. « Absolute Beginners est un concept repris par David Bowie dans un arsenal de doctrines gnostiques très profondes. Cela a donné une bonne chanson et un clip étrange (p. 255). »
En dévoilant « la métaphysique du national-bolchevisme », Alexandre Douguine décrit un amalgame inattendu ainsi qu’une manifestation opérative de la « voie de la main gauche ». Pour lui, « le national-bolchevisme est une supra-idéologie commune à tous les ennemis de la société ouverte (p. 16) ». Cela implique la lecture « de droite » de Karl Marx et « de gauche » de Julius Evola. Il y ajoute des éléments propres à la civilisation russe, à savoir un millénarisme vieil-orthodoxe lié à la « Troisième Rome ». À cette eschatologie politique intervient la vue du monde flamboyante de Jean Parvulesco. Son « Empire eurasiatique de la Fin » se confond avec le grand espace géopolitique soviético-russe. « L’empire soviétique était un empire au sens plein, avance Alexandre Douguine. Il était uni par une idée universelle commune – l’idée du socialisme, dans laquelle s’incarnait la volonté russe primordiale de vérité et de justice. L’empire soviétique était une continuation légitime de l’empire russe et orthodoxe, mais plus universel, plus commun, plus global (p. 224). »
Alexandre Douguine se détourne donc d’un certain anti-communisme compassé, car il a compris très tôt les conséquences géopolitiques de la disparition subite de l’URSS et leurs implications psychologiques sur l’homo sovieticus. Cependant, la formation nationale-bolchevique éclatera bientôt en au moins trois factions en raison des divergences croissantes d’ordre politique et personnel entre ces deux principaux animateurs.
Avant même l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, Alexandre Douguine s’oriente vers l’eurasisme qu’il va renouveler et redynamiser. Il poursuit son combat en l’adaptant aux circonstances nouvelles. C’est la raison pour laquelle l’ouvrage, Les templiers du prolétariat, constitue un précieux témoignage pour mieux comprendre le parcours intellectuel de son auteur.
Georges Feltin-Tracol
• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 197, mise en ligne sur TVLibertés, le 12 janvier 2021.
L’expression même de « géopolitique des élections américaines » semble assez inhabituelle et inattendue. Depuis les années 1930, la confrontation entre deux grands partis américains – le Great Old Party (GOP) et les Blue Democrats – est devenue une compétition basée sur l’accord avec les principes de base de la politique, de l’idéologie et de la géopolitique acceptés par les deux parties. L’élite politique des États-Unis était fondée sur un consensus profond et complet – tout d’abord, sur la dévotion au capitalisme, au libéralisme et à l’affirmation des États-Unis comme principale puissance du monde occidental. Qu’il s’agisse des « républicains » ou des « démocrates », il était possible de s’assurer que leur vision de l’ordre mondial était presque identique – mondialiste,
libérale,
unipolaire,
atlantique et
americano-centrique.
Cette unité a été institutionnalisée au sein du Council on Foreign Relations (CFR), créé au moment de l’accord de Versailles après la Première Guerre mondiale et réunissant des représentants des deux partis. Le rôle du CFR ne cesse de croître et, après la Seconde Guerre mondiale, il devient le principal siège du mondialisme montant. Pendant les premières étapes de la guerre froide, le CFR a permis la convergence des deux systèmes, avec l’URSS, sur la base des valeurs communes des Lumières. Mais en raison du net affaiblissement du camp socialiste et de la trahison de Gorbatchev, la « convergence » n’était plus nécessaire, et la construction de la paix mondiale était entre les mains d’un seul pôle – celui qui a gagné la guerre froide.
Le début des années 90 du XXe siècle a été la minute de gloire des mondialistes et du CFR lui-même. À partir de ce moment, le consensus des élites américaines, quelle que soit leur affiliation politique, s’est renforcé et les politiques de Bill Clinton, George W. Bush ou Barack Obama – du moins en ce qui concerne les grandes questions de politique étrangère et l’attachement à l’agenda mondialiste – ont été pratiquement identiques. Du côté des républicains – analogue à la « droite » des mondialistes (représentés principalement par les démocrates) – se trouvent les néoconservateurs qui ont évincé les paléoconservateurs à partir des années 1980, c’est-à-dire ces républicains qui maintenaient la tradition isolationniste et qui restaient fidèles aux valeurs conservatrices, ce qui était caractéristique du parti républicain au début du XXe siècle et aux premiers stades de l’histoire américaine.
Oui, les Démocrates et les Républicains divergeaient en matière de politique fiscale, de médecine et d’assurance (ici, les Démocrates étaient économiquement de gauche et les Républicains de droite), mais c’était une dispute au sein du même modèle, qui n’avait que peu ou pas d’incidence sur les principaux vecteurs de la politique intérieure, et encore moins sur les vecteurs étrangers. En d’autres termes, les élections américaines n’avaient pas de signification géopolitique, et donc une combinaison telle que « géopolitique des élections américaines » n’avait pas cours, en raison de son absurdité et de sa vacuité.
Trump est en train de détruire le consensus
Tout a changé en 2016, lorsque l’actuel président américain Donald Trump est arrivé au pouvoir de manière inattendue. En Amérique même, son arrivée a été quelque chose d’assez exceptionnel. Tout le programme électoral de Trump était basé sur la critique du mondialisme et des élites américaines au pouvoir. En d’autres termes, M. Trump a directement contesté le consensus des deux partis, y compris l’aile néoconservatrice de son parti républicain, et ….il a gagné. Bien sûr, les 4 années de présidence de Trump ont montré qu’il était tout simplement impossible de restructurer complètement la politique américaine d’une manière aussi inattendue, et Trump a dû faire de nombreux compromis, y compris jusqu’à la nomination du néoconservateur John Bolton comme son conseiller à la sécurité nationale. Mais quoi qu’il en soit, il a essayé de suivre sa ligne, au moins en partie, ce qui a rendu les mondialistes furieux. Trump a ainsi brusquement modifié la structure même des relations entre les deux grands partis américains. Sous sa direction, les républicains sont partiellement revenus à la position nationaliste américaine inhérente aux premiers GOP – d’où les slogans « America first ! » ou « Let’s make America great again ! ». Cela a provoqué la radicalisation des démocrates qui, à partir de l’affrontement entre Trump et Hillary Clinton, ont en fait déclaré la guerre à Trump et à tous ceux qui soutiennent sa guerre à lui en matière politique, idéologique, médiatique, économique, etc.
Pendant 4 ans, cette guerre n’a pas cessé un seul instant, et aujourd’hui – à la veille de nouvelles élections – elle a atteint son apogée. Elle s’est manifestée
dans la déstabilisation généralisée du système social,
dans le soulèvement des éléments extrémistes dans les grandes villes américaines (avec un soutien presque ouvert du Parti démocrate aux forces anti-Trump),
dans la diabolisation directe de Trump et de ses partisans, qui, si Biden gagne, sont menacés d’une véritable épuration, quel que soit le poste qu’ils aient occupé,
en accusant Trump et tous les patriotes et nationalistes américains de fascisme,
dans des tentatives de présenter Trump comme un agent des forces extérieures – principalement Vladimir Poutine – etc.
L’aigreur de la confrontation entre les partis dans laquelle certains républicains eux-mêmes, principalement des néoconservateurs (comme Bill Kristol, l’idéologue en chef des néoconservateurs) se sont opposés à Trump, a conduit à une forte polarisation de la société américaine dans son ensemble. Et aujourd’hui, à l’automne 2020, sur fond d’épidémie persistante de Covid-19 et de ses conséquences sociales et économiques, la course électorale représente quelque chose de complètement différent de ce qu’elle avait été au cours des 100 dernières années de l’histoire américaine – à partir du traité de Versailles, les 14 points mondialistes de Woodrow Wilson et la création du CFR.
Les années 90 : une minute de gloire mondialiste
Bien sûr, ce n’est pas Donald Trump qui a personnellement brisé le consensus mondialiste des élites américaines, mettant les États-Unis pratiquement au bord d’une guerre civile à part entière. Trump était un symptôme des profonds processus géopolitiques qui se sont déroulés depuis le début des années 2000.
Dans les années 90, le mondialisme a atteint son apogée, le camp soviétique était en ruines, la Russie était dirigée par des agents américains directs et la Chine commençait tout juste à copier docilement le système capitaliste, ce qui a créé l’illusion de la « fin de l’histoire » (F. Fukuyama). Ainsi, la mondialisation n’a été ouvertement contrée que par les structures extraterritoriales du fondamentalisme islamique, à leur tour contrôlées par la CIA et les alliés des États-Unis, d’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golfe, et par certains « États voyous » – comme l’Iran chiite et la Corée du Nord encore communiste, qui ne représentaient pas en eux-mêmes le grand danger. Il semblait que la domination du mondialisme était totale, que le libéralisme restait la seule idéologie capable de subjuguer toutes les sociétés et que le capitalisme était le seul système économique. On est allé jusqu’à la proclamation du gouvernement mondial (c’est l’objectif des mondialistes, et en particulier, le point culminant de la stratégie du CFR).
Les premiers signes de la multipolarité
Mais quelque chose a mal tourné depuis le début des années 2000. La désintégration et la dégradation de la Russie se sont arrêtées avec Poutine, cette Russie dont la disparition définitive de l’arène mondiale était une condition préalable au triomphe des mondialistes. S’engageant sur la voie de la restauration de sa souveraineté, la Russie a parcouru en 20 ans un long chemin, devenant l’un des pôles les plus importants de la politique mondiale, bien sûr, encore bien souvent inférieure à la puissance de l’URSS et du camp socialiste, mais cessant d’être l’esclave soumise à l’Occident, comme elle l’était dans les années 90.
Dans le même temps, la Chine, en entreprenant la libéralisation de l’économie, a gardé le pouvoir politique entre les mains du parti communiste, échappant au sort de l’URSS, à l’effondrement, au chaos, à la « démocratisation » selon les normes libérales, et devenant progressivement la plus grande puissance économique, comparable aux États-Unis.
En d’autres termes, il y avait les conditions préalables à un ordre mondial multipolaire, qui, avec l’Occident lui-même (les États-Unis et les pays de l’OTAN), avait au moins deux autres pôles assez importants et significatifs – la Russie et la Chine de Poutine. Et plus on s’éloignait, plus cette image alternative du monde apparaissait clairement, dans laquelle, à côté de l’Occident libéral mondialiste, d’autres types de civilisations basées sur les pôles de pouvoir croissants – la Chine communiste et la Russie conservatrice – faisaient entendre leur voix de plus en plus fort. Des éléments du capitalisme et du libéralisme sont présents à la fois ici et là. Ce n’est pas encore une véritable alternative idéologique, ni une contre-hégémonie (selon Gramsci), mais c’est autre chose. Sans devenir multipolaire au sens plein du terme, le monde a cessé d’être unipolaire sans ambiguïté dans les années 2000. La mondialisation a commencé à s’étouffer, à perdre son cap. Cela s’est accompagné d’une scission imminente entre les États-Unis et l’Europe occidentale. En outre, le populisme de droite et de gauche a commencé à se développer dans les pays occidentaux, ce qui a rendu visible un mécontentement croissant de l’opinion publique face à l’hégémonie des élites libérales mondialistes. Le monde islamique a également poursuivi sa lutte pour les valeurs islamiques, qui ont toutefois cessé d’être strictement identifiées au fondamentalisme (contrôlé d’une manière ou d’une autre par les mondialistes) et ont commencé à prendre des formes géopolitiques plus claires :
la montée du chiisme au Moyen-Orient (Iran, Irak, Liban, en partie Syrie),
l’indépendance croissante – jusqu’aux conflits avec les États-Unis et l’OTAN – de la Turquie sunnite de Erdogan,
les oscillations des pays du Golfe entre l’Occident et d’autres centres de pouvoir (Russie, Chine), etc.
L’élan de Trump : un grand coup de théâtre
Les élections américaines de 2016, qui ont été remportées par Donald Trump, se sont déroulées dans ce contexte – à une époque de grave crise du mondialisme et des élites mondialistes au pouvoir.
C’est alors que la façade du consensus libéral a conduit à l’émergence d’une nouvelle force – cette partie de la société américaine qui ne voulait pas s’identifier avec les élites mondialistes au pouvoir. Le soutien de Trump est devenu un vote de défiance à l’égard de la stratégie du mondialisme – non seulement démocratique, mais aussi républicain. Ainsi, le schisme s’est installé dans la citadelle même du monde unipolaire, dans le siège de la mondialisation. Sous le poids du mépris, ils devenaient les « déplorables », une majorité silencieuse, une majorité dépossédée (V. Robertson). Trump est devenu un symbole du réveil du populisme américain.
Ainsi, aux États-Unis, la vraie politique est revenue, les disputes idéologiques ont repris et la destruction de monuments de l’histoire américaine est devenue l’expression d’une profonde division de la société américaine sur les questions les plus fondamentales.
Le consensus américain s’est effondré
Désormais, élites et masses, mondialistes et patriotes, démocrates et républicains, progressistes et conservateurs sont devenus des pôles à part entière et indépendants – avec leurs stratégies, programmes, points de vue, évaluations et systèmes de valeurs changeants. Trump a fait sauter l’Amérique, a brisé le consensus des élites et a fait dérailler la mondialisation.
Bien sûr, il ne l’a pas fait seul. Mais il a eu l’audace – peut-être sous l’influence idéologique du conservateur atypique et antimondialiste Steve Bannon (un cas rare d’intellectuel américain familier du conservatisme européen, et même du traditionalisme de René Guénon et de Julius Evola) – de dépasser le discours libéral dominant, ouvrant ainsi une nouvelle page de l’histoire politique américaine. Sur cette page, cette fois, on lit clairement la formule « géopolitique des élections américaines ».
L’élection américaine de 2020 : tout est remis en jeu
En fonction du résultat des élections de novembre 2020, les éléments suivants seront redessinés :
l’architecture de l’ordre mondial (transition vers le nationalisme et la multipolarité réelle dans le cas de Trump, poursuite de l’agonie de la mondialisation dans le cas de Biden),
la stratégie géopolitique globale des États-Unis (l’Amérique d’abord dans le cas de Trump, un saut désespéré vers le gouvernement mondial dans le cas de Biden),
Le sort de l’OTAN (sa dissolution en faveur d’une structure qui reflète plus strictement les intérêts nationaux des États-Unis – cette fois-ci en tant qu’État, et non comme un rempart de la mondialisation dans son ensemble (dans le cas de Trump) ou la préservation du bloc atlantique en tant qu’instrument des élites libérales supranationales (dans le cas de Biden),
l’idéologie dominante (le conservatisme de droite, le nationalisme américain dans le cas de Trump, le mondialisme de gauche, l’élimination définitive de l’identité américaine dans le cas de Biden),
la polarisation des démocrates et des républicains (poursuite de la croissance de l’influence des paléo-conservateurs au sein du gouvernement en cas de victoire de Trump) ou retour au consensus bipartite (dans le cas de Biden avec une nouvelle croissance de l’influence des néoconférences au sein du gouvernement),
et même le sort du deuxième amendement constitutionnel (son maintien dans le cas de Trump, et son éventuelle abrogation dans le cas de Biden).
Ce sont des moments si importants que le sort de Trump, les murs de Trump, et même les relations avec la Russie, la Chine et l’Iran s’avèrent être quelque chose de secondaire. Les États-Unis sont si profondément et si complètement divisés que la question est maintenant de savoir si le pays survivra à des élections aussi inédites. Cette fois, la lutte entre les démocrates et les républicains, Biden et Trump, est une lutte entre deux sociétés disposées agressivement l’une contre l’autre, et non un spectacle insensé dont rien ne dépend fondamentalement. L’Amérique a atteint un clivage fatal. Quel que soit le résultat de cette élection, les États-Unis ne seront plus jamais les mêmes. Quelque chose a changé de manière irréversible.
C’est pourquoi nous parlons de la « géopolitique de l’élection américaine », et c’est pourquoi elle est si importante. Le sort des États-Unis est, à bien des égards, le sort du monde moderne tout entier.
Le phénomène du « Heartland »
La notion de géopolitique la plus importante depuis l’époque de Mackinder, le fondateur de cette discipline, est celle de « Heartland ». Cela signifie le noyau de la « civilisation terrestre » (Land Power), s’opposant à la « civilisation de la puissance maritime ».
Mackinder lui-même, et surtout Carl Schmitt, qui a développé son idée et son intuition, parle de la confrontation entre deux types de civilisations, et pas seulement de la disposition stratégique des forces dans un contexte géographique.
La « Civilisation de la mer » incarne l’expansion, le commerce, la colonisation, mais aussi le « progrès », la « technologie », les changements constants de la société et de ses structures, à l’image de l’élément très liquide de l’océan – la société liquide de Z. Bauman.
C’est une civilisation sans racines, mobile, mouvante, « nomade ».
La « civilisation de la terre », au contraire, est liée au conservatisme, à la constance, à l’identité, à la durabilité, à la méritocratie et aux valeurs immuables ; c’est une culture qui a des racines, qui est sédentaire.
Ainsi, le « Heartland » acquiert lui aussi une signification civilisationnelle – il n’est pas seulement une zone territoriale aussi éloignée que possible des côtes et des espaces maritimes, mais aussi une matrice d’identité conservatrice, une zone de fortes racines, une zone de concentration maximale d’identité.
En appliquant la géopolitique à la structure moderne des États-Unis, on obtient une image étonnante par sa clarté. La particularité du territoire américain est que le pays est situé entre deux espaces océaniques – entre l’océan Atlantique et l’océan Pacifique. Contrairement à la Russie, il n’y a pas aux États-Unis de tendance nette au déplacement du centre vers l’un des pôles – bien que l’histoire des États-Unis ait commencé sur la côte Est et se soit progressivement déplacée vers l’Ouest; aujourd’hui, dans une certaine mesure, les deux zones côtières sont plutôt développées et représentent deux segments de la « civilisation de la mer » distincte.
Les États-Unis et la géopolitique électorale
Et c’est là que le plaisir commence. Si nous prenons la carte politique des États-Unis et que nous la colorions avec les couleurs des deux principaux partis en fonction du principe de savoir quels gouverneurs et quels partis dominent dans chacun d’eux, nous obtenons trois bandes :
La côte Est sera bleue, avec de grandes zones métropolitaines concentrées ici, et donc dominées par les démocrates ;
la partie centrale des États-Unis – zone de survol, zones industrielles et agraires (y compris « l’Amérique à un étage »), c’est-à-dire le Heartland proprement dit – est presque entièrement en rouge (zone d’influence républicaine) ;
La côte ouest concentre à nouveau des mégalopoles, des centres de haute technologie, et par conséquent la couleur bleue des démocrates.
Bienvenue dans la géopolitique classique, c’est-à-dire en première ligne de la « Grande Guerre des Continents ».
Ainsi, US-2020 ne se compose pas seulement d’échantillons variés de population, mais exactement de deux zones de civilisation – le Heartland central et deux territoires côtiers, qui représentent plus ou moins le même système social et politique, radicalement différent du Heartland. Les zones côtières sont la zone des démocrates. C’est là que se trouvent les foyers de la contestation la plus active du BLM, des LGBT+, du féminisme et de l’extrémisme de gauche (groupes terroristes « anti-fa »), qui ont été impliqués dans la campagne électorale des démocrates pour Biden et contre Trump.
Avant Trump, il semblait que les États-Unis n’étaient qu’une zone côtière. Trump a donné sa voix au cœur de l’Amérique. Ainsi, le centre rouge des États-Unis a été activé et activé. Trump est le président de cette « deuxième Amérique », qui n’a presque aucune représentation dans les élites politiques et n’a presque rien à voir avec l’agenda des mondialistes. C’est l’Amérique des petites villes, des communautés et des sectes chrétiennes, des fermes ou même des grands centres industriels, dévastée et dévastée à répétition par la délocalisation de l’industrie et le déplacement de l’attention vers des zones où la main-d’œuvre est moins chère. C’est une Amérique qui est déserte, loyale, oubliée et humiliée. C’est la patrie des vrais Amérindiens – des Américains avec des racines, qu’ils soient blancs ou non, protestants ou catholiques. Et cette Amérique centrale est en train de disparaître rapidement, à l’étroit entre les zones côtières.
L’idéologie du cœur de l’Amérique : la vieille démocratie…
Il est révélateur que les Américains eux-mêmes aient récemment découvert cette dimension géopolitique des États-Unis. En ce sens, l’initiative de créer un Institut de développement économique complet, axé sur des plans de relance des micro-villes, des petites villes et des centres industriels situés au centre des États-Unis, est typique. Le nom de l’Institut parle de lui-même: « Heartland forward », « Heartland forward ! ». En fait, il s’agit d’un décryptage géopolitique et géoéconomique du slogan de Trump « Let’s make America great again ! »
Dans un article récent du dernier numéro du magazine conservateur American Affairs (Automne 2020. V IV, ? 3), l’analyste politique Joel Kotkin publie des documents du programme « The Heartland’s Revival » sur le même sujet – « La renaissance de Heartland ». Et bien que Joel Kotkin ne soit pas encore parvenu à la conclusion que les « États rouges » sont, en fait, une civilisation différente des zones côtières, de par sa position pragmatique et plus économique, il s’en rapproche.
La partie centrale des États-Unis est une zone très spéciale avec une population, où prévalent les paradigmes de la « vieille Amérique » avec sa « vieille démocratie », son « vieil individualisme » et sa « vieille » idée de la liberté. Ce système de valeurs n’a rien à voir avec la xénophobie, le racisme, la ségrégation ou tout autre substantif péjoratif que les Américains moyens des États intermédiaires se voient généralement attribuer par les intellectuels et les journalistes arrogants des mégalopoles et des chaînes nationales. C’est l’Amérique, avec toutes ses caractéristiques, la vieille Amérique traditionnelle, quelque peu figée dans sa volonté initiale de liberté individuelle depuis l’époque des pères fondateurs. Elle est surtout représentée par la secte amish, encore habillée dans le style du XVIIIe siècle, ou par les mormons de l’Utah, qui professent un culte grotesque mais purement américain, rappelant très vaguement le « christianisme ». Dans cette vieille Amérique, une personne peut avoir toutes sortes de croyances, dire et penser ce qu’elle veut. C’est la racine du pragmatisme américain : rien ne peut limiter ni le sujet ni l’objet, et les relations entre ceux-ci ne se révèlent que dans le feu de l’action. Encore une fois, cette action a un seul critère : ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas. Et c’est tout. Personne ne peut prescrire un éventuel « vieux libéralisme » selon lequel chacun devrait penser, parler ou écrire. Le politiquement correct n’a aucun sens ici.
Il est seulement souhaitable d’exprimer clairement sa propre pensée, qui peut être, théoriquement, tout ce que l’on veut. Dans une telle liberté de tout, tout est l’essence du « rêve américain ».
Deuxième amendement à la Constitution : protection armée de la liberté et de la dignité …
Le cœur de l’Amérique ne se résume pas à l’économie et à la sociologie. Elle a sa propre idéologie. C’est une idéologie amérindienne – plutôt républicaine – en partie anti-européenne (surtout anti-britannique), reconnaissant l’égalité des droits et l’inviolabilité des libertés. Et cet individualisme législatif s’incarne dans le libre droit de posséder et de porter des armes. Le deuxième amendement à la Constitution est un résumé de toute l’idéologie d’une telle Amérique « rouge » (au sens de la couleur GOP). « Je ne prends pas ce qui est à toi, mais tu ne touches pas non plus à ce qui m’appartient. » C’est le résumé de ce que véhicule un couteau, un pistolet, une arme à feu, mais aussi une mitrailleuse ou un pistolet mitrailleur. Il ne s’agit pas seulement de choses matérielles, mais aussi de croyances, de modes de pensée, de choix politiques libres et d’estime de soi.
Mais les zones côtières, les territoires américains de la « Civilisation de la mer », les États bleus, voilà ce qui est attaqué. Cette « vieille démocratie », cet « individualisme », cette « liberté » n’ont rien à voir avec les normes du politiquement correct, avec une culture de plus en plus intolérante et agressive, avec la démolition des monuments aux héros de la guerre de Sécession ou avec le fait de baiser les pieds des Afro-Américains, des transsexuels et des monstres à corps positif. La « civilisation de la mer » considère la « vieille Amérique » comme un ensemble de « déplorables » (selon les termes d’Hillary Clinton), comme une masse de « fascistophiles » et de « dissidents ». À New York, Seattle, Los Angeles et San Francisco, nous avons déjà affaire à une autre Amérique – une Amérique bleue de libéraux, de mondialistes, de professeurs postmodernes, de partisans de la perversion et d’un athéisme prescriptif offensif, qui chasse de la zone de tolérance tout ce qui ressemble à la religion, à la famille, à la tradition.
La Grande Guerre des Continents aux Etats-Unis : Proximité de l’issue
Ces deux Amériques – Earth America et Sea America – rassemblent leurs forces aujourd’hui dans une lutte acharnée pour leur président. Et tant les démocrates que les républicains n’ont sciemment aucune intention de reconnaître un gagnant s’il vient du camp opposé. Biden est convaincu que Trump « a déjà truqué les résultats des élections », et que son « ami » Poutine « s’en est déjà mêlé » avec l’aide des services secrets, la GRU, du « nouveau venu », des trolls Holguin et d’autres écosystèmes multipolaires de la « propagande russe ». Par conséquent, les démocrates n’ont pas l’intention de reconnaître la victoire de Trump. Ce ne sera pas une victoire, mais une « fake news ».
Les républicains les plus conséquents le considèreraient également comme une falsification. Les démocrates utilisent des méthodes illégales dans la campagne électorale – en fait, les États-Unis eux-mêmes ont une « révolution des couleurs » dirigée contre Trump et son administration. Et les traces de ses organisateurs, parmi les principaux mondialistes et opposants de Trump George Soros, Bill Gates et autres fanatiques de la « nouvelle démocratie », les représentants les plus brillants et les plus conséquents de la « civilisation de la mer » américaine, sont absolument transparentes derrière cette révolution. C’est pourquoi les républicains sont prêts à aller jusqu’au bout, d’autant plus que le ressentiment des démocrates contre Trump et les personnes nommées par ce dernier au cours des 4 dernières années est telle que si Biden se retrouve à la Maison Blanche, la répression politique contre une partie de l’establishment américain – du moins contre toutes les personnes nommées par Trump – aura une ampleur sans précédent.
C’est ainsi que la tablette de chocolat américain se brise sous nos yeux – les lignes de fracture possibles deviennent les fronts de la véritable guerre elle-même.
Ce n’est plus seulement une campagne électorale, c’est la première étape d’une véritable guerre civile.
Dans cette guerre, deux Américains – deux idéologies, deux démocraties, deux libertés, deux identités, deux systèmes de valeurs s’excluant mutuellement, deux politiciens, deux économies et deux géopolitiques – se font face.
Si nous comprenions l’importance actuelle de la « géopolitique de l’élection américaine », le monde retiendrait son souffle et ne penserait à rien d’autre – ni même à la pandémie de Covid-19 ou aux guerres, conflits et catastrophes locales. Au centre de l’histoire du monde, au centre de la détermination du destin de l’avenir de l’humanité se trouve la « géopolitique des élections américaines » – la scène américaine de la « grande guerre des continents », la terre américaine contre la mer américaine.
L'auteur, Alexandre Guelievitch Douguine né en 1962 est un éminent philosophe, écrivain, éditeur, personnalité publique et politique russe. Docteur en sciences politiques. Professeur de l'Université d'État de Moscou. Leader du Mouvement international eurasien. Membre permanent du Club d’Izborsk.
1. El gramscismo en las Relaciones Internacionales
Antes de comenzar a hablar de la contrahegemonía, en primer lugar, debemos dirigirnos a Antonio Gramsci, quien introdujo el concepto de hegemonía en el amplio discurso científico de la ciencia política. En sus enseñanzas, Gramsci dice que en el marco de la tradición marxista-leninista, hay tres zonas de dominación:
La dominación económica tradicional para el marxismo, que viene determinada por la propiedad de los medios de producción, que predetermina la esencia del capitalismo. Según Marx, este es el dominio económico en la esfera de la infraestructura.
La dominación política, que Gramsci asocia con el leninismo y considera como la autonomía relativa de la superestructura en el ámbito de la política. Cuando la voluntad política de determinadas fuerzas proletarias sea capaz de cambiar la situación política, aunque no esté del todo preparada la infraestructura para ello. Gramsci interpreta esto como la autonomía de un determinado segmento de la superestructura. Estamos hablando de poder político, expresado en los partidos, en el Estado, en los atributos clásicos del sistema político.
La dominación en el tercer sector es la estructura de la superestructura, que Gramsci relaciona con la sociedad civil, al tiempo que enfatiza la figura del intelectual.
Gramsci cree que la hegemonía es el dominio de las actitudes de desigualdad y dominación, pero no en el ámbito de la economía y la política, sino en el ámbito de la cultura, la comunidad intelectual y de los profesionales, el arte y la ciencia. Este tercer sector tiene el mismo grado de autonomía relativa que el leninismo en la política. Una revolución, en este caso, desde el punto de vista de Gramsci, tiene tres vertientes: en la esfera económica (marxismo clásico), en la esfera política (leninismo) y en la esfera de la sociedad civil, que es la esfera de la libertad, y el intelectual puede elegir entre el conformismo y el inconformismo, una elección entre hegemonía y contrahegemonía, entre servir al status quo o elegir una revolución. La elección que hace un intelectual no depende de su posición económica, es decir su relación con la propiedad de los medios de producción, ni con su afiliación política a un partido en particular.
Gramsci ve el mundo occidental como un mundo de hegemonía establecida, en el que se ha establecido un sistema capitalista en la esfera económica, las fuerzas políticas burguesas dominan la política, los intelectuales sirven a los intereses de las fuerzas políticas burguesas y sirven al capital en un entorno inteligente. Todo esto en su conjunto en las relaciones internacionales crea un cierto contexto, en el centro del cual está el polo de la hegemonía establecida. Gramsci invita a los intelectuales inconformistas y revolucionarios a crear un bloque histórico que se oponga a esta hegemonía. Regresaremos a este punto un poco más tarde, pero ahora consideraremos un aspecto ligeramente diferente del pensamiento gramsciano. Desde el punto de vista de Gramsci, hay situaciones en las que surgen relaciones entre un sistema capitalista desarrollado y aquellas sociedades que aún no están completamente integradas en el núcleo de la hegemonía. Estos tipos modernos de sociedades, en las que la hegemonía no ha ganado por completo, los describe Gramsci como el modelo del cesarismo. Sugiere que, en tales Estados intermedios, la élite política aún no está realmente incluida en el mundo occidental capitalista, donde el capital, la hegemonía y los partidos políticos burgueses representan los intereses de la clase media que establecen la agenda a seguir.
Charles Kapchen, en su libro No Man's World, propone este modelo, que Gramsci denomina cesarismo, desglosado en tres tipos:
La autocracia corrupta moderna rusa y otros modelos similares en el espacio postsoviético, que representan la élite de los clanes corruptos.
El sistema del totalitarismo chino, que conserva el poder totalitario a nivel estatal.
El sistema de las petromonarquías de Oriente Medio, que incluyen en la estructura de su dominación, en su cesarismo, también aspectos religiosos o dinásticos, como los sultanatos sauditas. Irán puede clasificarse como una forma intermedia, entre el modelo de monarquía del Golfo y la autocracia rusa.
El cesarismo se encuentra en condiciones muy interesantes: por un lado, se encuntra bajo la presión de una clase media en crecimiento, por otro lado, proviene de un Occidente más desarrollado. La hegemonía desde fuera y desde dentro obliga al cesarismo a hacer concesiones, desoberanizarse, entrar en un proceso global común en aras de la hegemonía global. Desde el punto de vista de Gramsci, el cesarismo no puede simplemente insistir por sí solo, ignorando estos procesos, por lo que sigue el camino que en la ciencia política moderna se llama transformismo.
El término transformismo, nos remite al gramscismo y al neogramscismo en la teoría de las relaciones internacionales, donde esto significa el juego del cesarismo con los desafíos de la hegemonía, es decir, la modernización parcial, movimiento parcial hacia la hegemonía, pero de manera que se mantenga el control político. Así, el transformismo es lo que viene haciendo China desde 1980, lo que ha estado haciendo la Rusia de Putin, sobre todo en la época de Medvedev, lo que han estado haciendo los Estados islámicos últimamente. Absorben algunos elementos de Occidente, capitalismo, democracia, instituciones políticas para la separación de los poderes, ayudan a que se produzca la clase media, siguen el ejemplo de la burguesía nacional, la hegemonía interna y la hegemonía externa internacional, pero no lo hacen del todo, no realmente, al nivel de una fachada para mantener un monopolio del poder político que no es estrictamente hegemónico.
El análisis básico de los términos gramaticales hegemonía, cesarismo y transformismo que hemos realizado era necesario como preludio al desarrollo de una teoría contrahegemónica.
2. Pacto histórico
Dado que todas las personas tienen derechos políticos y los delegan en partidos a través de la participación en las elecciones, y la posesión de los derechos económicos está diferenciada en el ámbito económico, Gramsci cree que en el tercer sector hay exactamente el mismo proceso de delegación de sus derechos. Los representantes de la sociedad civil empoderan a los intelectuales para representarse a sí mismos en el campo de la inteligencia en una especie de parlamento condicional de la sociedad civil.
Según la teoría del neogramscismo, existe el concepto de pacto histórico, y como estamos hablando de sociedad civil, este puede tener dos vectores fundamentalmente diferentes: o el pacto histórico se dirige hacia la hegemonía, o se puede implementar un pacto histórico en interés de la revolución.
La hegemonía desde el punto de vista de Gramsci no es un destino, sino una elección, lo mismo que la elección de los partidos políticos. Stephen Gill, un neogramscista, describe la Comisión Trilateral como un pacto histórico de intelectuales conformistas a favor de la hegemonía. Estos son los únicos estudiosos de esta clase de organizaciones donde los propios miembros de esta organización no se consideran una forma paranoica de teoría de la conspiración y reconocen su estatus académico.
En última instancia, toda persona, según Gramsci, es libre de estar a favor del capitalismo o del comunismo, e incluso si una persona no pertenece a la clase proletaria, puede ser miembro del partido comunista de su país y participar en batallas políticas siguiendo a los socialistas o comunistas. La afiliación de clase proletaria no es necesaria para la inclusión en un partido político. De la misma manera, a nivel del intelectualismo, no es necesario para nada estar en desventaja, no es necesario ser expulsado del sistema de la sociedad para ponerse del lado de la contrahegemonía que, y este es el principal fundamento gramscista, cualquier intelectual puede elegir y adherirse al pacto histórico de la revolución.
En los años 60, y especialmente en los 70, cuando el gramscismo se generalizó en Europa, se desarrolló una situación única. Entonces la esfera intelectual estaba completamente ocupada por izquierdistas y era simplemente indecente no ser comunista. Se identificaron comunismo y moral en el ámbito de la sociedad civil, a pesar de que los partidos comunistas no dominaban en el ámbito político, y las relaciones burguesas continuaron persistiendo en el ámbito económico. Fue con esto, en gran medida, que los acontecimientos de 1968 y la llegada al poder de Mitterrand estaban relacionados. El giro a la izquierda en Francia no comenzó con la victoria de las fuerzas de izquierda en el parlamento y no con el propio gobierno, sino con la creación por parte de los intelectuales franceses de un bloque histórico contrahegemónico, en ese momento marxista. Hicieron su elección, sin que nadie los echara de los periódicos burgueses, que seguían siendo financiados por diversos círculos burgueses.
Este grado de libertad nos lleva al tema del constructivismo de la realidad social, que no es un dato fatal. El proceso de construcción de la realidad social se encuentra en la libertad del intelectual para hacer su elección fundamental a favor de un pacto histórico: hegemónico o contrahegemónico.
3. Contrahegemonía/contrasociedad
El concepto de contrahegemonía es introducido por el especialista en relaciones internacionales Robert W. Cox como una generalización del gramscismo y su aplicación a la situación global. Dice que hoy todo el sistema de relaciones internacionales se construye al servicio de la hegemonía. Todo lo que se nos dice sobre las relaciones entre Estados, sobre el significado de la historia, sobre guerras e invasiones es pura propaganda de la hegemonía de la élite oligárquica mundial. En gran medida, este constructo se apoya en el eje de la intelectualidad que opta por la hegemonía.
R. Cox plantea la cuestión de crear una construcción intelectual de una realidad revolucionaria alternativa global y para ello introduce el término contrahegemonía, dándole una justificación fundamental. Habla de la necesidad de un bloque histórico global de intelectuales mundiales que eligen la revolución, eligen la crítica del status quo y, lo que es más importante, no necesariamente sobre una base marxista, porque el marxismo presupone algún tipo de programa económico fatalista de los procesos históricos. R. Cox cree que el proceso histórico es abierto y en este sentido la dominación del capital es una construcción. En esto se diferencia mucho de los neomarxistas, incluido Wallerstein.
Esta idea pospositivista, constructivista, posmodernista de R. Cox, cuya esencia es que en condiciones de globalización es necesario plantear la cuestión de la contrahegemonía con la misma globalidad, ya que la hegemonía burguesa-liberal, llevando a cabo el transformismo, ya que tarde o temprano este transformismo romperá el cesarismo.
El segundo principio que introduce Cox es el de contrasociedad, ya que la sociedad global actual se basa en la dominación de principios burgueses-liberales, es decir, es una sociedad de la hegemonía. Esta es una sociedad de la hegemonía por medio del lenguaje, en las imágenes, en la tecnología, en la política, en las costumbres, en el arte, en la moda, en todo.
En consecuencia, es necesario construir una contra-sociedad. Todo lo que es bueno en una sociedad global debe ser destruido, y se debe construir una nueva sociedad en su lugar, si se quiere, una sociedad con signo contrario. En lugar del dominio de los principios universales, se deben construir comunas locales; en lugar de un monólogo liberal, debemos construir un polílogo de culturas orgánicas. Así, la contasociedad será una alternativa a la sociedad que existe hoy, en todos sus principios básicos.
Los términos de Robert Cox son contrahegemonía y contrasociedad.
4. Pensando en la contrahegemonía
John M. Hobson, estudioso de las relaciones internacionales, autor de La concepción eurocéntrica de la política mundial, en la que critica el racismo occidental y afirma la brillante idea de construir las relaciones internacionales en un nuevo modelo de contrahegemonía basado en los trabajos de Cox, Gill y los neogramscistas es una bendición. La crítica es maravillosa, pero qué hacer, qué contrahegemonía debería crearse, no la encontraremos en sus obras, salvo en dos o tres páginas. Por tanto, es necesario contemplar la contrahegemonía.
Para concebir la contrahegemonía, primero hay que concebir la hegemonía. Volvemos de nuevo a este tema para comprender adecuadamente en qué estamos pensando.
Entonces, ¿qué es la hegemonía?
La hegemonía es la universalización del liberalismo, entendido como único contexto de un monólogo. El liberalismo es un engaño absoluto, hablando de contrahegemonía y contrasociedad, nos referimos a un desmantelamiento total del liberalismo. Así, contemplar la contrahegemonía es contemplar el no liberalismo, contemplar una sociedad que se opondría radicalmente al liberalismo. Cabe señalar aquí que el no liberalismo en el que tenemos que pensar a la hora de construir la contrahegemonía debe ser el no liberalismo del mañana. Este tiene que ser un no liberalismo hacia adelante, no un no liberalismo hacia atrás.
¿Qué es el no liberalismo hacia atrás? Este es el conservadurismo que ha desaparecido hace mucho y más allá del horizonte de la historia, el fascismo y el nacionalsocialismo que desapareció hace menos, y el comunismo, el sovietismo y el socialismo que han desaparecido recientemente. Todo esto no fue superado por el liberalismo por casualidad, no fue por casualidad que la hegemonía se disolvió, se desintegró, estalló y envió al basurero histórico, al olvido ahistórico, esas ideologías no liberales que se han enumerado. Abordarlos, con toda la facilidad de tal movimiento, no nos acercará a resolver el problema de la creación de la contrahegemonía. Seremos los portadores de un discurso arcaico, marxista, nazi, fascista o conservador-monárquico, que por sí mismos ya han demostrado que no pueden resistir la batalla histórica con la hegemonía. En consecuencia, este es un control de la realidad ineficaz para oponerse al liberalismo.
La principal victoria del liberalismo radica en el hecho de que en el centro de su discurso está el principio: libertad versus no libertad. Esta simple dialéctica resultó muy eficaz, como lo demostró claramente el siglo XX. Para derrotar a sus enemigos ideológicos, el liberalismo utilizó la idea del totalitarismo como concepto. Por tanto, en cuanto el liberalismo buscó a tientas este aspecto totalitario en ideologías que ofrecían su alternativa no liberal, inmediatamente incluyó la parte más fuerte de su ideología, que se llama libertad, liberty.
Para considerar estos procesos con más detalle, es necesario recordar el contenido de la libertad de John Stuart Mil. La libertad es “libertad de”, libertad negativa, y para que la libertad negativa funcione, debe haber una no libertad positiva, es decir, la tesis del totalitarismo. Cuando hay una sociedad basada, por ejemplo, en una identidad racial fascista, pero usted no se ajusta específicamente a ella, entonces su libertad estará dirigida contra esta identidad. Lo mismo ocurre con el comunismo. Si no compartes esta ideología, entonces aplicas la tesis negativa de la libertad a esta tesis positiva de una sociedad totalitaria, y como resultado, tarde o temprano ganarás. La libertad negativa funciona porque la "libertad de" adquiere contenido a través de la negación dialéctica.
Hoy el liberalismo ha conquistado todo lo que pudo conquistar y se ha propuesto esa tarea. La "libertad de" ahora se nos da por definición, como un hecho. Hoy vivimos en un mundo liberal donde, en principio, no hay nada de qué liberarnos, es decir, La “libertad de” ha desarrollado todo su potencial relacional-creativo, porque se ha liberado de todas aquellas formas que, de una forma u otra, mantenían al individuo en un cierto estado de no libertad. En este momento, se reveló el lado puro de la libertad, "libertad de" como libertad de cualquier cosa es en realidad solo nihilismo. Nihilismo que no estaba en la superficie precisamente porque alguien obstruía esta libertad. En consecuencia, la libertad en el liberalismo victorioso no significa más que la absolutización del nihilismo. La liberación no es nada.
Lo que vivimos hoy es la victoria absoluta de la hegemonía combinada con su implosión fundamental. Esta implosión del liberalismo es un factor importante en su triunfo hegemónico. Pero por ahora, al liberalismo se le opone un cesarismo lento en las últimas etapas, como un defecto temporal, que es objeto de afinar el liberalismo global para que finalmente pueda tener lugar el fin de la historia.
Por cierto, prestemos atención al hecho de que entendemos la palabra fin como el concepto de El fin de la historia de Francis Fukuyama como fin, pero en inglés la palabra fin tiene otro significado: el objetivo, es decir, este es el objetivo de la historia, su telos, hacia lo que se dirige. Este es el logro de la historia alcanzando su cúspide, su límite, es decir, hacia donde se dirigió. Vivimos en el liberalismo como en el nihilismo victorioso, y la implosión de este nihilismo se está produciendo ante nuestros propios ojos.
¿Qué más le queda a la humanidad liberal libre? Desde las últimas formas de identidad colectiva expresadas en género. El problema de las minorías sexuales no es un epifenómeno accidental de la estrategia liberal, es su centro mismo. La lógica en este caso es simple: si una persona no se libera del género, permanecerá en un estado totalitario de separación con otros individuos humanos de cierta identidad colectiva, masculina o femenina. En consecuencia, la reasignación de género no es solo un derecho, sino que pronto también se convertirá en un deber. Si una persona no cambia de sexo, entonces es, de hecho, un fascista, porque si un individuo es un hombre o una mujer, entonces acepta una existencia esclava dentro del marco de su definición de género.
No la igualdad de sexos, es decir, su cambio, se deriva de la libertad, la "libertad de", la libertad de una persona del género, del sexo, así como la libertad cosmopolita de elegir la ciudadanía, el lugar de residencia, la profesión, la religión. Todas estas libertades liberales requieren una etapa lógica, la libertad de género y un cambio total múltiple de género, porque el individuo comienza a acostumbrarse y vuelve a caer en el marco totalitario del género.
Pero ese no es el límite, ya que queda la última identidad colectiva que no se ha superado, la pertenencia de un individuo a la humanidad. Como ejemplo de la necesidad de superar la identidad humana, que en última instancia es también fascismo desde el punto de vista de la lógica liberal, podemos citar el Manifiesto Ciborg de Donna J. Haraway, así como las ideas plasmadas en el programa transhumanista.
Superar el género y las identidades colectivas humanas son solo detalles que ocuparán nuestra conciencia durante algún tiempo, asustarán a los conservadores y a los elementos liberales incompletamente modernizados y, a la inversa, inspirarán a los liberales para continuar sus próximas hazañas. Al mismo tiempo, cabe señalar que la agenda se ha estrechado, y con el desarrollo del arte genético y quirúrgico, la microtecnología, la biotecnología y el desentrañamiento del genoma, estamos, de hecho, al borde de que este programa se convierta en un tema técnico. Se propone no esperar más, sino pensar de tal manera que el liberalismo, en principio, en su programa nihilista, ha cumplido su cometido.
¿Y qué significa pensar en el no liberalismo hacia adelante? Significa pensar en el no liberalismo, que es después de esta deshumanización del hombre, después de la pérdida de la identidad de género. Es necesario ver el horizonte del liberalismo como una victoria absoluta de la Nada y ofrecer una alternativa no desde fuera, sino desde dentro. La cuestión es que, en última instancia, el liberalismo va más allá de la sociología y nos lleva a problemas antropológicos. La sociedad se desintegra, surge una post-sociedad, un ciudadano liberal separado del mundo, un cosmopolita que, de hecho, no pertenece a ninguna sociedad.
Massimo Cacciari llama a esto una sociedad de idiotas totales que pierden la capacidad de comunicarse entre ellos, porque pierden todo en común que los conecta, surge un lenguaje individual, una existencia rizomática en red, etc. En esta situación, llegamos a la última frontera humana, desde la que se propone iniciar un proyecto de contrahegemonía.
El curso principal de la contrahegemonía en su aspecto antropológico es la idea de un replanteamiento radical de las libertades. Es necesario oponer el liberalismo no al totalitarismo, porque al hacerlo solo alimentamos sus energías destructivas, sino el principio de libertad significativa, es decir, de la "libertad para", la libertad en la terminología de J.S. Mill. Al abordar la problemática de la antropología, en la que el principio individual se sitúa por encima de la humanidad, el liberalismo no debe oponerse a valores conservadores, sino a algo radicalmente diferente, y el nombre de este radicalmente diferente es el concepto de persona o personalidad, es decir, libertad contra libertad, la persona contra la libertad individual.
La personalidad devuelve a la persona a la esencia de su humanidad, esta es su revolucionaria tarea fundamental de crearse a sí mismo por su propia fuerza, esta es, si se quiere, una categoría metafísica. En el cristianismo, la personalidad es donde tiene lugar la fusión del principio divino con el individuo. La persona nace en el momento del santo bautismo.
En las religiones, la personalidad se describe de diferentes maneras, pero como Marcel Mauss ha revelado tan bellamente en sus obras, en cualquier sociedad arcaica es el concepto de persona el que está en el centro de atención. Este no es un individuo, es la intersección del sujeto eidético de alguna especie dada y espiritual o generalizada.
Así, oponiendo la individualidad con alguna forma de integración social, atacamos al liberalismo y ofrecemos un no liberalismo no desde atrás, sino que necesitamos proponer un modelo de no liberalismo desde el futuro. La personalidad debe rebelarse contra el individuo, la “libertad para” debe moverse contra la “libertad de”, no la no libertad, la no sociedad y algunas otras formas de restricciones colectivas. Debemos enfrentar el desafío del nihilismo. Este, según Martin Heidegger, es el difícil conocimiento del nihilismo.
Pensar en la contrahegemonía significa pensar en una personalidad creativamente libre como la raíz de esta contrahegemonía, sin este cambio fundamental de régimen en las condiciones del nihilismo total no crearemos ningún concepto inteligible de contrahegemonía.
5. El modelo de contrasociedad
El modelo de contrasociedad debe necesariamente estar abierto desde arriba, este es el principio de la libertad, a la cabeza de esta sociedad deben estar aquellos que estén máximamente abiertos a la dimensión superior de lo personal, que no sean lo más idénticamente posible entre ellos mismos. Son los filósofos contemplativos. La Platonopolis como expresión política del platonismo abierto, liderado por un filósofo que piensa en cualquier cosa menos en sí mismo. No manda, no hace nada, pero abre la posibilidad de que todos sean individuos. Abre la posibilidad de que la sociedad se abra desde arriba, hace que esta sociedad sea verdaderamente libre, sin darse cuenta de sus limitaciones. Él crea una sociedad así, este es el Estado, esta es la sociedad sagrada.
La contrasociedad debe construirse desde arriba, debe ser absolutamente abierta desde lo vertical, este es su principio fundamental. Una filosofía política abierta desde lo vertical debería ser la plataforma para un nuevo pacto histórico de intelectuales. Si creamos este pacto basado en alianzas pragmáticas, no lo lograremos, porque tarde o temprano el liberalismo se hará cargo de todas estas formas.
6. Diversificación contrahegemónica de actores en las Relaciones Internacionales
Para la diversificación contrahegemónica de actores en las RI, se puede partir de los conceptos y definiciones de transnacionalismo y neoliberalismo en las relaciones internacionales, que afirman la expansión de la nomenclatura de actores en el contexto de la hegemonía. Se propone aceptar esta simetría en la construcción de la contrahegemonía y reconocer que el bloque histórico debe estar compuesto por actores de diferentes escalas.
La estructura de la contrahegemonía puede ser la siguiente: en el centro hay intelectuales con una filosofía vertical abierta, es decir, un pacto histórico entre los intelectuales. Debe ser necesariamente global, no puede ser nacional, en ningún país de ninguna cultura, incluso, por ejemplo, en el gran mundo islámico o en el chino, es imposible hacer esto. Todo lo que se necesita es una escala global de contrahegemonía y una unificación global de intelectuales contrahegemónicos basada en una filosofía abierta. Se puede construir una constelación de sistemas de diferentes escalas alrededor de este actor principal, simétricamente en la forma en que Joseph S. Nye describe un sistema liberal transnacional, donde tanto los Estados como los partidos y los movimientos, industrias, grupos, movimientos religiosos e incluso individuos singulares se convierten en actores.
Todos ellos no solo pueden, sino que también son actores en las relaciones internacionales, en el modelo hegemónico de globalización. Estamos hablando de contra-globalización, no de anti-globalización, no de globalización alternativa, sino de contra-globalización, que reconoce que para derribar esta hegemonía es necesario unir actores de diferentes escalas.
7. La voluntad y los recursos de la contrahegemonía. El archipiélago de Massimo Cacciari
El eje de la estrategia contrahegemónica debe ser la voluntad constructiva, no los recursos. Primero la voluntad, luego los recursos. Esta voluntad debe provenir de la élite intelectual global contrahegemónica como miembros de la sociedad global. Por supuesto, todas las personas piensan, pero los intelectuales también piensan para los demás, y por eso están dotados del derecho a ser caminantes del pueblo, a ser representantes de la humanidad como tal, cuyo discurso global ahora es captado y plasmado por representantes del bloque histórico hegemónico. Por cierto, cuando se ataca a los liberales por un caso, la escasez y la inconsistencia de su argumentación se revela necesariamente, y todo esto porque su argumentación es de voluntad fuerte.
Sin embargo, ¿en qué recursos puede apoyarse esta voluntad constitutiva de la élite intelectual? En primer lugar, este es el segundo mundo, sobre el que escribe Parag Khanna, los países de los BRICS, los Estados que, en el status quo actual, han recibido algo menos o no están en los primeros roles. Y estos son prácticamente todos aquellos Estados que se sienten incómodos en la arquitectura imperante de la hegemonía. Pero por sí mismos, estos países no son una contrahegemonía, por sí mismos no harán nada.
Los regímenes gobernantes en estos países, si no se activan, continuarán participando en el transformacionalismo, pero los intelectuales contrahegemónicos deben contraatacarlos, incluso en su propio proyecto, en lugar de esperar a ser llamados a trabajar para la administración. Es importante comprender que la administración está comprometida con el transformismo y se ocupará de ello independientemente del lugar: en China, Irán, Azerbaiyán, India, Rusia, los países del BRICS, existe una transformación continua.
Los intelectuales contrahegemónicos deben interceptar la narrativa y dictar la agenda a estos Estados para que ejerzan el cesarismo durante el mayor tiempo posible. Pero esto no es una meta, la meta de la contrahegemonía es diferente, sin embargo, el potencial de estos países es un buen recurso, y como herramienta para lograr la tarea planteada, es bastante bueno. Por ejemplo, un Estado con armas nucleares parece muy convincente como argumento en oposición a la hegemonía.
Asimismo, los partidos antiliberales en todo el mundo son relevantes como recurso contrahegemónico, independientemente de que sean de derecha o de izquierda, socialistas o conservadores. A esto hay que sumar varios movimientos de tipo verticalmente abierto: cultural, artístico, estético, ecológico. En este contexto, conviene prestar atención al hecho de que el campesinado mundial y la industria mundial, tarde o temprano, serán víctimas del sistema bancario y financiero, el sector terciario de la economía, que ya comienzan a colapsar ante el crecimiento proporcional del capital financiero especulativo globalista. No se debe esperar que ellos mismos se pongan del lado de la contrahegemonía y propongan planes, sin embargo, también pueden ser considerados como uno de los componentes del recurso en el arsenal de la alianza de los intelectuales contrahegemónicos dentro del pacto histórico.
Todas las religiones tradicionales, que, en su esencia, son no liberales, a diferencia de las religiones de orientación liberal, que son básicamente laicas o relativistas, o, digamos, religiones desreligiosas, también pueden actuar como un recurso para los intelectuales contrahegemónicos.
La tarea del bloque histórico contrahegemónico es unir todos estos recursos en una red global. Aquí es donde el concepto de "Archipiélago" de Massimo Cacciari, que aplica a Europa, será de gran utilidad, pero la idea en sí puede difundirse más ampliamente. Massimo Cacciari sostiene que entre el Logos universalista y la anarquía de los idiotas atómicos hay un logos privado. Este Logos en particular, junto con el paradigma de la complejidad de Edgar Morin, junto con operaciones en estructuras complejas, con modelos no lineales, pueden ser de gran utilidad.
Ésta es una cuestión fundamental, porque utilizando un modelo complejo, se hace posible construir un diálogo e integrar a la derecha y la izquierda en un solo pacto histórico, mientras que en este momento se miran a través de la lente de sus propias tácticas.
8. Rusia y la hegemonía
Rusia es ahora un campo de transformismo típico y lo que comúnmente se llama putinismo no es más que cesarismo. Se opone a la hegemonía interna en forma de la oposición del listón blanco y de Eco de Moscú (1), así como a la hegemonía externa que ejerce presión sobre Rusia desde afuera. El cesarismo está equilibrando estos factores, que intenta jugar por un lado con la modernización y por otro lado con el conservadurismo, tratando de retener el poder por cualquier medio. Esto es muy racional y muy realista: no hay idea, no hay visión del mundo, no hay metas, no hay comprensión del proceso histórico, no hay telos en tal gobierno - esto es cesarismo ordinario, en su comprensión gramscista.
La oposición del cesarismo a la hegemonía interna y externa lo obliga a moverse en la necesariamente en dirección a los intelectuales de la contrahegemonía, pero el transformismo es una estrategia adaptativa-pasiva, lo que significa que tarde o temprano el objetivo de este transformismo, no obstante, destruirá el cesarismo. Dado que la hegemonía viene tanto del exterior como del interior, cualquier modernización conduce objetivamente, de una forma u otra, al fortalecimiento de la clase media, y la clase media es enemiga del Estado, así como la burguesía, el capitalismo, el individualismo son enemigos tanto de la sociedad concreta como de la humanidad en su conjunto.
¿Qué tan pronto caerá el cesarismo? El tiempo muestra que puede esto tardar mucho, pero mucho tiempo. En teoría, debería caer, pero sigue existiendo, demostrando a veces ser bastante exitoso. Todo depende de si la transformación se lleva a cabo con éxito o sin éxito. Es una estrategia de retaguardia pasiva condenada al fracaso, pero a veces de la forma más paradójica puede resultar bastante eficaz.
Es bastante obvio que, si en los últimos 13 años esta estrategia se ha mantenido con un pragmatismo omnívoro e ideológico tan generalizado, entonces seguirá existiendo, a pesar de la indignación que causa por todos lados. Sin embargo, vale la pena señalar que es precisamente el transformismo exitoso lo que evita que el Estado sea destruido por representantes de la hegemonía global.
Pero esto no es suficiente, se requiere una estrategia de tipo completamente diferente, contrahegemónica en su esencia, con el ánimo de promover la teoría de un mundo multipolar. Otra iniciativa importante es la Alianza Revolucionaria Global, que es una estrategia bastante activa que puede desarrollarse en Rusia a un nivel paralelo, siendo tanto rusa como global, internacional. E incluso si hay algunas contradicciones internas entre los representantes de la alianza revolucionaria global en Europa o América, y hay algunas, y existen muchas, entonces este momento no debería avergonzar a nadie, y mucho menos detenerse. Dado que la gente elige la misma ética contrahegemónica a pesar de las sociedades en las que vive.
Al rechazar la hegemonía, no es necesario centrarse en el poder. Ahora las autoridades nos dicen “sí” porque estamos del mismo lado con respecto a la hegemonía, estamos en contra de la hegemonía, y las autoridades, de una forma u otra, están en contra de la hegemonía. Pero incluso si la hegemonía hubiera triunfado en Rusia, esta situación no debería influir en la toma de decisiones de la élite intelectual contrahegemónica, ya que debe moverse en nombre de objetivos fundamentales. Sólo una orientación exclusivamente hacia una idea, hacia la escatología, hacia el telos, hacia una meta, y no hacia beneficios momentáneos, puede traer la victoria y el éxito.
El pacto histórico de intelectuales con una filosofía vertical abierta puede ser solidario con la Federación de Rusia en su estado actual como uno de los elementos más importantes del archipiélago de la contrasociedad. La Rusia nuclear de Putin es una isla excelente en este archipiélago, perfecta para una lucha revolucionaria externa, una base maravillosa para capacitar a personas que deben promover actividades escatológicas y revolucionarias a escala mundial. Es una herramienta muy valiosa, pero sin ella se podría seguir igual. Necesitamos buscar contactos en China, Irán, India, Latinoamérica, hacer contrahegemonía en países africanos, en países asiáticos, en Europa, en Canadá, en Australia, etc. Todos los descontentos son miembros potenciales del archipiélago contrahegemónico: desde Estados hasta individuos.
No se pueden equiparar dos cosas: los intereses nacionales de la Federación de Rusia, agotados por el término del transformismo y la estrategia global contrahegemónica. Son cosas diferentes, ya que la contrasociedad es deliberadamente extraterritorial y es un archipiélago.
Notas del Traductor:
1. Eco de Moscú (en ruso: Э́хо Москвы́) es una estación de radio rusa que transmite las 24/7 con sede en Moscú. Emite en muchas ciudades rusas, algunas de las ex repúblicas soviéticas (a través de asociaciones con estaciones de radio locales) y a través de Internet. El actual editor en jefe es Alexei Venediktov. Eco de Moscú se hizo famoso durante los eventos del intento de golpe de Estado soviético de 1991: fue uno de los pocos medios de comunicación que habló en contra del Comité Estatal sobre el Estado de Emergencia. Es un medio con posturas liberales.
Conferencia de Pensamiento Estratégico con el filósofo y Politicolo ruso Alexandr Dugin - autor de “ La cuarta Teoría Política” y nuestro doctor en filósofía de la Sorbona de Paris Prof Alberto Buela y el Presidente del Cees Julio Piumato.
Could you please tell us something about the measures the Russian government has taken to control the spread of the coronavirus? What is the situation in Russia like right now?
Russia has been hit by the pandemic in a relatively mild form. I can not say that the measures the government has undertaken were (or are) exceptionally good but the situation is nevertheless not as dramatic as elsewhere. From the end of March, Russia began to close its borders with the countries most affected by coronavirus. Putin then mildly suggested citizens stay home for one week in the end of March without explaining what the legal status of this voluntary measure actually was. A full lockdown followed in the region most affected by pandemic. At the first glance the measures of the government looked a bit confused: it seemed that Putin and others were not totally aware of the real danger of the coronavirus, perhaps suspecting that Western countries had some hidden agenda (political or economic). Nonetheless, reluctantly, the government has accepted the challenge and now most regions are in total lockdown.
The authorities combine mild methods of persuasion with a harder approach including serious fines on those who violate the lockdown. Sometimes this method works, sometimes it doesn’t. The Moscow authorities made a number of grave errors: despite prohibiting the mass gatherings, they organized checkpoints in the metro creating huge crowds and dangerously increasing the number of infected.
It seems that Russian government has no idea how to handle the economic situation. The Russian economy is based on the selling of natural resources, which has meant that the closure of international trade and decrease of the oil prices have caused serious damage to the Russian economy.
In domestic politics, an emergency state has not yet been declared and people suppose that the reason for such hesitation is the reluctance of authorities to accept the responsibility. However, in the meantime, small and middle-sized businesses have been almost totally destroyed. Only state workers have any level of guarantee during lockdown.
So, in spite of relatively small losses in terms of human lives, the damage inflicted by the coronavirus on Russia is massive and unprecedented. The management of this extraordinary situation by the government is far from perfect but such a situation has been common in almost all countries. China is one rare exception where the reaction of power from the very beginning of the epidemic was much more decisive, effective and convincing.
The western media and the politicians have long been blaming China for this pandemic for ridiculous reasons, claiming that “China produced the virus”, “China put out a fake death number to mislead the world” or even “China should pay compensation for their failure to deal with the virus.” We know there are also some criticisms from the West which say that “Russia has used the virus to expand its political influence.” Russia’s Foreign Minister Sergey Lavrov rejected all of these claims on April 14.
What do you think of such strategic motives to invoke blame worldwide? Given the situation, how do our two countries support each other and work around rumors and slander?
The pandemic has led to a number of rather strange outcomes. There are many unanswered questions, and clearly different powers around the world are trying to use the huge event changing drastically the face of the world system for their own benefit while claiming their enemies.
On one hand, many experts claim that the disease has artificial origin and was leaked (accidently or on purpose) as an act of biological warfare. Precisely in Wuhan there is allegedly one of the top biological laboratories in China. In the US, many people, including President Trump, pursue this hypothesis or suggest this is all part of the plan of a select group of globalists (like Bill Gates, Zuckerberger, George Soros and so on) to expand the deadly virus in order to impose the vaccination and eventually introduce microchips into human beings around the world. The surveillance methods already introduced to control and monitor infected people and even those who are still healthy seem to confirm such fears. There is a conspiracy theory which suggests that China has been set up as a scapegoat. We might laugh at the inconsistency of such myths and their lack of proof, but belief in such theories – especially during moments of deep crises – are easily accepted and become the basis for real actions, and could even lead to war.
The second reason to blame China is the general agreement that the epidemic started in Wuhan in Hubei province which has given rise to racist instincts deep rooted in Western societies despite all their pretensions to liberalism and human rights. The situation has fueled anti-Chinese sentiments all of which will certainly be felt in future.
In these conditions it is obvious that everybody is trying to use dramatic situations for their own profit and seeks to inscribe the pandemic in its geopolitical and ideological world vision.
Russia, however, is against blaming China, and agrees (although not officially) with the accusations that the virus originated in the US as a biological warfare experiment. Officially, Russia recognizes the natural character of infection and bat/pangolin theory, but in Russian media, many experts close to the Kremlin have faulted the Americans. Many of them are citing controversial statements of Chinese authorities accusing the US for the spread of the coronavirus.
The true damage of the pandemic is so massive that we are unlikely to fully comprehend it, especially given the widespread manipulation, fake news and conspiracy theories circulating in the media. Everything linked to the coronavirus has become increasingly biased. We have to accept this fact and try to establish our own version that corresponds to our own multipolar anti globalist and anti hegemonic strategy. In that sense, the support of Lavrov for China and the accusations against America obtain their full meaning. This is a matter of realism and the sign of geopolitical solidarity between Russia and China, both main pillars of the emerging multipolar post-globalist world.
The latest news shows that the US is going to suspend its funding to the WHO, threatening the international organization which is now playing an important role in the fight against the pandemic. This is a response to the organizations positive comments on China. Does it not seem that the series of announcements made and measures taken during the pandemic have not already revealed the fact that the so-called “responsible superpower” and “leader of the international society” the US claims to be actually no longer exists? Why exactly have they chosen China as a scapegoat?
I have explained that to some degree already in my previous answers. Here I can add only that the unipolar world is all but gone and US global domination is a thing of the past. Trump is trying to find a place for his country in a new context where China is regarded as the US’ main competitor. Furthermore, in Trump’s conspiracy theory, the WHO is a tool of globalists such as Obama, Hillary Clinton, Bill Gates, George Soros and so on who represent the last traces of the previous – globalist – world order. In Trump’s mind China is accomplice in the promotion of the globalization agenda. He considers all his ideological and geopolitical enemies to be united, despite evidence to the contrary.
The US is no longer considered the “responsible superpower” by anyone. The US is now trying to impose itself as a nationalist egoistic hegemony acting in its own interest, no longer an example for the world to follow. We didn’t pay enough attention to Trump and his supporters' world vision, projecting on them an obsolete picture of the traditional unipolar system of 1900-2020. The Americans voting for Trump have decided earlier than anybody else that the US’ role as the“the leader of international society” is over: “America first” in some sense means “nobody else matters.” The pandemic has revealed with uttermost clarity and transparency how huge transformations of the world over the last fews years passed unperceived by majority.
China is certainly a scapegoat and was a scapegoat for American strategists long before the coronavirus… now, however, they have just found the perfect excuse to push this notion even further.
Many experts on international issues believe the 2020 coronavirus pandemic will become a watershed moment for world politics. What do you think of that? Does this mean that the structural problems of European countries and America disclosed during the pandemic have become a death sentence for unipolarity?
I strongly believe that coronavirus is a real “event,” or Ereignis in Heideggerian sense. This means that it is a turning point in modern history. I am sure that we are now witnessing the irreversible end of globalization and the dominance of the Western-centric liberal hegemonic ideology. The experience of spending time in fully closed societies has already changed global politics forever. It has proven the capability of Eastern societies with more or less experience in having a closed society, and proven fatal to the West. When the real (or imagined but taken for real) danger hit, almost all countries immediately and instinctively chose closure. If the world were really global, the reaction should have been the opposite. After the end of the pandemic, there will no longer be any place for open societies. We have already entered the epoch of the closed society. That doesn’t necessarily mean a return to classical nationalism and the closed trade State as was conceptualized by Fichte, but in many cases it will likely be just so. Trump’s position seems to be moving in exactly this direction. We can imagine the continuation of regional cooperation but only within a radically new frame. The main form from now on will be self-reliance, autarchy and self-sufficiency.
Structural problems will be solved in a totally new context, and the changes required are going to be so huge that it will likely provoke something close to full scale civil wars, particularly in Europe.
We are living at the end of the world we knew. It is not the end of the world as such, but certainly the end of the unipolar West-led global capitalist world system. We in Russia have experienced something like this during the fall of the USSR. But this moment included a ready made “solution”: to destroy the socialist system (judged to be inefficient) and impose a capitalist one. That was also the end of the world – of the Soviet world. Now, it is the second pole's turn to fall – the global capitalist one. In this situation, we are facing a void. Perhaps China is better prepared for this on an ideological level – conserving elements of socialist system and anti-capitalist ideology as well as the leading role of Communist party, but the changes will be so huge that will likely demand new ideological efforts from China as well. I fear that many strategic orientations scrupulously elaborated by China in recent years will need to be radically revised.
Unipolarity is certainly dead. Now is the moment of multipolarity. But nobody knows for sure what that means concretely – not even me, a person who literally wrote the book “The theory of multipolar world.” When the future comes it is still always different from all the prognoses – even those which prove to have been most correct.
Do you feel optimistic or pessimistic about the world after the pandemic? Do you think losing power and influence will make America choose a more aggressive method to sustain its hegemony?
I am neither optimist, nor pessimist, but rather a realist. The end of globalization and of unipolarity is good because it gives a chance to establish a much more balanced world order where different civilizations can assure their independence from the World hegemony of the West. So the end of unipolarity is the end of colonialism. This is good news. However, there is also bad news. The West is in a desperate situation as the Empire falls apart, that means that it will certainly try to save its global power – military, ideological, political and economic – by any means possible. We can not exclude the possibility of war. When the US and EU understands that they can not exploit humanity in their favor anymore, they will almost certainly fight back.
We are entering the zone of turbulence. Nothing should be regarded as taken for granted. Russia and China can gain much in the course of these changes and establish solid and effective balanced multipolarity, around the Greater Eurasia project for example. But the stakes are too high… Because everybody is at risk. The fall of unipolarity that is taking place before our eyes is comparable to the fall of Babel. It can easily lead to chaos, fall into savagery and all kinds of turmoil and conflict. We should stay strong, defending our identity and our civilizational sovereignty, looking the problematic future straight in the face.
Last but not least, China and Russia should now go their own way. We are now subjects of the world, not objects playing only minor roles in plays written by others. Many things in the future will depend on how Russia and China act in this completely new and unprecedented situation. We should fully realize: China and Russia are two pillars of the new world system and the destiny of humanity depends on our mutual understanding, support and cooperation.
La rupture de l’ordre libéral global et de ses fondations
Ce qui se produit en ce moment est une rupture globale de l’ordre mondial. C’est absolument sans importance de savoir si la nature du coronavirus est artificielle ou pas, et ce n’est même pas d’une importance primordiale de savoir, dans le cas où il serait artificiel, s’il a été délibérément répandu par le « gouvernement mondial » ou pas. L’épidémie a commencé – c’est un fait. Maintenant la chose la plus importante est de voir comment le « gouvernement mondial » a réagi à cette épidémie.
Pour clarifier, le « gouvernement mondial » est la totalité des élites politiques et économiques et les intellectuels et les médias (les « médiacrates ») qui les servent. Un tel « gouvernement mondial » existe nécessairement, parce qu’à une échelle globale il y a des normes fondamentales strictement définies qui déterminent les paramètres basiques de la politique, de l’économie et de l’idéologie.
- En économie, la seule norme reconnue est le capitalisme, l’économie de marché (qui est contestée seulement par la Corée du Nord – pas, et c’est très important, par la Chine, qui présente sa propre version de capitalisme d’Etat national sous la direction du Parti communiste).
- En politique, la seule norme reconnue est la démocratie libérale parlementaire, basée sur la société civile comme sujet et source de la légalité et de la légitimité (à part la Corée du Nord, presque tout le monde est d’accord avec cela, bien que la Chine interprète la « société civile » dans une optique socialiste et partiellement nationale-culturelle spéciale et pratique un contrôle médiacratique par des moyens autres que des élections parlementaires directes ; et certains Etats islamiques – par exemple, l’Iran et les monarchies du Golfe – ont un certain nombre de traits particuliers).
- Dans le domaine idéologique, tout le monde accepte l’arrangement selon lequel tout individu a un certain nombre de droits inaliénables (à la vie, à la liberté de conscience, à la liberté de mouvement, etc.) que tous les Etats et sociétés sont obligés de garantir.
Dans l’essence, ce sont les trois principes de base du monde global qui a émergé après l’effondrement de l’URSS et la victoire de l’Occident capitaliste dans la Guerre Froide. Les principaux acteurs de la politique, de l’économie et de l’idéologie sont concentrés dans les pays occidentaux, qui servent de modèle aux autres. C’est le cœur du « gouvernement mondial ». A l’intérieur de ce gouvernement, la Chine commence à jouer un rôle de plus en plus important, et les élites de la Russie et de tous les autres Etats se précipitent dans cette direction.
Que le coronavirus soit artificiel ou pas n’est pas si important
Il est sans importance de savoir si le coronavirus a été produit artificiellement et utilisé délibérément par le « gouvernement mondial » dans ce sens.
Mais c’est ce monde, sous le parapluie de ce « gouvernement mondial » avec ses trois fondements axiomatiques, qui est en train de s’effondrer devant nos yeux. Cela rappelle la fin du camp socialiste, du monde bipolaire et de l’URSS, mais alors l’un des deux mondes disparut, alors que l’autre demeura et étendit ses règles à tous les autres incluant ses adversaires d’hier. Gorbatchev lui-même voulait entrer dans le « gouvernement mondial » sans dissoudre l’URSS, mais il ne fut pas accepté. Les dirigeants pro-occidentaux de la Fédération Russe qui se soumirent à l’Occident ne furent pas acceptés non plus. Ils ne le sont toujours pas. Et maintenant, aujourd’hui, ce même « gouvernement mondial » est en train de s’effondrer. Pourrait-il avoir opté volontairement pour la liquidation ? Difficilement. Mais il a réagi au coronavirus comme à quelque chose d’inévitable, et ce fut un choix.
Il y avait la liberté de reconnaître ou pas l’existence du coronavirus. Et par le fait même de sa reconnaissance de la pandémie, le « gouvernement mondial » a signé sa propre sentence de mort. L’a-t-il fait consciemment ? Pas plus (ou pas moins) consciemment que Gorbatchev durant la perestroïka. Dans le cas de l’URSS, un pôle disparut, alors que l’autre demeura. Aujourd’hui la fin de la démocratie libérale planétaire signifie la fin de tout. Ce système n’a pas d’autre paradigme – excepté pour la Corée du Nord (qui est un pur anachronisme, bien que très intéressant) ou la version de compromis de la Chine.
Qui aurait dû vaincre le coronavirus, et comment ?
Le coronavirus a déjà frappé un coup dont ni la politique, ni l’économie, ni l’idéologie ne se remettront. La pandémie aurait dû être combattue par les institutions existantes d’une manière normale, sans changer les règles de base :
- ni en politique (signifiant pas de quarantaine, pas de confinement forcé, et encore moins un état d’urgence) ;
- ni dans l’économie (pas de télétravail, pas d’arrêt de la production, des échanges et des institutions financières-industrielles ou des plateformes commerciales, pas de pause, etc.);
- ni dans l’idéologie (pas de restrictions, même temporaires, des droits civiques fondamentaux, de la liberté de mouvement, l’annulation ou le report des élections, des référendums, etc.).
...mais tout cela a déjà eu lieu à une échelle globale, y compris dans les pays occidentaux, c’est-à-dire dans le territoire du « gouvernement mondial » lui-même. Les fondements mêmes du système global ont été suspendus.
C’est ainsi que nous voyons la situation en cours. Pour que le « gouvernement mondial » prenne de telles mesures, il faut qu’il y ait été obligé. Par qui ? Après tout, il ne peut simplement pas y avoir d’instance d’autorité supérieure à l’humanité matérialiste, athée et rationaliste moderne...
Le libéralisme comme résultat final du Nouveau Temps
Gardons cette question pour plus tard et regardons maintenant la plus grande trajectoire historique du système global libéral-démocratique, c’est-à-dire le gouvernement des « élites politiques libérales » (parlementarisme), les principaux acteurs économiques (oligarques et monopoles transnationaux), les idéologues de la « société ouverte » et les journalistes qui les servent (incluant les modérateurs des sentiments sur les réseaux sociaux et l’Internet). La source de ce système doit être recherchée à la fin de la Renaissance et dans le « Nouveau Temps » (les débuts de la Modernité) qui en sortit, et qui vit une rupture fondamentale avec le Moyen-Age concernant le sujet du pouvoir et, par conséquent, concernant sa nature même. Au Moyen-Age et dans la société de la Tradition en général, la légitimité et la légalité du modèle politique de la société étaient basées sur le facteur transcendant – supra-humain, divin. Le sujet suprême du pouvoir et de la loi était Dieu. Ses révélations et les lois et les cadres établis par Lui, ainsi que les institutions qui étaient considérées comme ses représentantes sur Terre : dans le monde chrétien, c’était l’Eglise et l’Etat monarchique. Le Nouveau Temps de la Modernité abolit cette verticale et se donna le but de bâtir une société sur des fondements terrestres. Ainsi le principal sujet et la principale source de la légitimité et de la légalité devinrent l’homme, et le « gouvernement céleste » – le « gouvernement supramondain » – fit place au « gouvernement terrestre ». La politique, l’économie et l’idéologie changèrent en conséquence : la démocratie, le capitalisme et la société civile émergèrent.
Pendant plusieurs siècles, ces principes combattirent le vieil ordre (médiéval) jusqu’à ce que les derniers empires – le russe, l’ottoman, l’autrichien et l’allemand – tombent au XXe siècle. Cependant, la démocratie libérale dut encore se confronter à des versions hérétiques (du point de vue libéral) de la Modernité, comme le communisme et le fascisme, qui interprétèrent à leur propre manière la « société civile » et l’être humain : le premier selon l’optique de la classe et le second en termes nationaux ou raciaux. En 1945, les communistes et les libéraux mirent conjointement fin au fascisme, et en 1991 le communisme tomba. Les libéraux furent les seuls à rester, et dès lors le « gouvernement mondial » passa du domaine du plan à celui d’une quasi-réalité, puisque tous les pays et sociétés ont reconnu les standards de la démocratie, du marché, et des droits de l’homme. C’est ce que Francis Fukuyama voulut dire dans son livre La fin de l’Histoire et le Dernier Homme. L’histoire de ce Nouveau Temps commença quand le but fut établi de remplacer le sujet céleste par le sujet terrestre, et elle se termina quand ce remplacement fut accompli à une échelle mondiale.
La fin du monde libéral et ses parallèles avec la fin de l’URSS
Aujourd’hui, à la place de la fin de l’histoire, c’est-à-dire au lieu du triomphe total de la démocratie libérale, du capitalisme mondial et de l’idéologie de la « société ouverte » (les droits de l’humain en tant qu’individu), nous sommes tombés dans des conditions complètement nouvelles du jour au lendemain. C’est aussi inattendu que la fin de l’URSS. Même après 1991, beaucoup de gens ne pouvaient pas croire que le système soviétique avait disparu, et certains ne peuvent même pas le comprendre aujourd’hui. Bien sûr, la fin du globalisme fut perçue par quelques penseurs critiques : elle fut envisagée par des conservateurs, et la montée rapide de la Chine, qui représente un modèle particulier de globalisme, le refus de Poutine de laisser le pouvoir au manipulable et contrôlable (comme le pensait l’Occident) Medvedev en 2012, et peut-être le plus important, le Brexit et la montée du populisme, purent tous être considérés comme des signes clairs qu’en dépit de sa proximité du point final, le globalisme avait non seulement été incapable d’accomplir effectivement la « fin de l’histoire », mais qu’il commençait paradoxalement à s’en éloigner. A un niveau philosophique, les postmodernistes commencèrent à réfléchir là-dessus, proclamant bruyamment que quelque chose n’allait pas dans la Modernité.
Mais il ne reste pas d’autre voie à l’histoire : elle doit soit avancer avec l’inertie qu’elle a accumulée au cours des derniers siècles, depuis le Nouveau Temps et les Lumières, soit s’effondrer. Tout le monde croyait que d’une façon ou d’une autre tout se résoudrait tout seul, et que la seule chose qui comptait était de combattre efficacement ceux qui étaient catalogués comme les « ennemis de la société ouverte », c’est-à-dire Poutine, l’Iran, le fondamentalisme islamique, ou la nouvelle montée de mouvements nationalistes répondant rapidement à la crise de la migration de masse. En général, pas une seule réflexion sur une alternative, rejetant même consciemment ce genre d’idées. Et c’est pourquoi, au moment d’une crise grave, le système libéral global a échoué et s’est effondré. Presque personne n’a encore compris cela, mais c’est déjà arrivé. Et c’est arrivé irrévocablement. Le coronavirus, par son existence même et spécialement par la manière dont le « gouvernement mondial » lui a répondu, est devenu la fin du monde moderne.
La fin de « l’Unique et sa propriété »
Cela signifie-t-il que l’humanité va mourir ? On ne le sait pas encore, mais cela ne peut pas être écarté. On peut seulement conjecturer si elle va périr ou pas. Mais ce qu’on peut déjà dire avec certitude, c’est que l’ordre mondial global basé sur le capitalisme, la démocratie libérale et les principes de l’individu souverain (la société civile, la société ouverte) a déjà péri. Il a disparu, il s’est effondré, bien que des efforts désespérés seront encore entrepris pour le sauver pendant un certain temps. Comment ils seront déployés et combien de temps ils dureront n’est pas crucial pour l’instant. On ne peut pas écarter qu’il disparaîtra peut-être complètement comme de la fumée, exactement comme le système soviétique s’est dissout totalement.
Ce qui existait il y a juste une seconde était éphémère, comme si cela n’avait jamais existé. Il est beaucoup plus important de regarder ce qui va venir remplacer l’ancien ordre mondial.
La chose la plus importante à comprendre est que ce n’est pas simplement un échec technique dans le système de gouvernance globale qui s’est produit, mais plutôt l’élément final résultant de tout le processus historique de la Modernité, du Nouveau Temps, au cours duquel le pouvoir fut transféré du sujet céleste au sujet terrestre, et ce sujet lui-même – à travers les batailles idéologiques et politiques des derniers siècles, incluant les guerres mondiales chaudes et froides – s’est déplacé vers une certaine cristallisation, celle de la démocratie parlementaire, du marché capitaliste global et de l’individu doté de droits. Tout le système du capitalisme global moderne est bâti sur la prémisse de « l’Unique [= l’Ego] et sa propriété » (Max Stirner). Les droits politiques de l’« Ego » (l’individu complètement isolé de la nation, de la race, de la religion, du sexe, etc.) furent fixés et implantés dans les systèmes mondiaux de la démocratie politique. Les droits économiques furent incarnés dans les normes de la propriété privée et des mécanismes du marché. Ainsi, la source du pouvoir politique atteignit sa limite imminente : dans le libéralisme et le globalisme, les dernières traces de verticalité et de « transcendance » qui avaient encore été préservées durant les premiers stades de la Modernité, en particulier les structures de l’Etat, furent éliminées. D’où l’aspiration globaliste à abolir la souveraineté de l’Etat et à transférer ses pouvoirs au niveau supranational, légalisant ainsi le « gouvernement mondial », qui existe déjà de facto. En d’autres mots, l’histoire politique, économique et idéologique du Nouveau Temps avançait vers une fin très précise, dans laquelle le sujet individuel purement humain, immanent, serait finalement formé et pris comme base de la légitimation politique. Peu de choses furent laissées au hasard : l’abolition complète des Etats qui eut lieu au niveau de l’Union Européenne devait se répéter à l’échelle mondiale.
Le final annulé du libéralisme
Ce moment final, vers lequel tout se dirigeait, aujourd’hui n’est pas seulement retardé indéfiniment, mais est complètement annulé. Si l’histoire politique n’a pas pu atteindre ce point sans le coronavirus, tout le processus s’est effondré devant cette épidémie. Pour combattre efficacement l’épidémie, les autorités de presque tous les pays, incluant ceux de l’Occident, ont introduit une quarantaine obligatoire avec des sanctions strictes en cas de violation, ou ont carrément déclaré des situations d’urgence. Les mécanismes économiques du marché global se sont effondrés du fait de la fermeture des frontières, de même que les bourses des valeurs et les institutions financières.
La société ouverte et la migration sans limite sont entrées en contradiction directe avec les standards sanitaires de base. En fait, un régime dictatorial a été rapidement établi dans le monde entier, sous lequel le pouvoir a été transféré à une entité complètement nouvelle. Ni « l’Ego » ni sa « propriété », ni toutes les superstructures géantes du monde qui garantissaient leurs droits et leurs statuts légaux et légitimes ne sont plus considérés comme la source du pouvoir politique. Ce que Giorgio Agamben a nommé la « vie nue », c’est-à-dire l’impératif de survie physique absolument spécial qui n’a rien à voir avec la logique du capitalisme libéral, est passé au premier plan. Ni l’égalité, les droits, la loi, la propriété privée, les décisions collectives, le système des obligations mutuelles, ni aucun autre principe fondamental de la démocratie libérale n’a de pouvoir réel. Seuls ces mécanismes qui contribuent à la survie, pour stopper l’infection et pourvoir aux besoins purement physiologiques les plus simples, sont importants maintenant.
Mais cela signifie que le sujet du pouvoir est en train de changer radicalement. Ce n’est plus la société libre, ni le marché, ni les présomptions humanistes de l’individu souverain, ni les garanties de liberté personnelle et de vie privée. Tout cela doit être sacrifié si la question immédiate est la survie physique. Les droits politiques sont abolis, les obligations politiques sont abolies, la surveillance totale et le contrôle disciplinaire strict deviennent la seule norme sociale prévalante.
Si le « gouvernement mondial » est entré dans un état d’urgence, s’est avéré incapable de l’éviter ou n’a même pas osé l’éviter, ou a simplement été forcé de l’accepter, cela signifie que le paradigme qui hier encore semblait inébranlable a été abandonné. Et dans ce cas, soit il n’y a plus du tout de « gouvernement mondial », et chaque société s’en sort comme elle peut, soit le paradigme fondamental change brutalement et se transforme en quelque chose d’autre. Dans les deux cas, l’ordre ancien s’est effondré, et quelque chose de nouveau est en train d’être bâti devant nos yeux.
Des conclusions aussi radicales ne sont pas seulement liées à l’ampleur de la pandémie, qui n’est pas encore si grave pour l’instant. Beaucoup plus importante est la perception de l’épidémie par les élites de pouvoir, qui ont si rapidement et si facilement abandonné leurs fondements apparemment inviolables. C’est la chose la plus fondamentale. Les mesures visant à combattre le coronavirus ont déjà sapé les fondements de la démocratie libérale et du capitalisme, abolissant rapidement le sujet du pouvoir lui-même. A partir de maintenant, « l’ego et sa propriété » n’est plus la base de la légalité et de la légitimité : dans les conditions de l’Etat d’Urgence, le pouvoir est en train d’être transféré à une autre autorité. Quelque chose de nouveau est en train de devenir le porteur de la souveraineté.
De quoi s’agit-il donc ?
Le coronavirus comme sujet régnant : les dieux séculaires de la peste
D’une part, on pourrait dire que le coronavirus lui-même (ce n’est pas pour rien que le virus porte un nom « royal ») est en train de démontrer un statut unique à celui du sujet. Pour mieux comprendre cela, nous pouvons nous souvenir des antiques dieux de la peste, qui étaient considérés comme des déités formidables dans les croyances religieuses des peuples du Moyen-Orient. Les peuples de la Mésopotamie avaient Erra, Nergal, et d’autres, et dans les traditions monothéistes, en particulier dans le judaïsme, les pestes étaient envoyées par la déité suprême, Yahvé, pour punir les Juifs de leur idolâtrie. Au Moyen-Age, les épidémies et les pestes étaient considérées comme des signes de punition divine. La société traditionnelle peut légitimement donner le statut de subjectivité à des phénomènes de grande ampleur ou les lier à l’élément divin. Cependant, dans le Nouveau Temps de la Modernité, l’homme se considérait lui-même comme le maître complet de la vie, d’où le développement de la médecine moderne, des médicaments, des vaccins, etc. Par conséquent, c’est comme si l’incapacité complète des gouvernements à combattre le coronavirus aujourd’hui jetait l’humanité en-dehors du Nouveau Temps. Mais le Dieu ou les dieux à qui la peste virale moderne pourrait être attribuée et laissée n’existent plus. Le monde moderne est convaincu que le virus doit avoir une origine terrestre, matérielle et immanente. Mais quel genre de matérialité est plus fort que l’homme ? C’est ainsi que surgissent de nombreuses théories de la conspiration reliant l’origine du virus à des malfaiteurs aspirant à établir leur contrôle sur l’humanité. Pour les philosophes du « réalisme spéculatif », qui pendant des décennies ont réfléchi à la nécessité de remplacer l’humanité par un système d’objets – que ce soit l’Intelligence Artificielle ou des cyborgs –, le virus lui-même pourrait très bien se voir attribuer le statut d’acteur souverain, une sorte d’hyperobjet (à la Morton) capable de soumettre les masses à sa volonté, comme le font le moule, le rhizome, etc. En d’autres mots, l’effondrement du modèle libéral porte au premier plan l’hypothèse de l’acteur post-humain et post-humaniste.
Le coronavirus, dont le nom latin signifie littéralement « poison couronné », est donc (du moins théoriquement) un candidat pour le centre du nouveau système mondial. Si la principale préoccupation de l’humanité à partir d’aujourd’hui sera de stopper le virus, de le combattre, de se protéger de lui, etc., alors tout le système de valeurs, de règles et de garanties sera reconstruit selon des principes et des priorités absolument nouveaux. Les réalistes spéculatifs vont même plus loin et sont prêts à reconnaître dans l’hyperobjet la présence d’entités infernales des antiques dieux du chaos sortant du fond de l’être, mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin, dans la mesure où, si nous pouvons simplement supposer que la rationalité politique, économique et idéologique sera à partir de maintenant construite autour du combat contre des virus contagieux, nous vivrons alors dans un monde différent – par exemple, dans un monde hygiénocentrique –, organisé d’une manière complètement différente de celle du monde moderne. L’« Ego », « sa propriété » et toutes les structures qui leur garantissent la prédictibilité, la stabilité et la protection, qui les élèvent au statut de fondements de la légalité et de la légitimité, passeront à l’arrière-plan, pendant que le coronavirus ou son analogue établira une hiérarchie différente, une ontologie politique et économique différente, une idéologie différente.
L’Etat contre le coronavirus. Mais quel Etat ?
Si nous regardons la manière dont le combat contre le coronavirus se déroule aujourd’hui, nous pouvons remarquer un accroissement très brutal du rôle de l’Etat, qui au cours de la globalisation avait été considérablement relégué au second plan. C’est au niveau de l’Etat que sont prises les décisions de quarantaine, de confinement, d’interdiction de voyager, les restrictions sur les libertés et les mesures économiques. En fait, partout dans le monde – ouvertement ou par défaut –, un état d’urgence a été déclaré. D’après les classiques de la pensée politique, et en particulier Carl Schmitt, cela signifie l’établissement d’un régime de dictature. Le souverain, d’après Schmitt, est celui qui prend la décision dans une situation d’urgence (Ernstfall), et aujourd’hui c’est l’Etat. Cependant, il ne faut pas oublier que l’Etat d’aujourd’hui a jusqu’au dernier moment été basé sur les principes de la démocratie libérale, du capitalisme et de l’idéologie des droits de l’homme. En d’autres mots, cet Etat, en un certain sens, décide de la liquidation de sa propre base philosophique et idéologique (même si ce sont pour l’instant des mesures formalisées et temporaires, il faut se souvenir que l’Empire romain commença aussi par la dictature temporaire de César, qui devint graduellement permanente). Ainsi, l’Etat est en train de muter rapidement, tout comme le virus lui-même, et l’Etat suit le coronavirus dans son combat constamment en évolution, qui le met dans une situation toujours plus éloignée de la démocratie libérale globale. Toutes les frontières existantes qui jusqu’à hier semblaient être effacées ou à demi-effacées sont en train de reprendre une signification fondamentale – non seulement pour ceux qui veulent les franchir, mais aussi pour ceux qui ont réussi à revenir à temps dans leur pays. En même temps, dans les plus grands pays cette fragmentation est transférée aux régions, où l’état d’urgence conduit à l’établissement de dictatures régionales, qui à leur tour seront renforcées si la communication avec le centre devient plus difficile. Une telle fragmentation continuera jusqu’aux petites villes et mêmes jusqu’aux foyers individuels, où le confinement forcé ouvrira de nouveaux horizons et des quantités de violences domestiques.
L’Etat prend sur lui la mission de combattre le coronavirus sous certaines conditions, mais mène ce combat dans des circonstances déjà différentes. Au cours de cette mission, toutes les institutions d’Etat liées à la loi, à la légalité et à l’économie sont transformées. Ainsi, la simple introduction de la quarantaine annule complètement la logique du marché, d’après laquelle seul l’équilibre de l’offre et de la demande et les accords conclus entre l’employeur et l’employé peuvent réguler les relations entre eux. Les interdictions de travail pour des raisons hygiéniques font s’effondrer irrévocablement toute la construction du capitalisme. La suspension de la liberté de mouvement, de réunion et des procédures démocratiques bloque les institutions de la démocratie politique et paralyse les libertés individuelles.
Dictature post-libérale
Au cours de cette épidémie, un nouvel Etat est en train d’émerger qui commence à fonctionner avec de nouvelles règles. Il est très probable qu’au cours de l’état d’urgence il y aura un basculement du pouvoir – passant des gouvernants formels à des fonctionnaires techniques et technologiques, par exemple l’armée, les épidémiologistes, et des institutions spécialement créées pour ces circonstances extrêmes. La menace physique que le virus représente pour les dirigeants les force à se placer dans des conditions spéciales qui ne sont pas toujours compatibles avec un plein contrôle de la situation. Comme les normes légales sont suspendues, de nouveaux algorithmes de comportement et de nouvelles pratiques commencent à être déployés. Ainsi naît un Etat dictatorial qui, à la différence de l’Etat libéral-démocratique, a des buts, des fondements, des principes et des axiomes complètement différents. Dans ce cas, le « gouvernement mondial » est dissout, parce que toute stratégie supranationale perd son sens. Le pouvoir se déplace rapidement vers un niveau encore inférieur – pas celui de la société et des citoyens, mais vers le niveau militaire-technologique et médical-sanitaire. Une rationalité radicalement nouvelle prend de la force – pas la logique de la démocratie, de la liberté, du marché et de l’individualisme, mais celle de la survie pure, dont la responsabilité est assumée par un sujet combinant le pouvoir direct et la possession de la logistique technique, technologique et médicale. De plus, dans la société de réseau, celle-ci est basée sur un système de surveillance totale excluant toute sorte d’intimité.
Ainsi, si à une extrémité nous avons le virus comme sujet de la transformation, à l’autre extrémité nous avons la surveillance militaro-médicale et la dictature punitive différant fondamentalement par tous ses paramètres de l’Etat que nous connaissions encore hier. Il n’est pas du tout garanti qu’un tel Etat, dans son combat contre les « dieux de la peste » séculaires, coïncidera précisément avec les frontières des entités nationales existantes. Puisqu’il n’y aura pas d’idéologie ou de politique au-delà de la logique directe de la survie, la centralisation elle-même perdra son sens et sa légitimité.
De la société civile à la « vie nue »
Ici une fois de plus, souvenons-nous de la « vie nue » de Giorgio Agamben, qui dans une veine similaire et en se basant sur les idées de Schmitt sur l’« état d’urgence », analysa la situation dans les camps de concentration nazis, où la déshumanisation des gens atteignait un point extrême, et où la « vie nue » se révélait. La « vie nue » n’est pas la vie humaine, mais une autre vie qui est au-delà des limites de la conscience de soi, de la personnalité, de l’individualité, des droits, etc. C’est pourquoi Agamben a été plus radical que d’autres et s’est opposé aux mesures prises contre le coronavirus, préférant même la mort à l’introduction d’un état d’urgence. Il a clairement vu que même un petit pas dans cette direction changera la structure entière de l’ordre mondial. Entrer dans le stade de la dictature est facile, mais en sortir est parfois impossible.
La « vie nue » est la victime du virus. Ce ne sont pas les gens, les familles, les citoyens, ou les propriétaires privés. Ici il n’y a ni un, ni beaucoup. Il y a seulement le fait de l’infection, qui peut transformer n’importe qui – incluant soi-même – en quelqu’un d’autre, et donc en ennemi de la « vie nue ». Et c’est le fait de combattre cet autre « vie nue » qui donne à la dictature le nouveau statut de sujet. Alors la société elle-même, à la merci de la dictature, sera transformée en « vie nue » organisée par la dictature en accord avec sa propre rationalité particulière. Par peur du coronavirus, les gens sont prêts à suivre toutes les mesures de ceux qui ont pris la responsabilité de l’état d’urgence.
Ainsi, la séparation fondamentale entre le bien-portant et le malade, considérée par Michel Foucault dans son livre Surveiller et punir. Naissance de la prison, devient une ligne encore plus infranchissable que toutes les oppositions des idéologies classiques de la Modernité, par exemple entre la bourgeoisie et le prolétariat, les Aryens et les Juifs, les libéraux et les « ennemis de la société ouverte », etc., et verra sa ligne de division tracée entre les pôles de la « vie nue » et des « technocrates médicaux », qui ont entre leurs mains tous les instruments de la violence, de la surveillance, et de l’autorité. La différence entre celui qui est déjà malade et celui qui n’est pas encore malade, qui au début justifiait la nouvelle dictature, sera effacée, et la dictature des virologues, qui a bâti une nouvelle légitimité sur la base de cette distinction, créera un modèle complètement nouveau.
La nouvelle dictature n’est ni le fascisme ni le communisme
Cette situation rappellera à beaucoup de gens le fascisme ou le communisme, mais ces parallèles sont imaginaires. Le fascisme et le communisme représentaient tous deux des types de « société civile », bien que totalitaires, avec des idéologies bien marquées qui garantissaient des droits civiques – pas à tous, mais à la majorité significative et de facto écrasante de leurs citoyens. Le libéralisme, en réduisant toutes les identités jusqu’au niveau de l’individu, prépara la voie et créa les conditions préalables pour un type spécial de dictature post-libérale qui, à la différence du communisme et du fascisme, ne devrait pas avoir d’idéologie du tout, dans la mesure où elle n’aura pas de raison de persuader, de mobiliser ou de « séduire » l’élément de la « vie nue ». La « vie nue » est déjà consciemment prête à se soumettre à une dictature, quoi que celle-ci promette ou recommande. Les structures d’une telle dictature seront bâties sur la base du fait qu’elle combat le virus, pas sur la base d’idées et de préférences. La dictature hygiénique militaire-médicale sera caractérisée par une logique post-libérale, pour laquelle la seule opération sera le traitement rationnel de la « vie nue », dont les porteurs n’auront absolument aucun droit et aucune identité. Cet ordre sera bâti sur la séparation entre individus infectés et individus sains, et ce code dual sera aussi puissant qu’évident, sans avoir besoin de la moindre justification ou argumentation.
L’Intelligence Artificielle et ses ennemis
Ici les considérations suivantes viennent à l’esprit : dans les porteurs d’une telle dictature anti-virus post-libérale, nous ne voyons pratiquement aucun trait vraiment humain. Toute considération humaine ne ferait qu’entraver une opération efficace contre la « vie nue », et provoquerait donc un chaos agité, tremblant, recherchant la survie à tout prix. Par conséquent, l’Intelligence Artificielle, calcul mécanique abstrait, se chargerait le mieux de cette tâche. Dans la dictature militaire-médicale nous voyons une dimension cybernétique distincte, quelque chose de mécanique. Si la « vie nue » est le chaos, alors il doit y avoir un ordre mathématique froid à l’autre pôle. Et à partir de maintenant, sa seule légitimation sera non pas le consentement de la société, qui perd tout à part son instinct de survie, mais le critère même de sa capacité à prendre des décisions logiques équilibrées sans être affecté par des émotions et des passions superflues. Par conséquent, même si une dictature hygiénique militaire-médicale est établie par des humains, tôt ou tard ses principaux porteurs seront des machines.
Il n’y aura pas de retour
Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cette analyse très préliminaire du futur proche – le futur qui a déjà commencé :
Il est impossible de revenir à l’ordre mondial qui existait encore récemment et qui semblait si familier et si naturel que personne ne pensait à son caractère éphémère. Soit le libéralisme n’a pas atteint sa fin naturelle et l’établissement d’un « gouvernement mondial », soit l’effondrement nihiliste était son but originel, simplement couvert par un décor « humaniste » de moins en moins convaincant et de plus en plus pervers. Les représentants de l’« accélérationnisme » philosophique parlent des « Lumières Noires », soulignant cet aspect sombre et nihiliste du libéralisme comme représentant simplement le mouvement accéléré de l’homme vers l’abysse du post-humanisme. Mais en tous cas, à la place du « gouvernement mondial » et de la démocratie totale, nous sommes en train d’entrer dans une ère de nouvelle fragmentation, de « sociétés fermées » et de dictatures radicales, dépassant peut-être les camps de concentration nazis et le goulag soviétique.
La fin de la globalisation ne signifiera pas, cependant, une simple transition vers le système westphalien, vers le réalisme et un système d’Etats de commerce fermé (Fichte). Une telle transition requerrait l’idéologie bien définie qui existait au début de la Modernité, mais qui a été complètement éradiquée dans la Modernité tardive, et spécialement dans la Postmodernité. La diabolisation de tout ce qui ressemblait de loin au « nationalisme » ou au « fascisme » a conduit au rejet total des identités nationales, et maintenant la gravité de la menace biologique et sa nature physiologique brutale rendent les mythes nationaux superflus. La dictature militaire-médicale n’a pas besoin de méthodes additionnelles pour motiver les masses, et de plus, le nationalisme ne fait que renforcer la dignité, la conscience de soi et le sentiment civique de la société, qui s’opposent aux règles de la « vie nue ». Pour la société à venir, il y a seulement deux critères – sain et malade. Toutes les autres formes d’identité, incluant les identités nationales, n’ont pas de sens. A peu près la même chose était vraie pour le communisme, qui était aussi une idéologie motivante qui mobilisait la conscience des citoyens pour bâtir une société meilleure. Toutes ces idéologies sont archaïques, dénuées de sens, redondantes et contre-productrices dans le combat contre le coronavirus. Par conséquent, il serait erroné de voir un « nouveau fascisme » ou un « nouveau communisme » dans le paradigme post-libéral imminent. Ce sera quelque chose d’autre.
On ne peut pas écarter que cette nouvelle étape affectera si grandement la vie de l’humanité ou de ce qui en restera que, ayant traversé toutes ces épreuves et ces tribulations, l’humanité sera prête à accepter n’importe quelle forme de pouvoir, n’importe quelle idéologie et n’importe quel ordre qui affaiblira la terreur de la dictature militaire-médicale de l’Intelligence Artificielle. Et alors, dans un nouveau cycle, nous ne pouvons pas écarter un retour au projet de « gouvernement mondial », mais ce sera déjà sur une base complètement différente, parce que la société sera irréversiblement changée par la période de « quarantaine ». Ce ne sera plus le choix de la « société civile », mais le cri de la « vie nue » qui reconnaîtra n’importe quelle autorité capable d’offrir une délivrance hors des horreurs qui auront eu lieu. Cela serait le bon moment pour l’apparition de ce que les chrétiens appellent l’« Antéchrist ».
Exagération et liquidation des leaders
Une telle prévision analytique est-elle une exagération trop dramatisée ? Je pense qu’elle est tout à fait réaliste, bien que bien sûr « personne ne connaît le jour et l’heure », et dans une situation donnée tout pourrait être retardé pendant quelque temps. L’épidémie pourrait se terminer soudainement et un vaccin pourrait être trouvé. Mais tout ce qui s’est déjà produit dans les premiers mois de 2020 – l’effondrement de l’économie mondiale, toutes les mesures radicales dans la politique et les relations internationales imposées par la pandémie, la perturbation des structures de la société civile, les changements psychologiques et l’introduction de technologies de surveillance et de contrôle – est irréversible. Même si tout s’arrêtait maintenant, cela prendra tellement longtemps pour que la mondialisation libérale revienne à son final toujours retardé que de nombreux aspects critiques de la société auront déjà subi de profondes transformations. En même temps, la supposition même d’une fin rapide à la pandémie n’appartient pas au domaine de l’analyse, mais au royaume des contes de fées naïfs avec un happy-end. Regardons la vérité dans les yeux : l’ordre libéral global s’est effondré sous nos yeux, tout comme l’URSS et le système socialiste mondial tombèrent en 1991. Notre conscience refuse de croire à des changements aussi colossaux, et spécialement à leur irréversibilité. Mais nous devons y croire. Il vaut mieux les conceptualiser et les comprendre à l’avance – maintenant, tant que les choses ne sont pas encore devenues aussi graves.
Finalement, il peut sembler que cette pandémie sera une chance pour ces leaders politiques qui n’auraient peut-être pas d’objection à tirer avantage d’une situation aussi extrême pour renforcer leur pouvoir. Mais cela pourrait marcher seulement pendant peu de temps, parce que la logique de la « vie nue » et de la dictature militaire-médicale appartient à un registre complètement différent de ce que le leader le plus autoritaire dans le système mondial moderne peut imaginer. Il est peu probable qu’un des dirigeants d’aujourd’hui soit capable de maintenir son pouvoir pendant si longtemps et de manière sûre dans des conditions aussi extrêmes. Tous, dans une mesure ou une autre, tirent leur légitimité des structures de cette démocratie libérale qui est en train d’être abolie sous nos yeux. Cette situation requerra des figures, des compétences, et des caractères complètement différents. Oui, ils commenceront probablement cette consolidation du pouvoir, et ils ont même commencé à le faire, mais il est peu probable qu’ils dureront longtemps.
Il y a quelque chose de vraiment nouveau qui nous attend, et c’est très probablement quelque chose de vraiment terrifiant.
La pandémie mondiale de coronavirus a d’énormes implications géopolitiques. Le monde ne sera plus jamais le même. Cependant, il est prématuré de parler du genre de monde qui finira par exister. L’épidémie n’est pas finie : nous n’avons même pas atteint le pic. Les principaux points inconnus demeurent :
- Quel genre de pertes subira finalement l’humanité – combien de morts ?
- Qui sera capable de stopper la diffusion du virus, et comment ?
- Quelles sont les conséquences réelles pour ceux qui ont été malades et ceux qui ont survécu?
Personne ne peut encore répondre à ces questions même approximativement, et donc nous ne pouvons même pas imaginer les véritables dommages. Dans le pire scénario, la pandémie conduira à un déclin sérieux de la population mondiale. Au mieux, la panique s’avérera prématurée et infondée.
Mais même après les premiers mois de la pandémie, certains changements géopolitiques globaux sont déjà tout à fait évidents et largement irréversibles. Quelle que soit la manière dont les événements ultérieurs se dérouleront, quelque chose a changé une fois pour toutes dans l’ordre mondial.
Le dégel de l’unipolarité
Le début de l’épidémie de coronavirus a été un moment décisif dans la destruction du monde unipolaire et l’effondrement de la globalisation. La crise de l’unipolarité et l’échec de la globalisation est visible depuis le début des années 2000 – la catastrophe du 11 Septembre, la forte croissance de l’économie de la Chine, le retour à la politique mondiale de la Russie de Poutine comme entité politique de plus en plus souveraine, la forte activation du facteur islamique, la crise grandissante des migrants et la montée du populisme en Europe et même aux Etats-Unis qui entraîna l’élection de Trump et beaucoup d’autres phénomènes parallèles ont fait apparaître que le monde formé dans les années 90 autour de la domination de l’Occident, des Etats-Unis et du capitalisme global est entré dans une phase de crise. L’ordre mondial multipolaire commence à se former avec de nouveaux acteurs centraux, des civilisations, comme prévu par Samuel Huntington. S’il y avait des signes de multipolarité émergente, une tendance est une chose et la réalité objective en est une autre. C’est comme de la glace fissurée au printemps – il est clair qu’elle ne durera pas longtemps, mais en même temps elle est indéniablement là – vous pouvez même la traverser, bien que ce soit risqué. Personne ne peut savoir quand la glace fissurée cédera vraiment.
Nous pouvons maintenant commencer le compte à rebours vers un ordre mondial multipolaire – le point de départ est l’épidémie de coronavirus. La pandémie a enterré la globalisation, la société ouverte et le système capitaliste global. Le virus nous a forcés à aller sur la glace et des enclaves individuelles de l’humanité ont commencé à prendre leurs trajectoires historiques séparées.
Le coronavirus a enterré tous les mythes majeurs de la globalisation :
- l’efficacité des frontières ouvertes et l’interdépendance des pays du monde,
- l’aptitude des institutions supranationales à faire face à une situation extraordinaire,
- la solidité du système financier mondial et de l’économie mondiale dans son ensemble lorsqu’ils font face à des défis sérieux,
- l’inutilité des Etats centralisés, des régimes socialistes et des méthodes disciplinaires pour résoudre des problèmes aigus et la supériorité complète des stratégies libérales sur ceux-ci,
- le triomphe total du libéralisme comme panacée pour toutes les situations problématiques.
Leurs solutions n’ont pas marché en Italie, ni dans les autres pays de l’UE, ni aux Etats-Unis. La seule chose qui s’est avérée efficace a été la fermeture radicale de la société, le fait de miser sur les ressources domestiques, un fort pouvoir d’Etat et l’isolement des malades vis-à-vis des gens en bonne santé, des citoyens vis-à-vis des étrangers, etc.
En même temps, même les pays de l’Occident ont réagi à la pandémie de manières très différentes : les Italiens ont introduit la quarantaine complète, Macron a introduit un régime de dictature d’Etat (dans l’esprit des Jacobins), Merkel a donné 500 milliards d’euros pour soutenir la population, et Boris Johnson, suivant l’esprit de l’individualisme anglo-saxon, a suggéré que la maladie soit considérée comme une affaire privée pour chaque Anglais et refusé de mener un dépistage, sympathisant à l’avance avec ceux qui perdront des proches. Trump a établi l’état d’urgence aux Etats-Unis, fermé les communications avec l’Europe et le reste du monde. Si l’Occident agit de manière si disparate et si contradictoire, alors que dire des autres pays ? Chacun semble chercher à se sauver comme il le peut. Cela a été le mieux accompli par la Chine qui, en résultat des politiques pratiquées par le Parti communiste, a instauré des méthodes disciplinaires dures pour combattre l’infection et a accusé les Etats-Unis de la répandre. La même accusation a été faite par l’Iran, qui a été durement touché par le virus – y compris parmi les principaux dirigeants du régime.
Ainsi le virus a déchiré la société ouverte et projeté l’humanité dans son voyage vers un monde multipolaire.
Quelle que soit la façon dont se terminera le combat contre le coronavirus, il est clair que la globalisation s’est effondrée. Cela pourrait presque certainement indiquer la fin du libéralisme et de sa domination idéologique totale. Il est difficilement possible de prévoir la version finale du futur ordre mondial – spécialement dans ses détails. La multipolarité est un système qui historiquement n’a pas existé, et si nous en cherchons un analogue éloigné, nous devrions nous tourner non vers l’ère des Etats européens plus ou moins équivalents après le monde westphalien, mais vers l’époque précédant l’ère des Grandes Découvertes, quand, en même temps que l’Europe (divisée en pays chrétiens occidentaux et orientaux), le Monde Islamique, l’Inde, la Chine et la Russie existaient en tant que civilisations indépendantes. Les mêmes civilisations existaient dans la période précoloniale en Amérique (les Incas, les Aztèques, etc.) et en Afrique. Il y avait des liens et des contacts entre ces civilisations, mais il n’y avait pas un seul type dominant avec des valeurs, des institutions et des systèmes universels.
Le monde post-coronavirus impliquera probablement des régions mondiales individuelles, des civilisations et des continents qui se formeront graduellement en acteurs indépendants. En même temps, le modèle universel du capitalisme universel s’effondrera probablement. Ce modèle sert actuellement de dénominateur commun de toute la structure de l’unipolarité : de l’absolutisation du marché à la démocratie parlementaire et à l’idéologie des droits de l’homme, incluant les notions de progrès et de la loi de développement technologique qui sont devenues des dogmes dans l’Europe du Nouvel Age et qui se sont répandus dans toutes les sociétés humaines au moyen de la colonisation (directement ou indirectement sous la forme de l’occidentalisation).
Beaucoup de choses dépendront de ceux qui vaincront l’épidémie et comment : là où les mesures disciplinaires s’avéreront efficaces, elles entreront dans l’ordre politique et économique du futur comme une composante essentielle. La même conclusion peut être atteinte par ceux qui, au contraire, ne parviendront pas à conjurer la menace d’une pandémie au moyen de l’ouverture et en évitant des mesures dures. L’aliénation temporaire dictée par la menace directe de la contagion venant d’un autre pays et d’une autre région, la rupture des liens économiques et l’aliénation nécessaire vis-à-vis d’un système financier unique forceront les Etats victimes de l’épidémie à rechercher l’autosuffisance, parce que la priorité sera la sécurité alimentaire, une autonomie et une autarcie économique minimum pour répondre aux besoins vitaux de la population en-dehors de tous les dogmes économiques qui, avant la crise du coronavirus, étaient considérés comme la seule possibilité. Même là où le libéralisme et le capitalisme seront préservés, ils seront placés dans le cadre national, dans l’esprit des théories mercantilistes prônant le maintien d’un monopole du commerce extérieur dans les mains de l’Etat. Ceux qui sont moins liés à la tradition libérale pourraient bien se diriger dans d’autres directions, dans l’inventaire de l’organisation optimale du « grand espace », en prenant en compte les particularités civilisationnelles et culturelles.
On ne peut pas dire à l’avance ce que deviendra finalement le modèle multipolaire dans son ensemble, mais le fait même de la rupture du dogme généralement dominant de la globalisation libérale ouvrira des opportunités et des voies complètement nouvelles pour chaque civilisation.
Après le coronavirus : la sécurité multipolaire
Le monde multipolaire créera une architecture de sécurité entièrement nouvelle. Elle ne sera peut-être pas plus viable ou adaptable pour la résolution des conflits, mais elle sera différente. Dans ce nouveau modèle, l’Occident, les Etats-Unis et l’OTAN, si l’OTAN existe encore, seront juste un facteur parmi d’autres. Les Etats-Unis eux-mêmes ne seront clairement pas capables (et probablement ne voudront pas, si la ligne Trump prévaut finalement à Washington) de jouer le rôle d’arbitre mondial unique, et par conséquent les Etats-Unis acquerront un statut différent après la quarantaine et l’état d’urgence. Il pourrait être comparé au rôle d’Israël au Moyen-Orient. Israël est indubitablement un pays puissant, influençant activement l’équilibre de puissance dans la région, mais il n’exporte pas son idéologie et ses valeurs dans les pays arabes environnants. Au contraire, il préserve son identité juive pour lui-même, tentant plutôt de se libérer des porteurs d’autres valeurs plutôt que de les inclure dans sa composition. La construction d’un mur face au Mexique et l’appel de Trump aux Américains pour qu’ils se concentrent sur leurs problèmes internes sont similaires à la voie d’Israël : les Etats-Unis seront un pays puissant, mais ils garderont leur idéologie libérale-capitaliste pour eux-mêmes, plutôt que pour attirer des outsiders. La même chose s’appliquera pour l’Europe. Par conséquent, le facteur le plus important du monde unipolaire changera radicalement son statut.
Cela conduira bien sûr à une redistribution des forces et des fonctions entre les autres civilisations. L’Europe, si elle garde son unité à un certain degré, créera probablement son propre bloc militaire indépendant des Etats-Unis, qui fut déjà discuté après l’effondrement de l’Union Soviétique (le projet de l’Eurocorps) et a été évoqué à plusieurs reprises par Macron et Merkel. N’étant pas directement hostile aux Etats-Unis, un tel bloc suivra dans de nombreux cas les intérêts européens propres, qui pourraient parfois différer fortement de ceux des Etats-Unis. Avant tout, cela affectera les relations avec la Russie, l’Iran, la Chine et le monde islamique.
La Chine devra se transformer, passant de bénéficiaire de la globalisation à une puissance régionale et s’adaptant pour poursuivre ses intérêts nationaux en tant que telle. C’est exactement ce vers quoi ont tendu tous les processus en Chine dernièrement – renforcement du pouvoir de Xi Jinping, projet de « Routes de la Soie » [OBOR], etc. Cela ne concernera plus la globalisation avec des caractéristiques chinoises, mais un projet extrême-oriental explicite avec des caractéristiques confucéennes spéciales et partiellement socialistes. Les conflits avec les Etats-Unis dans l’océan Pacifique deviendront clairement plus aigus à un certain moment.
Le monde islamique fera face au problème difficile du nouveau paradigme de l’auto-organisation, puisque dans les conditions de formation des grands espaces – Europe, Chine, USA, Russie, etc. – les pays islamiques individuels ne pourront pas pleinement se mesurer aux autres et défendre efficacement leurs intérêts. Il devra y avoir plusieurs pôles d’intégration islamique – chiite (avec l’Iran pour centre) et sunnite, où, avec l’Indonésie et le Pakistan en Orient, un bloc sunnite occidental autour de la Turquie et de certains pays arabes comme l’Egypte ou les pays du Golfe sera probablement construit.
Et finalement, dans l’ordre mondial multipolaire, la Russie a une chance historique de se renforcer comme civilisation indépendante qui verra un accroissement de pouvoir en résultat du déclin important de l’Occident et de sa fragmentation géopolitique interne. Cependant, en même temps, ce sera aussi un défi : avant de s’affirmer pleinement comme l’un des pôles les plus influents et puissants du monde multipolaire, la Russie devra passer le test de la maturité, préservant son unité et réaffirmant ses zones d’influence dans l’espace eurasien. On ne voit pas encore clairement où se trouveront les frontières sud et ouest de la Russie-Eurasie dans l’après-coronavirus. Cela dépendra largement du régime, des méthodes et des efforts dont la Russie fera usage pour conjurer la pandémie et des conséquences politiques que cela aura. De plus, il est impossible de prédire exactement l’état des autres « grands espaces » – les pôles du monde multipolaire. La constitution du périmètre russe dépendra de nombreux facteurs, dont certains pourraient s’avérer très dangereux et conflictuels.
Graduellement, un système d’arbitrage multipolaire sera formé – soit sur la base de l’ONU réformée sous les conditions de la multipolarité, soit sous la forme d’une nouvelle organisation. Encore une fois, tout dépendra ici de la manière dont le combat contre le coronavirus se déroulera.
Le virus comme mission
Il ne faut pas s’y tromper : la pandémie mondiale de coronavirus est un tournant dans l’histoire mondiale. Non seulement les indices boursiers et les prix du pétrole s’effondrent, mais l’ordre mondial lui-même est en train de tomber. Nous vivons dans la période de la fin du libéralisme et de son « évidence » comme méta-récit global, de la fin de ses mesures et standards. Les sociétés humaines deviendront bientôt flottantes : plus de dogmes, plus d’impérialisme du dollar, plus d’incantations au libre marché, plus de dictature de la FED ni d’échanges boursiers mondiaux, plus de soumission à l’élite médiatique mondiale. Chaque pôle construira son futur sur ses propres fondations civilisationnelles. Il est évidemment impossible de dire à quoi cela ressemblera ou à quoi cela mènera. Cependant, il est déjà clair que le vieil ordre mondial est en train de devenir une chose du passé, et que les contours très distincts d’une nouvelle réalité sont en train d’émerger devant nous.
Ce que ni les idéologies, ni les guerres, ni les féroces batailles économiques, ni la terreur, ni les mouvements religieux n’ont pu faire, un virus invisible mais mortel l’a accompli. Il a apporté avec lui la mort, la souffrance, l’horreur, la panique, la tristesse… mais aussi le futur.
Nous croyons que le vide de l’univers est en équilibre, c’est-à-dire que le cycle entier d’entropie possible est passé… mais si c’était seulement une apparence ?
Le coronavirus et l’effondrement de l’ordre mondial
Depuis quelques décennies nous nous attendions à quelque chose de fatal, quelque chose d’irréversible et de décisif. Peut-être que l’épidémie de coronavirus sera cet événement.
Il est trop tôt pour tirer des conclusions précises, mais certains éléments de géopolitique et d’idéologie ont peut-être déjà passé le point de non-retour.
L’épidémie de coronavirus représente la fin de la globalisation. La société ouverte est mûre pour l’infection. Quiconque veut supprimer les frontières prépare le terrain pour l’annihilation totale de l’humanité. Vous pouvez sourire, bien sûr, mais des gens en combinaisons de protection blanches mettront fin aux rires inappropriés. Seule la fermeture peut nous sauver. La fermeture dans tous les sens – frontières fermées, économies fermées, fourniture fermée de biens et de produits, ce que Fichte appelait un « Etat de commerce fermé ». Soros devrait être lynché, et un monument devrait être bâti en l’honneur de Fichte. Leçon n° 1.
Deuxièmement : le coronavirus tourne la dernière page du libéralisme. Le libéralisme a facilité la diffusion du virus – dans tous les sens. L’épidémie requiert la démolition de toutes les différences. Le libéralisme est le virus. Un peu plus de temps passera, et les libéraux seront identifiés à des « lépreux », des « maniaques » contagieux qui appellent à danser et à faire la fête au milieu de la peste. Le Libéral est le porteur du coronavirus, son apologiste. C’est particulièrement le cas s’il s’avère qu’il a été créé aux Etats-Unis, la « citadelle du libéralisme », comme arme biologique. Leçon n° 2 : le libéralisme tue.
Troisièmement : les critères pour le succès et la prospérité des pays et des sociétés sont en train de changer spectaculairement. Dans la bataille contre l’épidémie, ni la richesse de la Chine ni le système social européen, ni l’absence de système social aux Etats-Unis (qui a la plus grande armée et le plus grand pouvoir financier du monde) ne les sauveront. Même le régime spirituel et vertical iranien est impuissant. Le coronavirus a coupé tout le sommet de la civilisation – pétrole, finance, libre-échange, le marché, la domination totale de la FED… les dirigeants du monde sont impuissants. Des critères complètement différents sont apparus :
- la possession d’un antivirus
- l’aptitude à assurer la vie d’une manière autonome pour eux-mêmes et pour leurs proches dans des conditions de fermeture maximum.
Répondre à ces critères signifie réévaluer toutes les valeurs. Le vaccin est dans la province de ceux qui ont très probablement développé le virus, et ce n’est donc pas une solution fiable. Cependant, la fermeture et la transition vers l’autosuffisance est quelque chose que chacun peut faire, bien que faire cela requiert la multipolarité. Les petites fermes et les échanges naturels survivront à l’effondrement total de tout.
Donc, quels seraient les prochaines mesures logiques après une marche triomphante du coronavirus à travers la planète ? Au mieux, l’apparition de plusieurs zones mondiales relativement fermées – des civilisations, des grands espaces, ou – au pire – les mondes de Mad Max et de Resident Evil. La série russe « L’épidémie » est en train de devenir une réalité devant nos yeux.
Les dieux de la peste
Je commence à comprendre pourquoi les dieux de la peste étaient respectés et adorés dans certaines sociétés. La venue de la peste permet un renouvellement complet des sociétés. L’épidémie n’a pas de logique et n’épargne ni le noble ni le riche, ni le puissant. Elle détruit tout le monde d’une manière indiscriminée, et ramène les gens au simple fait de l’être. Les dieux de la peste sont les plus honnêtes. Antonin Artaud écrivit des choses là-dessus, comparant le théâtre à la peste. Le but du théâtre, d’après Artaud, est, avec toute la cruauté possible, de faire revenir l’homme au fait qu’il est, qu’il est ici et maintenant, un fait qu’il tente constamment et obstinément d’oublier. La peste est un phénomène existentiel. Les Grecs appelaient Apollon Smintheus « le dieu souris » et attribuaient à ses flèches le pouvoir d’apporter la peste. C’est ainsi que commence l’Iliade, comme chacun sait.
C’est ce qu’Apollon ferait s’il regardait l’humanité moderne – banquiers, blogueurs, rappeurs, députés, employés de bureau, migrants, féministes… C’est bien cela.
Buñuel a fait un film nommé « L’Ange Exterminateur » qui est plus ou moins là-dessus.
Comment le monde finit
On peut aussi prendre note des éléments de l’épidémie qui semblent suggérer une origine humaine, permettant à l’Occident d’utiliser le virus contre ses adversaires géopolitiques (ce qui explique la Chine et l’Iran, mais pas l’Italie et les autres) ou même un début d’extermination ciblée de tous ces milliards d’humains en trop par un petit cercle de l’humanité disposant d’un vaccin lui-même produit par le « progrès » et la « société ouverte ». Dans ce cas, les « dieux de la peste » pourraient s’avérer être des représentants très spécifiques de l’élite financière globale, qui a depuis longtemps compris les « limites de la croissance ». Mais même dans ce cas – spécialement si cela n’est pas le début d’un génocide global complet, mais seulement un test – la conclusion est la même : ceux qui prétendent être responsables des sociétés humaines ne sont pas ce qu’ils semblent être.
Le libéralisme est seulement un prétexte pour l’extermination de masse, comme l’étaient la colonisation et la diffusion des standards de la civilisation occidentale. Les élites globales et leurs marionnettes locales comptent peut-être survivre grâce à un vaccin, mais quelque chose suggère que c’est peut-être là que le bât blesse. Le virus pourrait se comporter d’une manière imprévue, et les processus qui ont commencé au niveau civilisationnel, et même dans des événements individuels spontanés et imprévisibles, pourraient perturber leurs plans soigneusement pensés.
Toute l’économie mondiale ne s’effondrera peut-être pas en quelques mois, mais elle semble se diriger exactement dans cette direction…
Tout ce que les modernes considèrent comme « durable » et « fiable » est pure illusion, le coronavirus est en train de le montrer clairement et vivement. En fait, dès que la logique de l’événement continuera de se développer un peu plus, nous pourrions voir comment le monde finit – du moins le monde que nous connaissions. Et en même temps, les premiers contours de quelque chose d’autre commenceront à apparaître.
Matière en danger
Il est curieux que parallèlement au coronavirus, qui est devenu en un sens le sujet de la civilisation, des discussions sur les « bulles de néant » ont commencé dans la communauté scientifique, réactivant certaines hypothèses du fameux physicien Edward Witten, l’un des principaux théoriciens des phénomènes des « super-cordes ».
Edward Witten
D’après les idées des physiciens modernes, des « bulles de néant » peuvent surgir d’un « faux vide », c’est-à-dire un vide qui n’a pas atteint la stabilité, mais qui semble seulement l’avoir atteint. Dans le monde déca-dimensionnel (avec 4 dimensions ordinaires et 6 de plus, présentes par la compacification), de telles « bulles de néant » sont très probables. Si elles apparaissent, elles pourraient aspirer des galaxies dans le néant et avaler l’Univers. Ces tourbillons produits par des vides instables sont très impressionnants.
Et encore une fois, comme dans le cas du coronavirus, ils disent « rien de mal ne se produit, tout est sous contrôle ». Des représentants de l’élite scientifique nous rassurent en disant que la chance de l’apparition des « bulles de néant » est ridiculement faible.
Mais il me semble qu’elle ne l’est pas. Au contraire, elle est très importante. Le monde moderne est précisément une telle « bulle de néant » qui se développe rapidement, absorbant le sens et dissolvant l’existence : le libéralisme et la globalisation sont ses expressions les plus vivaces. Le coronavirus est aussi une bulle de néant.
La nature du virus lui-même est intéressante (bien que je déteste le concept de « nature », il n’y a rien de plus insensé). C’est quelque chose entre un être vivant – il a de l’ADN ou de l’ARN – et un minéral (il n’a pas de cellules). Cependant, il nous rappelle avant tout un réseau neuronal ou même une Intelligence Artificielle. Il est là ou il n’est pas, vivant, ou inanimé… c’est précisément ce qu’est le « vide non-équilibré » [nonequilibrium vacuum], qui crée ces « bulles de néant ».
Nous croyons que le vide de l’univers est en équilibre, c’est-à-dire que le cycle entier de l’entropie possible est passé… mais si c’était seulement une apparence ?
Quand vous entendez l’histoire du marché de Wuhan et que vous imaginez le combat entre des chauves-souris et des serpents venimeux, leur féroce échange de contagion et leurs mortelles flèches microscopiques de non-existence formées en couronne, il est impossible d’échapper à l’image des bulles de néant. Le même sentiment est provoqué par la chute du prix du pétrole et l’effondrement des indices boursiers. Même la guerre – avec sa spécificité et son éveil existentiel – ne nous sauve pas de l’attaque du néant, puisque la motivation des guerres modernes est si profondément emmêlée dans des intérêts matériels, financiers et corrompus, ayant perdu sa pureté originelle : la rencontre directe avec la mort. Elle sert seulement de bulle de néant supplémentaire, accomplissant ses instructions de conduire la matière vers l’oubli total.
La peste comme Evénement
Est-il possible qu’après avoir surmonté le coronavirus, l’humanité tire les conclusions appropriées, mette fin à la globalisation, rejette les superstitions libérales, stoppe les migrations et mette fin aux obscènes inventions techniques qui submergent toujours plus profondément les gens dans des labyrinthes sans fin de matière ? La réponse est très clairement non. Chacun reviendra rapidement à ses vieilles habitudes en un clin d’œil, avant même que les victimes aient été enterrées. Dès que – c’est-à-dire, si – les marchés reprendront vie et que le Dow Jones se réveillera, tout reviendra à la normale. Le naïf est celui qui pense le contraire. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que même une épidémie de cette ampleur sera transformée en un malheureux malentendu. Personne ne comprendra le sens de la venue des dieux de la peste, personne ne pensera aux « bulles de néant » et tout se répétera encore et encore jusqu’à ce que l’on atteigne le point de non-retour.
Si l’on prête soigneusement attention au passage du temps, il devrait être clair que nous sommes actuellement en train de franchir ce point.
Cela fait bientôt quatre ans que le philosophe russe Alexandre Douguine est interdit de séjour dans l’ensemble de l’Union dite européenne en raison de ses prises de position interventionnistes contre l’Ukraine. Cette interdiction n’empêche heureusement pas les vaillantes éditions Ars Magna de Nantes de poursuivre et d’amplifier la parution en français des ouvrages du penseur de la « quatrième théorie politique ». Il y en aurait plus de soixante-dix disponibles en russe…
En octobre 2019 paraissait dans la collection « Heartland » Les racines de l’identité (écrits eurasistes 2012 – 2015) (300 p., 30 €) suivi un mois plus tard dans la même collection par Le retour des grands temps (écrits eurasistes 2016 – 2019) (449 p., 32 €). Le titre de ce dernier livre est une référence évidente à un ouvrage de Jean Parvulesco sorti en 1986 chez Guy Trédaniel. Alexandre Douguine n’a jamais caché son admiration pour ce romancier qui joua dans À bout de souffle de Jean-Luc Godard. Il est compréhensible que l’éditeur en reprenne le titre.
Dans ces deux nouveaux ouvrages, Alexandre Douguine prend acte de la domination tyrannique de l’Occident matérialiste ultra-moderne. Il offre en réponse une alternative résolument non libérale qui ne puise pas dans ces échecs historiques que furent le communisme et le fascisme. Dans cette « ère des titans » post-moderniste, l’auteur s’applique à définir de nouvelles orientations. Ainsi confirme-t-il que l’ennemi principal, l’ennemi majeur, l’ennemi prioritaire demeure « le libéralisme [qui] est le nom de la mort (Le retour…, p. 26) ». En effet, « le libéralisme détruit tout sens de l’identité collective, écrit-il avec raison, et, logiquement, le libéralisme détruit l’identité européenne (avec sa soi-disant tolérance et ses théories des droits humains) (Idem, p. 72) ». Il dénonce en outre la complicité étroite des différentes coteries politiciennes, du gauchisme sociétal à l’extrême droite suprémaciste en passant par les formations institutionnelles, qui se soumettent aux injonctions libérales.
Il insiste sur la démarche macabre du monde occidental et ne s’étonne pas de l’actuelle mode des zombies qui déferlent au cinéma, dans la bande dessinée, dans les séries télé et dans les jeux vidéo. Il prend en contre-exemple l’action déterminante de Vladimir Poutine. « Il choisit la puissance, pas la démocratie, affirme Douguine. L’unité, pas le pluralisme territorial. L’ordre, et pas le chaos sanglant et la guerre civile. En bref, face à la mort, Poutine choisit la vie. La vie du pays, de l’État, de la nation (Id., p. 207). »
En ce moment crucial où « la post-modernité doit être globale (Id., p. 223) », Alexandre Douguine considère que « la redécouverte de la pré-modernité est la seule action logique. Ici nous rencontrons la philosophie traditionaliste et la critique essentielle du monde moderne en tant que concept (Id., p. 223) ». De tels propos pourraient dérouter plus d’un lecteur. Toutefois, si l’auteur commente l’actualité politique (il mise beaucoup sur les Gilets Jaunes français pour contrecarrer les manœuvres mondialistes), il s’appuie toujours sur la géopolitique qui « dans l’ère de la fin des idéologies est la seule manière d’interpréter correctement les relations internationales et certains processus intérieurs. Ainsi, poursuit-il, l’ignorance de la géopolitique est une action contre soi-même. Si vous n’êtes pas sujet de la géopolitique, vous êtes simplement son objet (Id., p. 305) ».
Alexandre Douguine fournit à tous les combattants anti-cosmopolites de bien belles munitions tant spirituelles que politiques, culturelles que sociales qu’on comprend mieux maintenant pourquoi il est devenu l’ennemi public n°1 de la République globalitaire des Lettres inverties.
Georges Feltin-Tracol
• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 162, mise en ligne sur TV Libertés, le 2 mars 2020.
Publicado en la revista Elementy #2, Moscú, Rusia. Traducción de Juan Gabriel Caro Rivera
“La perversión debe entrar al mundo, pero desgracia para aquellos a través de cuyos esfuerzos vendrá”. Evangile
Después de la Guerra del Golfo, casi todos los medios de comunicación en Rusia, así como en Occidente, inyectaron en el lenguaje común la fórmula “Nuevo Orden Mundial”, acuñada por George Bush, y luego utilizada por otros políticos, incluidos Gorbachov y Yeltsin. El Nuevo Orden Mundial, basado en el establecimiento de un Gobierno Mundial Único, como lo han admitido con franqueza los ideólogos de la Comisión Trilateral y Bildenburg, no es simplemente una cuestión de dominación político-económica de una cierta camarilla “oculta” de banqueros gobernantes internacionales. Este “Orden” se basa en la victoria a escala mundial de una determinada ideología especial, por lo que el concepto se refiere no solo a los instrumentos de poder, sino también a la “revolución ideológica”, una conciencia de “golpe de estado”, un “nuevo pensamiento”. La vaguedad de las formulaciones, el secretismo y la cautela constantes, el misterio deliberado de los mundialistas no permiten, hasta el último momento, discernir claramente el contorno de esta nueva ideología, que decidieron imponer a los pueblos del mundo. Y solo después de Irak, como si siguiera las órdenes de alguien, se acabaron ciertas prohibiciones y aparecieron varias publicaciones, que comenzaron a llamar a las cosas por sus nombres propios. Entonces, intentemos, sobre la base del análisis realizado por un grupo de autores de la junta editorial de “Elementos”, definir, en los términos más generales, los conceptos básicos de la ideología del Nuevo Orden Mundial.
El Nuevo Orden Mundial representa en sí mismo un proyecto escatológico y mesiánico, muy superior en alcance a otras formas históricas de utopías planetarias, como el primer movimiento protestante en Europa, el califato árabe o los planes comunistas para una revolución mundial. Quizás, estos proyectos utópicos sirvieron como preludios a la forma final del mundialismo, ensayos que probaron mecanismos de integración, efectividad de las estructuras de mando, prioridades ideológicas, métodos tácticos, etc. Tomando esto por un lado, el mundialismo contemporáneo, absorbiendo la experiencia del protestantismo, de las herejías escatológicas, las revoluciones comunistas y los cataclismos geopolíticos de siglos pasados han agudizado sus formulaciones finales, determinando finalmente lo que era pragmático e incidental en formas anteriores, y lo que realmente compuso la tendencia básica de la historia en el camino hacia el Nuevo Orden Mundial. Después de una secuencia completa de vacilaciones, ambigüedades, pasos pragmáticos y retiradas tácticas, el mundialismo contemporáneo finalmente ha formulado sus principios fundamentales con respecto a la situación presente. Estos principios se pueden asignar a cuatro niveles:
1. Económico: la ideología del Nuevo Orden Mundial presupone un establecimiento completo y obligatorio del sistema de mercado capitalista liberal en todo el planeta, sin tener en cuenta las regiones culturales y étnicas. Todos los sistemas socioeconómicos que llevan elementos de “socialismo”, “justicia social o nacional”, “protección social” deben ser completamente destruidos y convertidos en sociedades de “mercado absolutamente libre”. Todos los coqueteos pasados del mundialismo con modelos “socialistas” se están deteniendo por completo, y el liberalismo del mercado se está convirtiendo en la única forma dominante económica del planeta, gobernado por el Gobierno Mundial.
2. Geopolítico: la ideología del Nuevo Orden Mundial da preferencia incondicional a los países que comprenden el Occidente geográfico e histórico en contraste con los países del Este. Incluso en el caso de una ubicación relativamente occidental de un país u otro, siempre será favorecida en comparación con su vecino del este. El esquema implementado previamente de alianza geopolítica de Occidente con el Este contra el Centro (por ejemplo, el Occidente capitalista junto con la Rusia comunista contra la Alemania nacionalsocialista) ya no es utilizado por el mundialismo contemporáneo. La prioridad geopolítica de la orientación occidental se está volviendo absoluta.
3. Étnico: la ideología del Nuevo Orden Mundial insiste en la máxima mezcla racial, nacional, étnica y cultural de los pueblos, dando preferencia al cosmopolitismo de las grandes ciudades. Los movimientos nacionales y mininacionales, utilizados anteriormente por los mundialistas en su lucha contra el “gran nacionalismo” de tipo imperial, serán reprimidos decisivamente, ya que no habrá lugar para ellos en esta Orden. En todos los niveles, la política nacional del Gobierno Mundial se orientará hacia la mezcla, el cosmopolitismo, el crisol, etc.
4. Religiosos: la ideología del Nuevo Orden Mundial está preparando la llegada al mundo de una cierta figura mística, cuya aparición se supone que cambiará drásticamente la escena religioso-ideológica en el planeta. Los ideólogos del mundialismo están convencidos de que lo que se quiere decir con esto es la llegada al mundo de Moshiah, el Mesías que revelará las leyes de una nueva religión a la humanidad y realizará muchos milagros. La era del uso pragmático de las doctrinas ateas, racionalistas y materialistas por los mundialistas ha terminado. Ahora, proclaman la llegada de una época de “nueva religiosidad”.
Esta es exactamente la imagen que emerge de un análisis de las últimas revelaciones realizadas por ideólogos de la Comisión Tripartita, el Club Bildenburg, el Consejo Americano de Relaciones Exteriores y otros autores, atendiendo intelectualmente al mundialismo internacional en niveles muy diferentes, comenzando con el “neoespiritualismo” y terminando con diseños económicos y estructurales concretos de tecnócratas pragmáticos. El estudio cuidadoso de estos cuatro niveles de la ideología del Gobierno Mundial es una preocupación de muchos proyectos y trabajos de investigación serios, una parte de los cuales, esperamos, aparecerá en las páginas de los siguientes volúmenes de “Elementos”. Pero nos gustaría centrarnos en varios aspectos en este momento. En primer lugar, es importante tener en cuenta que esta ideología no puede calificarse como “derecha” o “izquierda”. Más que eso, dentro de él existe una superposición esencial y consciente de dos capas, relacionadas con las realidades políticas polares. El Nuevo Orden Mundial es radical y rígidamente “derechista” en el plano económico, ya que asume la primacía absoluta de la propiedad privada, los mercados completamente libres y el triunfo de los apetitos individualistas en la esfera económica. Simultáneamente, el Nuevo Orden Mundial es radical y rígidamente “izquierdista” en el frente político-cultural, ya que la ideología del cosmopolitismo, la mezcla y el liberalismo ético pertenecen tradicionalmente a la categoría de prioridades políticas “izquierdistas”. Esta combinación de la “derecha” económica con la “izquierda” ideológica sirve como eje conceptual de la estrategia mundialista contemporánea, la base para el diseño de la próxima civilización. Esta ambigüedad se manifiesta incluso en el mismo término “liberalismo”, que, en el nivel económico, significa “mercados absolutamente libres”, pero en el nivel ideológico designa una “ideología moderada de permisividad”. Hoy, podemos afirmar justificadamente que el Gobierno Mundial basará su dictadura no en algún modelo típico de “tiranía totalitaria”, sino en principios del “liberalismo”. Reveladoramente, es en este mismo caso que la terrible parodia escatológica llamada Nuevo Orden Mundial será perfeccionada y completada.
En segundo lugar, Occidente, al frente de las teorías geopolíticas del Nuevo Orden Mundial como el hemisferio donde se pone el Sol, el Sol de la Historia, asume el papel de un modelo estratégico y cultural. En el curso de la última etapa de realización de proyectos mundialistas, el simbolismo natural debe coincidir completamente con el simbolismo geopolítico, y la complejidad de la construcción, las maniobras y las alianzas políticas del bloque geopolítico anteriores, que los mundialistas usaron antes para alcanzar sus objetivos, ahora dan paso a Una lógica geopolítica clara como el cristal, que incluso un simplón es capaz de comprender. En tercer lugar, desde el punto de vista de tendencias religiosas tan diversas como el cristianismo ortodoxo y el islam, Moshiah, cuya llegada se supone que facilitarán las instituciones mundialistas en construcción, está claramente y sin ninguna duda asociada con la figura siniestra del Anticristo. Como se deduce de la lógica misma del drama apocalíptico, en el curso de la última lucha, el enfrentamiento ocurrirá no entre lo Sagrado y lo profano, ni entre Religión y ateísmo, sino entre Religión y pseudo-religión. Es por eso que Moshiah del Gobierno Mundial no es simplemente un “proyecto cultural”, un nuevo “mito social” o una “utopía grotesca”, sino que es algo mucho más serio, real, terrible. Es completamente obvio que los opositores al mundialismo y los enemigos del Nuevo Orden Mundial (los miembros del personal de “Elementos” se consideran entre ellos) deben asumir una posición radicalmente negativa con respecto a esta ideología. Esto significa que es necesario contrarrestar al Gobierno Mundial y sus planes con una ideología alternativa, formulada al negar la doctrina del Nuevo Orden Mundial.
La ideología radicalmente opuesta al mundialismo también se puede describir en cuatro niveles.
1. Económico: prioridad de la justicia social, la protección social y el factor nacional “comunitario” en el sistema de producción y distribución.
2. Geopolítico: una clara orientación hacia el Este y solidaridad con los sectores geopolíticos más orientales al considerar los conflictos territoriales, etc.
3. Étnico: lealtad a las tradiciones y rasgos nacionales, étnicos y raciales de los pueblos y estados, con una preferencia especial por el “gran nacionalismo” de tipo imperial en contraste con los mini-nacionalismos con tendencias separatistas.
4. Religioso: devoción a las formas religiosas originales y tradicionales: lo más importante, el cristianismo ortodoxo y el Islam, que identifican claramente la “nueva religiosidad”, el Nuevo Orden Mundial y Moshiah con el jugador más siniestro del drama escatológico, el Anticristo (Dadjal en árabe).
El frente de guerra ideológica antimundialista también debe combinar en sí mismo elementos de ideologías “izquierdistas” y “derechistas”, pero debemos ser “derechistas” en términos políticos (en otras palabras, “nacionalistas”, “tradicionalistas”, etc.) y ” izquierdista “en la esfera económica (en otras palabras, partidarios de la justicia social,” socialismo “, etc.) De hecho, esta combinación no es solo un programa político convencional y arbitrario, sino una condición necesaria en esta etapa de la lucha. La prioridad geopolítica de Oriente nos obliga a renunciar por completo a los diferentes prejuicios “anti-asiáticos”, a veces sostenidos por la derecha rusa bajo la influencia de un mal y completamente inoportuno ejemplo de la derecha europea. El “anti-asiaticismo” solo juega en manos del Nuevo Orden Mundial. Y, finalmente, la lealtad a la Iglesia, las enseñanzas de los Santos Padres, el cristianismo ortodoxo es un elemento necesario y el más importante de la lucha antimundialista, ya que la sustancia y el significado de esta lucha es elegir al Dios verdadero, el “lado correcto”, la “parte bendecida”. Y nadie podrá salvarnos del falso encanto, el pecado, la tentación, la muerte, en este terrible viaje, excepto el Hijo de Dios. Debemos convertirnos en su anfitrión, su ejército, sus siervos y sus misioneros. El Gobierno Mundial es la última rebelión del mundo inferior contra lo Divino. Corto será el instante de su triunfo. Eterno será la alegría de aquellos que se unirán a las filas de los “últimos luchadores por la Verdad y la Libertad en Dios”.
China is recognized to be an independent and unique civilization by virtually everyone, and therefore there is no need to prove this. Rather, we are faced with attempting to reveal the structure of this civilization’s Logos and to determine as much as is possible its geosophical map both within the borders of China and beyond, as well as in its dialogue with neighboring civilizations.
Chinese culture has exercised an enormous and at times decisive influence on neighboring peoples, first and foremost on Korea, Vietnam, and Japan, all of which during certain eras held themselves to be part of Great China – not in the sense of political unity, but as indelible and organic parts of Chinese civilization and the Chinese horizon. This horizon also substantially impacted the peoples of Tibet as well as the nomads of Turan bordering China from the North. Moreover, we can encounter definite influences of the Chinese element among the peoples of Indochina and South-East Asia, such as in Cambodia, Laos, Myanmar, Thailand, Malaysia, as well as, although to a lesser extent, Indonesia and the Philippines.
On the other hand, China itself has in some cases re-translated tendencies and influences originating in other civilizations. China was heavily influenced by the peoples of Turan, who often came to form the core of the ruling elites (such as among the Xianbei, the Mongols, the Manchurians, etc).[1] In the most ancient periods of Chinese history, the Indo-European factor was significant, as the Indo-Europeans remained the main force of the Eurasian Steppe up to the first few centuries AD.[2] It is from the Indo-Europeans that the ancient Chinese borrowed the horse, the chariot, and a number of cultural forms, above all the art of war, which the Indo-Europeans of Turan had developed with priority.
Also Indo-European in semantics and origins was Buddhism, which became widespread in China from the first to third centuries AD and came to constitute an important component of the Chinese tradition. Buddhism spread to China directly from India [3], as well as from Central Asia and the Tarim Basin, which were inhabited by Indo-European peoples. A certain role in this process was played by Tibet which, on the one hand, itself experienced Chinese influence while, on the other hand, represented a civilization in which the Indo-European vector was decisive.[4]
In studying China, we can apply our traditionally employed methodologies of civilizational analysis which have helped us to attain the level of ultimate generalizations which we have in the topography of noology.[5] If we succeed in hinting at the priorities in the noological structure of Chinese civilization, if we can approach the revelation of the main characteristics (existentials) of the Chinese Dasein, and if we can reveal just which Logos or Logoi of the three main ones is dominant in China, then we will consider our task to be fulfilled.
The Significance of the Works of Marcel Granet: “We, Chinese”
In unraveling the intricacies of the deeply original, unparalleled, unique Chinese culture, we will be guided by the works of an author who, from our point of view, while himself a European, nevertheless maximally profoundly delved into this culture’s structures and provided a most reliable description of it. We have in mind the French sociologist Marcel Granet (1884-1940), who devoted all of his scholarly life to studying China. Granet built his methodology along the following principles:
Western European authors studying China have all, without exception, proceeded in their interpretations from the Eurocentric positions and paradigms of Modernity, reinterpreting social relations, political ideas, philosophical terms, religious practices, and so on in their own key, and thereby constructing an artificial Chinese historial seen from the position of either a detached observer nevertheless claiming universalism and truth in the final instance, or from direct (even if unconscious) colonial attitudes. Thus, any European interpretations will certainly remain within the paradigmatic treatment of China as a “society of barbarians”, that category into which all developed (“non-savage”) civilizations qualitatively differing in their structures from the European societies of Modernity automatically fall. Thus, Eurocentric Orientalism is one-sided, biased, and unreliable.
Chinese historians themselves, in reflecting on the essence and structures of their civilizations, have erected an historial founded on one or another dynastic, philosophical, ideological, or at times religious preference, which also thereby presents a one-sided and ideologized version that cannot be taken as the final truth, and which must be constantly verified and corrected.
We are left with pursuing a third way, that of immersion into Chinese civilization, its language, history, philosophy, customs, rites, art, politics, and society as a whole, attempting to identify its immanently inherent patterns on the basis of sociological and anthropological methodologies, and trying to adhere as close as possible to how the Chinese understand themselves without losing sight of the distance necessary for correcting social self-consciousness (the collective consciousness a la Durkheim) with regards to the general process of its historical changes and dynastic, religious, and geographical versions and alternatives.
Marcel Granet’s method applied towards China is in many respects similar to that of Henry Corbin (1903-1978) in his deep study of Iranian and Irano-Islamic civilization, a methodology which Corbin himself called the “phenomenology of religion.”[6] It is impossible to correctly describe a society’s self-consciousness if it is deliberately held that everything in which they themselves believe is “ignorant prejudice” or “empty chimeras.” Yet China can be understood only upon taking the position of the Chinese, agreeing to consciously trust how they see the world and just which world they constitute with their view. Just as Corbin said in his study of Iranian Shiism “We, Shiites”, Marcel Granet could well say of himself “We, Chinese” without any intention of irreversible altering his identity from being European to Chinese. In studying Chinese identity, European (or in our case Russian) identity ought, temporarily and in accordance with quite specific anthropological and sociological methodologies, be forgotten, so as to later (insofar as one desires) return to such, being enriched with radically new and previously inconceivable civilizational and even existential experience.
In his approach, Marcel Granet combined the holistic sociology of the Durkheim school and the methodologies of the “annals school”, which resulted in the conceptualization of society as a whole phenomenon and the treatment of the changes in society’s structure over the course of long historical periods not as differing, strictly discontinuous periods, with which conventional historical chronicles usually operate, but as processes of continuous and gradual mutations. The foundations of this methodology were substantiated in detail by Fernand Braudel with his famous concept of the “long durée.”[7] Granet devoted a number of fundamental works to China, namely: The Ancient Festivals and Songs of China, The Religion of the Chinese, The Dances and Legends of Ancient China, Sociological Studies on China, and his two generalizing and most important works, Chinese Civilization and Chinese Thought.[8-13]
Georges-Albert de Pourvourville and the Traditionalists
In addition to Granet, a substantial contribution to the comprehension of Chinese civilization has been supplied by Georges-Albert Puyou de Pourvourville (1862-1939), who wrote under the name Matgioi and studied Chinese civilization from within, spending many years in China. Pourvourville-Matgioi was initiated into the Taoist tradition by a Chinese teacher and passed on his acquired knowledge in his works on Chinese metaphysics, The Rational Way and The Metaphysical Way, in his books The Middle Empire and The China of the Learned, and in his translations of Lao Tzu’s Tao Te Ching andQuangdzu’s The Spirit of the Yellow Race.[14-19] Another outstanding Traditionalist, Julius Evola (1898-1974), subsequently translated the Tao Te Ching into Italian.[20]
Pourvourville formulated his aim in the following words:
“I shall try to reveal to the Western twentieth century this treasure, hidden for five thousand years and unknown even to some of its keepers. But first I wish to establish the main features of this tradition, by virtue of which it is the first and, as follows, the true Tradition, and to mainly determine, by way of the tangible evidence accessible to man which this tradition’s authors have left us, how the relics of this tradition date back to the era when in the forests covering Europe and even the West of Asia wolves and bears were nearly no different from people who, clothed like them in skins, devoured coarse flesh.”[21]
Matgioi thus emphasized that he believed the Chinese tradition to be the most ancient and primordial (similar to how other Traditionalists, such as Guénon and Coomaraswamy, saw the Primordial Tradition in Hinduism). At the same time, Pourvourville-Matgioi did not simply try to prove that the Chinese tradition is comparable to the European but, as can be seen in the preceding passage, he was convinced that in all of its completeness, depth, and antiquity, it was superior to European culture as a whole, not to mention the European culture of Modernity, which Traditionalists univocally regard as degenerate and in decline.
Pourvourville was close to René Guénon (1886-1951), the founder of European Traditionalism, and was one of Guenon’s main sources of acquaintance with the Chinese tradition. Guénon himself devoted a fundamental work, The Great Triad,to Chinese metaphysics, and therein largely relied on the ideas of Matgioi.[22] Matgioi and Guénon’s works are important in that they approach Chinese metaphysics from within, accepting the religious point of view of the Taoist tradition to the extent that such is accessible to people of European culture. Further important accounts of the Chinese spiritual tradition are contained in the works of the historian of religions and author close to Traditionalism, Mircea Eliade (1907-1986), particularly his work Asian Alchemy, a considerable portion of which is devoted to the Chinese tradition.[23]
The Han Horizon: The People of the Milky Way
As is the case with any people, in examining the Chinese it is difficult to definitively determine just which layer of identity, which is necessarily multilayered and dialectically changing in its proportions over time, ought to be taken as our point of reference. Without a doubt, we are dealing with a civilization, and this means with a formalized and reflexive Logos embodied in philosophy, tradition, culture, politics, and art. In antiquity Chinese civilization achieved full disclosure, that is to say the Ausdruck stage in Leo Frobenius’ terminology. We can study this Logos, analyze and comment on it by studying and systematizing its elements and layers. In and of itself, this is already an extremely complex task, as Chinese civilization has gone through multiple principal phases entailing qualitative semantic shifts and, as follows, substantial adjustments have been ingrained into the fundamental paradigm of the Chinese Logos.
As we have shown in the volume of Noomakhia dedicated to Geosophy, the Logos of Civilization represents the highest layer of civilizational formation, from the “sowing” of the principal vertical Logoi (of Apollo, Dionysus, and Cybele) to its yields and crops in the form of culture. The Logos is the final stage when the yields of culture are harvested over the final stage of the agrarian cycle. At the base of civilization lies a cultural or existential horizon, or Dasein (in this case the Chinese Dasein). The latter precedes the formation of civilization, but is at the same time its semantic foundation. Dasein, as an existentially understood people, as an existing people (whose existing presupposes history, i.e., time) also presupposes Logological structures on which it is founded. [24-25] Therefore, we must study Chinese civilization by constantly taking into account the existential foundations on which it has been erected.
Yet in order to correctly examine and interpret the Chinese historial, i.e., the forms of the historical being of this people, it is necessary to discern the main horizon to act as the semantic axis taken as the point of reference. This always requires a choice, insofar as every horizon is complex, composite and is co-participated in simultaneously by multiple sub-horizons or layers with often differing noological orientations and trajectories. Thus, from the very outset, we must make a choice and recognize as the main existential core one Dasein which will be the “subject” of this historial. In the case of the Chinese horizon, the Han should be considered this axis as the people embodying the Chinese Logos that built this civilization, this Empire, and its special Chinese world.
The Han people emerged as a self-designation only with the Han Dynasty from 206-220 BC, which replaced the short-lived Qin Dynasty, when the unification of Chinese territories was accomplished. The name “Han” (Chinese: 漢) literally means “Milky Way”, which points towards the symbolic connection between Han identity, the sky, and cyclical movement.[26] In the Qin and Han eras, different tribes inhabiting the territory China and belonging predominantly to the Sino-Tibetan language group began to recognize their unity – culturally, historically, religiously, and so on. It is also evident that a certain unity of tradition was necessarily characteristic of even earlier forms of tribal associations, such as in the Zhou and more ancient periods, memory of which was imprinted in myths and legends. In any case, it is the Han people that ought to be taken, in a broad sense, as the foundational pole of the Chinese historial. We can define the earlier stages of the Han historial as proto-Han, after which Han identity later began to spread to neighboring horizons both within China and beyond, thereby including in the composition of its Dasein other ethnic and cultural groups. Yet at all of these stages, we are dealing with a semantic whole that is predominant and dominant in the space of Chinese history and Chinese geography. The Han Chinese are the subject of Chinese civilization, and they can be regarded as the main bearers of the resulting Logos, whose noological nature we are tasked with discerning over the course of our study.
Therefore, the phenomenological formula by which we shall be guided should be clarified: moving from “We, Chinese” to “We, Han” reflects our intention to be in solidarity with the Han Dasein in the reconstruction of the Chinese historial and to look through its eyes at the history, mythology, politics, and religion of China.
[7] Braudel F. Écrits sur l’histoire. Paris: Arthaud, 1990. See also: Alexander Dugin, Noomakhia: Geosophy.
[8] Granet М. Fêtes et chansons anciennes de la Chine. Paris: Albin Michel, 1982.
[9] Granet M. La Religion des Chinois. Paris: Albin Michel, 2010.
[10] Granet M. Danses et légendes de la Chine ancienne. Paris: Les Presses universitaires de France, 2010.
[11]Granet M. Études sociologiques sur la Chine. Paris Les Presses universitaires de France, 1953.
[12] Granet M. Китайская цивилизация. Moscow: Algoritm, 2008.
[13] Granet M. Китайская мысль от Конфуция до Лао-цзы. Moscow: Algoritm, 2008.
[14] Matgioi. La Voie Rationnelle. Paris: Les Éditions Traditionnelles, 2003.
[15] Matgioi. La Voie Métaphysique. Paris: Les Éditions Traditionnelles, 1991
[16] Matgioi. L’Empire du Milieu. Paris: Schlercher frère, 1900.
[17] Matgioi. La Chine des Lettrés. Paris: Librairie Hermétique, 1910.
[18] Le Tao de Laotseu, traduit du chinois par Matgioi. Milano: Arché, 2004.
[19] L’esprit des races jaunes. Le Traité des Influences errantes de Quangdzu, traduit du chinois par Matgioi. Paris: Bibliothèque de la Haute Science, 1896.
[20] Evola J. Tao te Ching di Lao-tze. Roma: Edizioni Mediterranee, 1997. Другие тексты Эволы о даосизме собраны в небольшой брошюре «Даосизм»; Evola J. Taoism. Roma: Fondazione Julius Evola, 1988.
[21] Matgioi. Метафизический путь, p. 41 —42.
[22] Guénon R. La Grande Triade. Paris: Gallimard, 1957.
[23] Eliade М. Азиатская алхимия. М.: Янус-К, 1998.
Between the motives of revolutionary deeds of modernity, the infamous scourges of slavery, servility, misery, inequality, ignorance and submission have always marched by its rhetoric paths. Tangible and conscious motivations which transit from the lips of individuals to the parliaments of the great contemporary societies and whose combat cements the reasons for being of our modernistic social pacts. Much less adverted is the role of the image-concepts which lay transparent to our daily comprehension of reality and which on the contrary to their overstated and overestimated qualities, conform the rhizomatic nucleus that thrills the movement of men, societies, epochs. We talk of the capital ideas which build the visions about the world, men and history: the great metapolitical triad. Specially is, on the latter variable of the equation –history– that as fundamental category, gravitates the deep thinking of two great geniuses keep apart by geographic antipodes, but reunited in a very singular spirit of the critique against modernity. Nicolás Gómez Dávila, untimely genius of Colombian thinking, and Aleksandr Gel’evich Dugin, grand illustrious of the Russian intelligentsia; represent two taxa of one same philosophy, rising parallels in the illiberal denounce and building their critique, their poetry and their analytics around the different feelings of history which are being played to death in our contemporary epoch.
The authentic reactionary
The feeling of history which detents hegemony in modernity is the linear conception of history. According to the characterization of Dugin, this movement is denominated as monotonic process, understood as growth and accumulation in its own sense and by which one has “the idea that human society is developing, progressing, evolving, growing and each time is better and better”. And in front of the historic eugenics of such conception which debugs the spiritual manifestations still “archaic, pre-modern and not civilized”, diversity of criticisms arise which praises another understanding of time and history. Between them and our Colombian nation, the spirit of Nicolás Gómez Dávila is school for all the dissidents of modern times.
In his condemnation of modernity, the epithets of conservative and reactionary that are centered over Gómez Dávila do not represent to the author however, ashamed motives, but instead the opportunity to realize a transgressive position against modernist morality, re-signifying the appellatives as foundation of his own affirmative stance. Categorically and by principle we must reject any association of the traditional conception of reactionary with that of typical conservative. This is not the counter-revolutionary who fights against liberal and socialist ideas in order to save his comfortable position in the system. His reaction is found by us again in the terrain of confronted histories.
In front of the progressive liberal who swindles that history is liberty and to the radical progressive he affirms that history is right, the reactionary then exerts a haughty attitude in so far as, by accepting the partial dominion of both visions, decides to condemn both. The radical progressive is diagnosed with stupidity because history is immanent rationality which is insinuated progressively towards their absolute revelation. The liberal on his behalf assumes him as immoral in so far as history is liberty which wishes to be absolutely possesses by the man. Liberty as supreme value must not back down not even by the weight of honor. Both progressives guided –despite their differences– by the theological fatality of his history, they demand of the reactionary, gestures and symbols of compensation.
The first demands of him to renounce to condemn the fact is necessary, and the second to not limit himself to abstain if he confesses that the fact is reproachable. Both censor their passive loyalty to defeat.
The revolutionary ethic imperative of the radical and of the liberal, also comes from its historic conceptions. For the radical the spirit of history is the succession of progressive, necessary and determined phases towards the final dominion of universal reason. The moral obligation of the revolutionary is to contribute to the final advent the historic sense.
The radical progressive only adheres to the idea that history cautions, because the profile of necessity reveals the characteristics of new born reason. Since the very same course of history emerges the ideal norm which surrounds it.
Meanwhile for the liberal, the reason that the radical displays its creation of the human will which aspire for absolute freedom.
The revolutionary act condenses the ethical obligation of the liberal, because breaking with whatever bothers him is the essential act of freedom which he realizes.
However, and in front of kilometers of ink that liberals and radicals inject in order to legitimize their historical idea, the reactionary offers lessons and refutes the partial dogmas of the revolutionaries. “History is not necessity, nor freedom, but instead its flexible integration”. He refutes the progressives with their Hemiplegic stories:
The human dust does not seem to rise up like under the breath of a sacred beast; epochs do not seem to order themselves as stadiums in the embryogenesis of a metaphysical animal (…) The whimsical and free of charge will of man is not its rector supreme. The facts do not mold, like a viscous and plastic paste, between eager fingers.
History is not that “autonomous and unique dialectic process” which preaches the Hegelian theory of the one-history, the one-humanity realized in universal reason. All of the contrary, is dialectic diversity.
Indeed, history is not a result of one impersonal necessity, nor from human caprice, but from a dialectic of wills where freewill develops in necessary consequences (…) History, thus, is a tight union of hardened wills in dialectic processes. As deeper the layer where the freewill spreads would be, more diverse the zones of activity which the process determines, and greater its duration would be. The superficial and peripheral act runs out in biographic episodes, while the central and deep act can create an epoch for an entire society.
And under Dugin’s light, this central and profound action is found in the levels of the self-referentiality from one’s own consciousness, there where it runs away from itself in order to give origin to the intimate texture of time: the notions of present, past and future. It is not the world the one which contains time, but instead, the consciousness of man; which by endowing the world with time gives it reality, dimension and figure; in sum, the creation of the world by the internal me. Just as our Russian professor exposes, the future has an ontology, a reality which is nothing more than the one granted by the historicity of a people, of a civilizational organism. History for Dugin is melody –applying Husserlian phenomenology–; it has a content and a sense which is not comprehended without the existence of the entire musical structure, in so, the future as essential component of the melody.
When we comprehend well history, and its logic we can easily guess what will follow, what is about to occur and what will come next. Knowing society, we could identify in its history the harmony, the newspapers, the chorus and the structure of the piece.
Against all Universalist pretension Dugin affirms the cultural diversity of historic time. In each people the self-referentiality of their own historical consciousness –there where the contact with their own being configures their sense of time–, falls into different versions of history. In this sense, the eternal circular time finds its short-circuit in the center of its own consciousness: the past unites infinitely with the future; the image of the Ouroboros. The traditional time on its behalf finds the reencounter with its consciousness in the past, on that every sacred act would be a tireless search of getting back in time. On the contrary, the messianic time, hopes to re encounter its historical consciousness in the future; the inherent scatology to linear history. History, time itself, is and will always be local. Dugin claims:
It is for this reason that humanity as a whole, cannot have a future. It doesn’t have one.
The only possibility that men have –according to the Spenglerian vision– is the one of achieving the possibilities of their own culture not achieved yet. However, Dugin and Gómez Dávila evoke this crusade, the commonality of what surpasses what is purely historical in each culture.
Two stances facing history and the opening of the eternal
Asking for history is reflecting in front of the human condition and its freedom itself in and by time. It’s like this that diversity of answers installs different ethical stances and their consecutive historical praxis in front of how to act and build history. Alexander Dugin and Nicolás Gómez Dávila converge in such a way in their analysis of history and the ethical stance in front of the very same, however their praxis of rebellion moves divergently, but only for matter of layers.
Refuting the progressive sentiment of history does not contaminate Gómez Dávila to give for granted his own understanding of it. Precisely from these comes its ethical reactionary stance as pessimism and historical negation.
The collective epochs are the result of an active communion in an identical decision, or of passive contamination of inert wills; but while the dialectic process in which liberties have been verted lasts, the freedom of the uncomfortable one twists in ineffective rebellion.
In the democratic epoch, the man-mass –according to the Orteguian (Ortega y Gasset) conceptualization– determines the inclination of the historic balance. It is not justice or reason, neither freedom already alienated, but instead the weight of the number and the quantitative which moves our epoch to the endgame of senselessness. By recognizing the futility of its complaint, the reactionary gives the sober contemplation of inevitable defeat.
The reactionary admits the present sterility of its principles and the inutility of his censorships, it not because the spectacle of human confusions is enough. The reactionary does not abstain of acting because the risk might spook him, but because he estimates that actually the social forces are pouring fast the goal he disdains. Inside the present process, the social forces have dug its channel in the rock, and nothing will twist its course while it doesn’t fall in the satin of an uncertain plain.
This stance of patient contemplation which waits for the oppression of historic dialectic falls into its necessary consequences, recalls the opinion of Dugin about the attitude of the conservative revolutionaries which assume how the bad consciousness of times which passes by waiting for the final fatality provides a new opening for authentic freedom.
Let’s leave buffoonery of post-modernity to follow its course; let’s leave it erode the defined paradigms, the ego, the super-ego and the logos; let’s leave it join with the rhizomes, the schizophrenic masses and the fragmented consciousness; for nothingness to leave the substance of the world and, then, the secret doors will open and ancient and eternal ontological archetypes will come to the surface and, in a terrible way, will finish the game.
Then enters the scene of the “temporal” horizon over which his rebellion stance of both authors is funded. Critiquing modernity and its historical dialectic do not condemn them to sigh about past time. Here is the key of their lectures: history will always be history of men. Their social archetypes are trans-historical, supra-historical. The human history is just the excuse for eternal motives; the mundane epochs, colored projections from a far-away ether. Like this is for Dávila:
In effect, even when it would not be necessity, nor caprice, the history for the reactionary, is not however, dialectic of immanent will, but instead temporal adventure between men and what transcends him (…) If the progressive leans towards the future, and the conservative towards the past, the reactionary does not measure his desires with yesterday’s history or with the history of tomorrow.
In that same way Dugin clears the purpose of his rebellion against the monotonic system:
We want to oppose triumphant liberalism something that goes far beyond modernity, advocating the return of pre-modernity, to the traditional world. However, we must comprehend that it must not be a return to the past, but instead to the eternal principles of the tradition which belong to all epochs.
Eternity as its atemporal horizon then opens itself both in its philosophy which is rooted in the ontological, in the eternal present of the human being and the powers that transcends him. While the liberal conservative simply resists to negative tendencies of modernity and the traditionalist longs to return to the golden epochs of his culture, the conservative revolutionary clashes in order to:
Take out from the structure of the world, the roots of evil in order to abolish time itself as a destructive quality of reality and, by doing so, to fulfill like this some kind of parallel secret, the non-evident intention of deity itself.
History does not escape from man, but man does not escape man himself. The absolute liberty of the will from which the progressive mockingly displays has a “genetic” seal. The causality of freewill points out an ontological fingerprint in the effect it imprints over reality: it is the character of human nature, the Dasein (being-there) as the being of the authentic man.
But this liberty is falsified when the understanding of man in modernity, in his desire to conquer absolute liberty, abstracts man from himself. It is the kingdom of the inauthentic, of the crippled human essence. Just as it is warned from Heidegger to Dugin, is the inauthenticity of the Dasman (the-they). For Dugin and Gómez Dávila the true liberty is realized when man by opening himself to the eternal is reintegrated in his ontological essentiality recovering what’s contingent in the perennial and the perpetual in the immortal moment: the temporality of myth. And by opening himself to the eternal it is not but an excuse to accommodate for the sacred, understood as the permanent and most truthful, in the core of our being. As this for Gómez Dávila the liberty:
Is not an instance which fails conflicts between instincts, but instead the mountain from which the man contemplates the ascension of nine stars, between the luminous dust of the starred sky (…) the free instant dissipates the vain clarity of the day, in order for it to raise above the horizon of the soul, the immobile universe which slips its passing lights over the tremble of our flesh.
It is not the past which is eternal what gives absolute sense to the stance of the reactionary. Here in his final lines the “Authentic reactionary” unveils his spiritual inclination:
The reactionary does not claim what the next dawn might bring, neither does he grasps the last shadows of the night. His lair rises in that luminous space where the essences interpellate him with their immortal presences.
Action and contemplation
In the search of this “return”, or rather, des-hiding of the eternal sacred, both authors diverge in the what-to-do in front of modern domination. The anti-modern rebellion of Gómez Dávila is not a praxis of active aggressive politics, but instead a very personal negation to following the modern trend.
The reactionary, however, is the stupid which assumes the vanity of condemning history, and the immorality of yielding to it.
His stance is the patient personal contemplation which condemns and denies through crude and transgressive truth in the form of a prosaic, irreverent, elegant, aggressive criticism; but which is assumed as defeated in the contingency of the historical epoch. The reactionary rebels in regards of the sacred and the eternal are revealed freeing him of historical alienation.
The reactionary escapes servitude of history, because he chases in the human jungle the footsteps of divine steps. The men and the facts are, for the reactionary, the servile and mortal flesh which encourages tramontane wind blows. To be reactionary is to defend causes that do not roll over the board of history, causes which are not important to lose
On his behalf, Dugin prefers to choose the path of action and the active revolution in order to give a fatal blow to the already aging modernity and to redirect what must be fate itself. Everything is synthesized in his political work that culminates in revolutionary action which overcomes modern paradigms.
The return to the sacred must be conceived, in the Heideggerian context, as a new beginning, to be built around the concept of Dasein; this, the destruction of the individual concept in favor of the human, concrete, thoughtful fact (…) Marxists and socialists are kids in relation with the great spiritual, social and political revolution which we the representatives of the fourth political theory must realize.
Action and contemplation synthesize the stances which both intellectuals take facing history and which diverge the direction of their own existence. Both however realize their crusade against the tyranny of time and historical progressivism in order to reintegrate to the atemporal of the sacred. We must not discard however the literary plastering of Gómez Dávila simply as passivity and renunciation, the fact of eternizing his denounce already represents a rupture of political transgression. The difference of both perhaps could be understood by the historical contexts in which their biographies are framed. Gómez Dávila suffered the weight of “an epoch without foreseeable”, a “somber place of history” which determined his pessimism and condemned him to “resign to look with patience the human arrogances”, waiting to “act only when necessity is overthrown”. His projection is directed at the transcend which beats and calls inside each man. He points out with passionate prose:
The reactionary is not a nostalgic dreamer of abolished pasts, but instead the hunter of sacred shadows above eternal hills
On the other hand, Dugin enters into scene in a modernity which is crumbling but threatens to take to the grave the human essence itself with it. His rebellion is projected revolution over the earthly and the political action, without pretending in any way to transcend Dasein, which is an imperative task for each people. His proposal demands a new historical principle which culminates completely the end of modernity founding a new epochal life over the return of the sacred and eternal archetypes. For Gómez Dávila, this would be the return of the sign of Christ; its historical praxis: the devotion to the miracle. For Dugin, the aegis of his Russian Orthodox Church, which reaffirms however, a plural comprehension of the gods: the logos of each people.
In order to culminate such shallow exposition of two great anti-modern iconoclasts, we must comprehend that both thinkers complement each other in a rebellion which, being personal stance or political project, shows the anguish of two existences which have dealt with an oppressing and falsifying history for both, and that, however, they do not decant for completing the process with contingent propositions, rather attracting to themselves the immortal presences of the eternal as dominant recuperation of the authenticity of man in an “central and profound act” which could give origin to a new era for awakening the sacred.
References
Dugin, Alexander. (2012). “The Fourth Political Theory”. New Republic Editions. Barcelona-Spain.
Gómez Dávila, Nicolás (2013). “The authentic reactionary”. Properties of the Chimera N°314 (15-19). University of Antionquia.
Geopolitica.ru. (2017). “Tenemos que hacer explotar el sistema liberal: entrevista al politólogo ruso Alexander Dugin”.
Les routes de la soie au prisme du néo-eurasisme de Douguine : retour de Béhémoth ou triomphe du Léviathan ?
Ex: http://www.geolinks.fr
« La Grande Eurasie n’est pas un arrangement géopolitique abstrait, mais, sans exagération, un projet à l’échelle civilisationnelle, tourné vers l’avenir.»
Vladimir Poutine, mai 2017
« L’histoire mondiale est l’histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances continentales et des puissances continentales contre les puissances maritimes »
Carl Schmitt, 1942
Au cœur de la stratégie politique et commerciale internationale de la Chine depuis 2013, le système multi-vectoriel de projets des nouvelles routes de la soie (appelé officiellement Belt and Road Initiative, BRI1 depuis mai 2017), qui souhaite connecter les économies chinoises, européennes, africaines et centre-asiatiques par une densification des réseaux d’infrastructures de transports et de communication, se concrétise chaque jour un peu plus sérieusement. Avec ses différents volets (construction d’infrastructures terrestres et maritimes, coopération économique, énergétique et sociétale), c’est sans doute l’entreprise la plus ambitieuse au monde et, au vu du potentiel de développement économique et des implications géopolitiques qu’elle comporte2, elle suscite de plus en plus de partenariats.
Le 9 avril dernier s’est ainsi tenu à Bruxelles le 21ème sommet Chine-Union Européenne, occasion pour l’UE de déterminer une position commune vis-à-vis de la BRI et de discuter des synergies possibles avec son plan européen de connectivité Europe-Asie4, alors que, l’une après l’autre, les nations européennes signent bilatéralement des engagements dans le projet5.
Bien plus que les timides rapprochements des Européens, c’est la perspective de l’édification d’un axe Moscou-Pékin autour de cette initiative qui soulève les analyses géopolitiques les plus audacieuses : Ressurgirait la vieille menace, préfigurée par Mackinder en 1904 dans les propos concluants son « Pivot géographique de l’histoire »6, d’une Chine qui offrirait aux ressources immenses du continent une large façade océanique (ce qui caractérisait pour lui le véritable « péril jaune » menaçant la liberté du monde). En somme un « empire terrien eurasiatique » dominant le Heartland pourrait émerger et reléguer les puissances maritimes occidentales au second rang dans la rivalité générale pour la domination mondiale.Un tel traitement nous ramènerait aux fondamentaux de la discipline par une réappropriation de la dialectique Terre-Mer pour analyser le phénomène routes de la soie. Elle fascine toujours autant de par sa dimension symbolique et son caractère quelque peu réducteur, la rendant accessible au plus grand nombre.
Cela dit, il est vrai que depuis 2014 Russie et Chine ont opéré un rapprochement bilatéral notable7 et coopèrent de plus en plus activement au travers de la BRI : ainsi en mai 2015 fut-il décidé que l’initiative d’intégration continentale portée par la Russie, l’Union économique eurasiatique (UEE), y soit raccordée8 et en novembre 2017 la « route maritime du Nord » est devenue un des corridors de la BRI9. On relève aussi l’imbrication de l’initiative avec le développement de la coopération sino-russe au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS)10.
De facto, une certaine unification continentale dans l’espace eurasiatique semble donc s’esquisser11. Ceci pourrait alors confirmer la portée heuristique persistante de la clé de lecture Terre-Mer. Mais c’est surtout lorsque l’on entre dans une géopolitique des perceptions que cette dialectique conserve sa pertinence : Il existe en effet un paradigme géopolitique affirmant explicitement la nécessité pour la Russie de briser l’hégémonie des puissances maritimes et de reconstituer une unité politique sur la masse continentale eurasiatique, notamment en développant un partenariat stratégique avec la Chine. Cette vision est portée par les auteurs constituant le mouvement d’idée du néo-eurasisme12. C’est une doctrine très en vue en Russie mais aussi dans d’autres États d’Asie Centrale, notamment au Kazakhstan où l’(ex-)président Nursultan Nazarbaev la soutient explicitement13.
Parmi les différents faisceaux composant le mouvement néo-eurasiste, un auteur se distingue : Alexandre Douguine14. Sa pensée, bien que plus marginale aujourd’hui, a connu ses heures de gloire et continue d’inspirer une partie des élites dirigeantes russes, tout en nourrissant bien des fantasmes chez les commentateurs étrangers15. S’il est issu de la pensée eurasiste classique, il y adjoint des filiations intellectuelles peu habituelles qui singularisent ses propositions, les amenant dans un registre métapolitique, métahistorique et culturaliste : Le monde des phénomènes n’est pour lui que le reflet des puissances archétypales qui le meuvent depuis l’invisible et sa pensée s’inscrit dans la bataille gramscienne16 pour l’« hégémonie culturelle »17.
Les analyses ne manquent pas pour venir questionner les convergences et les limites des projets russes et chinois au-regard des ambitions géopolitiques eurasistes, mais elles s’inscrivent généralement sur des plans stratégique, économique, financier, juridique. Dans cette étude, nous souhaiterions sortir de l’empire des faits pour plonger plus profondément dans le monde des idées. Nous proposerons une lecture du phénomène nouvelles routes de la soie à travers le prisme de la doctrine géopolitique d’Alexandre Douguine, en essayant de nous approprier son discours original, structurant la vision-du-monde de certains acteurs impliqués dans le complexe de la BRI.
Nous nous demanderons donc si la Belt and Road Initiative participe de la constitution d’un bloc continental eurasien face à la thalassocratie atlantiste compatible avec les fondamentaux proposés par Alexandre Douguine pour la politique étrangère russe.
Nous exposerons synthétiquement les contenus de la doctrine géopolitique douguinienne et nous verrons que si les projets de la BRI s’inscrivent bien dans un renversement de la hiérarchie des puissances à l’échelle globale marqué par une revalorisation de l’« île mondiale » – donc à un balancement au profit de la Terre –, l’initiative pourrait constituer, sur un plan plus culturaliste, une submersion du continent par la Mer.
Les fondamentaux de la géopolitique d’Alexandre Douguine : la dialectique Terre-Mer revisitée par la « pensée de la Tradition »
Alexandre Douguine s’inscrit dans une filiation géopolitique a priori classique, à la suite de Ratzel (1882, 1900), Mahan (1892), Castex (1935), Mackinder (1904), Spykman (1944), puisqu’il reprend la récurrente opposition Terre-Mer : « La civilisation thalassique, anglo-saxonne […] serait irréductiblement opposée à la civilisation continentale, russe-eurasienne »19, et le cœur de leur affrontement serait le contrôle du Rimland20. Il a surtout hérité des conceptions allemandes, adoptant un prisme foncièrement culturaliste21 : Il associe comme intrinsèques à la civilisation thalassique les attributs de « protestante, d’esprit capitaliste » tandis que la civilisation continentale serait « orthodoxe et musulmane, d’esprit socialiste ». Il figure parmi les tenants d’une approche plutôt déterministe de cette dichotomie, prise non seulement comme clé de compréhension de la politique au niveau global mais aussi comme véritable « explication de l’histoire ». C’est là toute l’originalité de notre auteur, puisqu’il établit un parallélisme entre cette dichotomie, devenue classique en géopolitique, et la dialectique Tradition-Modernité.
Ce second couple conceptuel n’est pas appréhendé selon ses présentations dans la littérature anthropologique ou sociologique, mais entendu selon l’acception originale portée par une école parfois qualifiée de « pensée de la Tradition »22 qui présente des catégories de pensée très éloignées de celles que l’on rencontre habituellement dans le monde académique contemporain et déployée à la suite de l’œuvre du Français René Guénon. La Tradition renvoie chez ces auteurs « traditionistes »23 à une « Sagesse Éternelle » (Sophia Perennis), une connaissance sacrée, immuable et transcendante transmise aux hommes depuis l’origine de l’humanité. Cette Tradition connaîtrait cependant nécessairement un processus d’obscurcissement à travers les âges (afin que toutes les possibilités de l’Être se manifestent, même les plus inférieures), l’avènement du monde moderne correspondant selon eux à la dernière étape de cette dégradation, une ère chaotique précédent la résorption du monde dans l’incréé – ce que l’on retrouve dans les traditions spirituelles comme étant la « fin des temps ». Pour de tels auteurs, la politique ou l’histoire n’ont de sens qu’en tant qu’elles révèlent l’incarnation de principes métaphysiques – ou archétypes – c’est pourquoi nous évoquions en introduction les termes de métapolitique24 et de métahistoire.
Douguine reprend ces conceptions et s’inscrit parmi ces auteurs traditionistes : Chez lui, la puissance maritime « atlantiste » représenterait les forces de dissolution entraînant le monde moderne vers le chaos, tandis que l’Eurasie aurait pour vocation d’être le bastion de la Tradition, le katechon paulinien25 résistant à la venue des Temps. Ainsi dans son œuvre « l’eschatologie se mêle à la géopolitique », puisqu’il la déploie à partir de postulats visant à se positionner politiquement en fonction des fins dernières de l’homme et des entités politiques. Ce prisme métaphysique l’amène à étudier la politique, l’histoire ou la géographie seulement à travers les principes supérieurs qu’elles incarnent. La Russie et les puissances eurasiatiques deviennent l’incarnation de l’archétype structurant « Terre » (Béhémoth), représentant la Tradition, tandis que les stratégies des États-Unis et de leurs alliés sont lues comme faisant le jeu de l’archétype dissolvant « Mer » (Léviathan), associé aux idéologies modernes. Depuis ces postulats, Douguine propose de « constituer un grand bloc continental eurasien » (versant géopolitique) qui se veut « une force intégratrice, un esprit de renaissance »26 (versant eschatologique) en vue d’édifier un modèle multipolaire pour le système international.
Afin de réaliser cette ambition il propose dès les années 1990, en tant qu’« impératif stratégique majeur » pour la Russie, d’intégrer les pays de la CEI dans une Union Eurasienne fédéraliste : « une seule formation stratégique, unie par une seule volonté et par un seul but de civilisation commune »27. À partir de cette base, il appelle cette entité eurasienne à se rapprocher de ses « partenaires naturels » car en situation de « complémentarité symétrique » avec la Russie : UE, Japon, Iran, Inde. Ceux-ci pourraient devenir de véritable « sujets » des Relations internationales et de la mondialisation s’ils participaient à la sortie du système uni-polaire américano-centré (dans lequel ils n’en seraient que des « objets ») pour construire ensemble la multipolarité. Leur partenariat avec la Russie serait pour Douguine gagnant-gagnant, un renforcement mutuel, étant donné qu’ils ont chacun des éléments vitaux à échanger. D’autres formations géopolitiques intéressées par la multipolarité seraient ensuite encouragées à appuyer ce projet de ré-agencement du système international : Chine, Pakistan, pays arabes… alors que le Tiers-Monde serait plutôt partagé en zones d’influence pour des champions régionaux (le Pacifique constituerait la zone d’influence nippone, l’ Afrique la zone d’influence européenne… ici aussi on retrouve l’influence de l’école géopolitique allemande et des pan-ideen de Haushofer). La thalassocratie étasunienne serait quant à elle refoulée dans l’espace américain (sa zone d’influence naturelle). Ainsi aurait-on des entités géopolitiques puissantes avec leurs zones d’influences propres et un certain équilibre entre les pôles. Cet équilibre multipolaire permettrait alors à la puissance tellurique de laisser se redéployer la Tradition.
La question que nous poursuivons ici est de savoir si la BRI serait pour Douguine un vecteur potentiel pour ses propositions. Participe-t-elle de l’élan vers la « multipolarité traditionnelle » qu’il appelle de ses vœux ? Voyons alors quels élément dans les projets des nouvelles routes de la soie peuvent être décryptés comme participants des ambitions telluriques néo-eurasistes de réagencement du système international dont nous connaissons maintenant les fondamentaux.
La BRI, facteur d’intégration eurasiatique dans le cadre d’une redistribution globale des cartes de la puissance : quelle compatibilité avec le projet multipolaire néo-eurasiste ?
Vers la multi-polarisation
De prime abord, on peut considérer la BRI comme s’inscrivant dans une stratégie d’émancipation de l’uni-polarité américano-centrée. Comme évoqué en introduction, la BRI vise à développer des lignes de communication routières, ferroviaires et maritimes pour relier la Chine à l’Europe et à l’Afrique orientale, via l’Asie Centrale, le Caucase, la Russie, l’Iran, la Turquie… Couplée avec les initiatives menées dans l’OCS et l’UEE, l’initiative s’imbrique donc dans une stratégie générale d’intégration du Rimland avec la masse eurasiatique29, passant outre les instances multilatérales et les canaux de communications ouverts et normés par les États-Unis.
Ces ambitions pourraient donc bien conduire à la définition de normes non-américaines ou non-occidentales30. On le voit par exemple dans le système d’institutions financières élaboré pour financer les projets de la BRI : Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures, Fonds Routes de la soie, Nouvelle banque de développement des BRICS, associés à un appel aux fonds souverains des États impliqués dans le projet et aux banques commerciales, les projets se financeraient hors de l’orbite de la Banque mondiale (présidée depuis 1944 par un Américain) et du Fonds monétaire international, symboles de la domination internationale des normes américaines.
Vers la re-continentalisation
L’économie mondiale est à l’heure actuelle essentiellement dépendante des flux maritimes. Cette maritimisation des flux a conduit à une littoralisation des activités de production et donc de la démographie mondiale. En effet, puisqu’il faut exporter via les ports, les entreprises se sont rapprochées des côtes, entraînant alors des mouvements de population à la recherche d’emplois. La BRI, en faisant la part belle aux tracés terrestres, pourrait participer d’une re-continentalisation des supports logistiques de l’économie mondiale et, ce faisant, d’une re-continentalisation de ses pôles de productions.
C’est notamment le vecteur ferroviaire qui semble le plus porteur, grâce à une capacité d’emport supérieure et un coût inférieur de 80 % au transport aérien, pour des échanges deux fois plus rapide que par voie maritime31. Si 7500 conteneurs ont transité sur des trains intercontinentaux en 2012, l’objectif est de porter ce nombre à 7.500.000 pour 2020. Pour profiter de ces flux logistiques, de grandes entreprises telles Hewlett Packard ou Ford se sont déjà délocalisées depuis les côtes chinoises vers l’intérieur des terres pour se positionner sur ces lignes de trains prometteuses32.
Compatibilité de la BRI avec le projet néo-eurasiste : Multipolarité et continentalité ne suffisent pas, l’aspect culturel demeure le plus important
Ces dimensions, « terrestre » et multipolaire, semblent faire entrer la BRI en résonance avec les ambitions du projet néo-eurasiste d’Alexandre Douguine. À l’occasion du Belt and Road Forum de mai 2017, Vladimir Poutine a pu adopter la rhétorique néo-eurasiste en affirmant que grâce à des «formats d’intégration tels que la CEEA, l’OBOR, l’OCS et l’ASEAN, nous pouvons bâtir les bases d’un partenariat eurasien plus vaste» offrant une «occasion unique de créer un cadre de coopération commun qui va de l’Atlantique jusqu’au Pacifique, pour la première fois dans l’histoire». Il ajoute «La Grande Eurasie n’est pas un arrangement géopolitique abstrait, mais, sans exagération, un projet à l’échelle civilisationnelle, tourné vers l’avenir.»33.
Pour autant, même si la BRI renforçait l’organisation multipolaire du système international, et à supposer que la Chine laissera une place à la Russie dans ce nouvel ordre malgré l’asymétrie de leur relation, cela ne toucherait pas l’essence du projet néo-eurasiste. Car, au vu de ce que nous avons esquissé plus haut concernant la pensée traditionnelle, dans la philosophie archétypale douguinienne ce n’est pas la forme qui importe mais le fond, l’esprit. Aussi sa critique de l’uni-polarité thalassocratique ne concerne pas tant la maritimisation de l’économie mondiale que l’esprit maritime qui uniformiserait le monde. C’est pourquoi même si on assistait au reflux de la thalassocratie américaine par la multi-polarisation du système international et à une re-continentalisation de l’économie et de la démographie, une maritimisation culturelle du continent pourrait avoir lieu (un changement du « morphotype » sans modification du « psychotype »).
Cet esprit maritime est caractérisé par Carl Schmitt, l’une des racines intellectuelles d’Alexandre Douguine, qui veut montrer (selon Alain de Benoist, préfaçant la dernière édition de Terre et Mer de Schmitt) la relation logique entre la vie maritime et le libre-échangisme, le capitalisme, le libéralisme, l’individualisme, le parlementarisme, le droit-de-l’hommisme, le constitutionnalisme34… De plus, la « société liquide » (Bauman, 2000) trans-nationaliste créée par la civilisation océanique marchande amènerait peu à peu au délitement du politique, à l’enfoncement dans le fluctuant, le mouvant, le nomade, le réticulaire, le transitoire, à la fragmentation des identités et des sociétés dans l’homogénéité des flots35. Ce sont ces caractéristiques qui sont accolées chez Douguine à la thalassocratie et à la modernité. Le combat eurasiste ne serait donc pas gagné si cette mentalité continuait de s’imposer aux esprits. La multipolarité sans le souffle de la Tradition et la verticalité de la Terre ne serait pas plus souhaitable pour le néo-eurasiste que le système actuel.
Or la BRI est imprégnée à un certain niveau par cette mentalité moderniste : esprit marchand, capitalistique, libre-échangiste et faisant une large place aux marchés financiers ; réticulation de l’espace eurasien, recherche de la vitesse, du mouvement transfrontalier plutôt que de l’ancrage (les marchandises, les capitaux, les travailleurs seront amenés à migrer) ; le tout étant porté par une Chine maoïste, et donc héritière des idées révolutionnaires de 1789, athée, technocratique, pragmatique.
Bien évidemment, les dimensions libérales et constitutionnalistes qui termineraient de caractériser l’esprit maritime sont absentes. Nous sommes essentiellement face dans l’espace eurasien à des puissances (semi-)autoritaires, des démocratures (Max Liniger-Goumaz, 1992) pour qui la souveraineté, le politique, l’Ordre et l’identité (caractéristiques telluriques) sont encore des valeurs importantes (c’est pourquoi Douguine accorde une certaine dimension « traditionnelle » à l’idéologie socialiste, pourtant moderne36). Néanmoins, si l’on suit les auteurs de tendance contre-révolutionnaire, l’esprit moderne-maritime s’est imposé en Occident parce qu’une caste marchande transnationale a pu se constituer et se renforcer jusqu’à s’imposer politiquement pour ensuite dissoudre peu à peu cet ordre politique. Aussi la BRI pourrait-elle donc être l’ouverture nécessaire à la constitution d’une telle caste dans l’espace eurasiatique qui viendrait à terme renverser les valeurs telluriques prônés par Douguine.
Conclusion
Nous avons eu pour but dans cette étude de caractériser le projet des nouvelles routes de la soie au regard de la dialectique Terre-Mer « pérennialiste » d’Alexandre Douguine, qui peut être prise comme un croisement des pensées de Carl Schmitt et de René Guénon. La question était donc de savoir si ces projets constituaient une opportunité pour l’acheminement vers un système international multipolaire accompagné d’une réaffirmation des principes telluriques traditionnels dans l’ordre international – une « domination culturelle » de Béhémoth – ou au contraire s’ils favorisaient l’ouverture vers une diffusion de la mentalité thalassique et moderniste à tout l’espace eurasiatique – le « triomphe » de Léviathan.
Nous avons vu que la coopération stratégique sino-russe autour de la BRI, dans l’hypothèse où la Chine maintiendrait un partenariat équitable envers la Russie, pourrait conduire à une multi-polarisation du système international, avec un continent eurasiatique autonome vis-à-vis de la thalassocratie étasunienne, ce qui constitue le premier versant (géopolitique) du projet néo-eurasiste d’Alexandre Douguine. Cependant, si l’on considère les choses en profondeur et d’un point de vue culturel, l’initiative pourrait porter les germes de l’esprit moderne-maritime qu’il pourfend, le versant eschatologique de son projet serait alors condamné. En vue de constituer ce front de la Tradition37 qu’il appelle de ses vœux, son combat pour l’hégémonie culturelle ne s’arrêterait pas là, il lui faudra encore proposer un modèle permettant d’intégrer les tendances marchandes modernes dans un ordre tellurique politique traditionnel à l’échelle continentale et de maintenir les ancrages identitaires des peuples eurasiatiques.
Ainsi, au regard des fondamentaux de la vision douguinienne, nous pensons que les projets de la BRI pourraient caractériser une véritable croisée des chemins pour les Relations internationales : En effet, l’initiative porte en elle l’opportunité de voir se réaffirmer un ordre du monde basé sur des principes différents de ceux de la mentalité moderne occidentale, tout en comportant le risque de voir cette mentalité se diffuser rapidement au sein du « cœur du monde ». Au-delà même de la perspective eschatologique supportée par Douguine, nous pouvons y voir un réel enjeu en matière de diversité culturelle mondiale : la tension entre différentialisme et uniformisation, représentée chez Schmitt ou Douguine par le combat entre Béhémoth et le Léviathan (la Terre et la Mer au plan non plus géographique mais presque purement mental), est bien réelle !
***
Au delà de cette étude particulière, l’influence de Douguine sur la politique mérite selon nous d’être questionnée et étudiée, cet auteur connaissant une visibilité certaine tant en Russie que dans certaines mouvances idéologiques ouest-européennes. Cependant, si son discours géopolitique rencontre un certain écho et peut emporter l’adhésion parmi les élites russes, l’aspect « gnostique » de ses théories reste bien plus marginal (car estimé irrationnel, idéaliste, hors des critères de la pensée moderne, ou incompris, de par sa difficulté d’accès pour le grand public). Aussi est-il probable que si en apparence le néo-eurasisme et la politique étrangère russe convergent, le dessein recherché soit tout autre : D’un côté nous aurions une politique étrangère réaliste, somme toute moderne bien que conservatrice mais utilisant par opportunité la rhétorique néo-eurasiste, de l’autre une vision traditionnelle métaphysique dont les ambitions ne sont portées que par une minorité restreinte. Nous pensons toutefois que des études politologiques sur l’influence de sa pensée dans le champ des idées et des mouvements politiques serait pertinentes.
Sur un plan plus théorique, une étude conceptuelle sérieuse du couple Tradition-Modernité, confronté avec la réalité empirique, pourrait également offrir selon nous une clé herméneutique intéressante pour la discipline géopolitique, cette dialectique entendue dans son sens guénonien renvoyant à des double-mouvements (différenciation-uniformisation, conservatisme-progressisme, ancrage-nomadisme…) que l’on peut retrouver au cœur de la plupart des rivalités de puissance dans l’espace mondial.
Notes:
1 En chinois, le programme s’intitule Yidai yilu, « Une ceinture, une route » (« One Belt One Road », OBOR). En anglais, l’expression officiellement utilisée par Pékin est toutefois Belt and Road Initiative (BRI).
2 Pour une présentation synthétique du projet, voir notamment : LASSERRE Frédéric et MOTTET Eric, « L’initiative Belt and Road, stratégie chinoise du Grand Jeu ? », Diplomatie, numéro 90, 2018/1, pp. 36-40.
5 Ont déjà été signés des memorandums ou accords d’intégration entre la RPC et le Luxembourg, l’Italie, la Grèce, le Portugal, mais aussi la Lettonie, la Croatie, la Bulgarie ou Monaco. La Deutsche Bahn s’implique aussi financièrement, notamment par des investissement sur la principale ligne ferroviaire Pologne-Chine Voir « Qu’est que l’accord entre la Chine et l’Italie ? », OBOReurope, 24 mars 2019 (URL : https://www.oboreurope.com/fr/accord-chine-italie/, consulté le 11 avril 2019) et CLAIRET Sophie, « Pourquoi l’Europe risque de se perdre sur les nouvelles routes de la soie ? », GeoSophie, 6 janvier 2017 (URL : https://geosophie.eu/2017/02/05/pourquoi-leurope-risque-d..., consulté le 8 avril 2019).
6 MACKINDER Halford, « The Geographical Pivot of History », The Geographical Journal, vol. 23, 1904/4, pp. 421-437, p. 437 pour ces propos.
7 Voir BOULEGUE Mathieu, « La « lune de miel » sino-russe face à l’(incompatible) interaction entre l’Union Economique Eurasienne et la Belt & Road Initiative », Diploweb, 15 octobre 2017.
9 Voir « La route polaire et l’initiative Belt and Road », OBOReurope, 7 novembre 2017 (URL: https://www.oboreurope.com/fr/route-polaire/, consulté le 10 avril 2019). Voir aussi BRUNEAU Michel, L’Eurasie. Continent, empire, idéologie ou projet, Paris, CNRS éditions, 2018, pp. 294-295.
10 Laquelle a une réalité géopolitique conséquente : elle vise à faire coopérer politiquement des pays représentants 2.758.000.000 d’habitants, 38% des approvisionnements en gaz naturel, 20% du pétrole, 40% du charbon et 50% de l’uranium disponibles sur la planète. Voir DUPUY Emmanuel, « Les nouvelles Routes de la Soie et l’Asie Centrale : l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) en première ligne… », La Vigie, 16 novembre 2017 (URL : https://www.lettrevigie.com/blog/2017/11/16/les-nouvelles..., consulté le 4 avril 2019)
11 BOUCHARD Renaud et PORFIRYEV Boris, « L’économie russe et le basculement géostratégique », conférence donné dans le cadre du séminaire Franco-Russe « L’intégration eurasiatique en perspective / Евразийская интеграция в перспективе », Paris, EHESS, 14 septembre 2016 – 16 septembre 2016. URL : http://renaudbouchard.canalblog.com/archives/2016/09/22/3..., consulté le 6 avril 2019.
12 L’expression néo-eurasisme distingue ces auteurs du mouvement d’idées qualifié d’eurasisme classique, héritier du mouvement slavophile du XIXème siècle et qui finira par se rapprocher de la « révolution conservatrice » allemande. Pour l’histoire intellectuelle de ces mouvements, voir notamment : MEAUX (de) Lorraine, La Russie et la tentation de l’Orient, Paris, Fayard, 2010, 436 pages ; DRESSLER Wanda (dir.), Eurasie : espace mythique ou réalité en construction ?, Bruxelles, 2009, Bruylant, 410 pages (particulièrement pp. 49-68 et 95-106) ; SEDGWICK Mark, Contre le Monde Moderne. Le traditionalisme et l’histoire intellectuelle secrète du XXème siècle, Paris, Dervy, 2008, 380 pages (particulièrement pp/ 287 et ss.).
13 LARUELLE Marlène, « Le néo-eurasisme russe. L’empire après l’empire ? », Cahiers du monde russe [En ligne], 42/1, 2001, mis en ligne le 01 janvier 2007, pp. 71-94.URL: https://journals.openedition.org/monderusse/8437#bodyftn2, consulté le 5 avril 2019.
14 Philosophe, géopoliticien, écrivain et militant politique, né le 7 janvier 1962 à Moscou.
15 Par ses théories et son apparence physique, Alexandre Douguine est régulièrement qualifié de « Raspoutine », de « conseiller occulte du Kremlin », nourrissant des analyses assez éloignées de la réalité de son influence et parfois teintées d’un esprit « complotiste ».
16 Le concept d’hégémonie culturelle a été pensé par Antonio Gramsci, qui a décrit comment une classe dominante faisait aussi reposer son pouvoir sur une domination culturelle, à travers des outils tels que l’école ou les médias. Il s’agit alors pour les forces d’opposition de conquérir les esprits en diffusant au maximum leurs idéologies avant de pouvoir renverser le rapport de domination (préalable sans lequel le nouveau pouvoir ne saurait être accepté par la population), d’où la formule utilisée de « bataille gramscienne ».
19 Le Prophète de l’Eurasisme. Alexandre Douguine, Paris, Avatar Éditions, 2006, pp. 16.
20 Définit par Spykman comme « une région intermédiaire située […] entre le Heartland (cœur du monde) et les mers périphériques […] vaste zone tampon de conflits entre la puissance maritime et la puissance terrestre. Orientée des deux côtés, elle doit fonctionner de manière amphibie et se défendre aussi bien sur terre qu’en mer », car « Celui qui domine le Rimland domine l’Eurasie ; celui qui domine l’Eurasie tient le destin du monde entre ses mains ». Voir SPYKMAN Nicolas, The Geography of the Peace, New York, Harcourt, Brace and Co, 1944, p. 43.
21 La dialectique Terre-Mer est appréhendée dans la littérature géopolitique de façon plus ou moins pragmatique – conception surtout présente chez les Anglo-saxons – ou plus ou moins culturaliste – appréhension plutôt rencontrée chez les auteurs Allemands.
22 Formulation retenue par Christophe Boutin, voir BOUTIN Christophe, Politique et tradition. Julius Evola dans le siècle (1898-1974), Paris, Éditions Kimé, 1992, 513 pages ; Id., « Tradition et réaction : la figure de Julius Evola », In., « Les pensées réactionnaires », Mil neuf cent, n°9, 1991, pp. 81-97.
23 Néologisme proposé par le philosophe Pierre Riffard pour éviter les confusions avec le terme de « traditionalistes », utilisé aussi pour parler de courants politiques ou religieux réactionnaires. Voir : RIFFARD Pierre, L’Ésotérisme, Paris, Robert Laffont, 2003 (1990), 1032 pages. On rencontre parfois le terme « pérennialistes », bien qu’il vise plutôt la frange du mouvement développée sur le continent nord-américain. Voir HOUMAN Setareh, De la Philosophia Perennis au pérennialisme américain, Milan, Archè, 2010, 622 pages.
24 Le mot métapolitique est « à celui de politique ce que le mot métaphysique est à celui de physique […] la métaphysique de la politique » (MAISTRE Joseph (de), Considérations sur la France suivi de l’Essai sur le principe générateur des constitutions, Bruxelles, 2006 (1797), Éditions Complexe, p. 227), et vise à donner à une philosophie politique un fondement d’universalité par la référence à une vérité transcendante, le but étant d’orienter l’être et la société vers cette sphère, de traduire cette transcendance dans la réalité sociale en réfléchissant à l’organisation idéale de la Cité. Sous cette acception, le concept est à distinguer tant de la théologie politique (qui est le transfert de concepts théologiques dans le processus de construction de l’État) que du conservatisme (car il ne se réfère pas au passé mais à la métaphysique immuable, éternelle, supra-temporelle) ou de l’intégrisme (car il ne se réfère pas à une tradition spirituelle particularisée, mais à une Vérité absolue devant être supérieure à ces traditions). Voir BISSON David, René Guénon. Une politique de l’esprit, Paris, Pierre Guillaume de Roux, 2013, 527 pages, pp. 130 et s., qui utilise le triptyque infra-politique, politique, méta-politique comme clé méthodologique pour analyser l’impact de l’œuvre de Guénon.
25 Entité évoqué par l’apôtre saint Paul, le katechon est un être dont la nature n’est pas précisée et qui a pour vocation d’empêcher la venue de l’Antéchrist. Ce dernier ne peut se manifester pleinement tant que cette entité est dans le monde Voir dans la Bible les versets : 2 Thes. 2, 6-7.
28 Visible sur le site du mouvement EVRAZIA : http://evrazia.org/modules.php?name=News&file=article.... La carte 1 représente le monde unipolaire actuelle, la 2 la contre-stratégie que doit déployer la Russie pour briser l’uni-polarité, la 3 révèle les futures grandes zones d’influence souhaitées par le projet néo-eurasiste et la 4 les « grands espaces » géopolitiques au sein de ces zones.
29 STRUYE DE SWIELANDE Tanguy, « La Chine et ses objectifs géopolitiques à l’aube de 2049 », in « Regards géopolitiques », Bulletin du Conseil québécois d’études géopolitiques, volume 2, n°1, printemps 2016, pp. 24-28.
30 GARCIN Thierry, « Le chantier – très géopolitique – des Routes de la soie », Diploweb, 18 février 2018.
36 De toute manière, selon les postulats métaphysiques retenus par les auteurs comme Douguine, il n’existe aucun étant « pur » : tout ce qui est manifesté est constitué d’un dosage entre les différentes polarités. Concrètement, il ne peut exister d’entité entièrement tellurique ou entièrement thalassique.
37 En référence à l’ouvrage : DOUGUINE Alexandre, Pour le Front de la Tradition, Nantes, Ars Magna, 2017.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
––, Le Prophète de l’Eurasisme. Alexandre Douguine, Paris, Avatar Éditions, 2006, 349 p.
BISSON David, René Guénon. Une politique de l’esprit, Paris, Pierre Guillaume de Roux, 2013, 527 pages
BOUTIN Christophe, Politique et tradition. Julius Evola dans le siècle (1898-1974), Paris, Éditions Kimé, 1992, 513 pages
DRESSLER Wanda (dir.), Eurasie : espace mythique ou réalité en construction ?, Bruxelles, 2009, Bruylant, 410 pages.
FRANKOPAN Peter, Les Routes de la Soie. L’histoire du cœur du monde, Bruxelles, Éditions Nevicata, 2017, 732 pages.
HOUMAN Setareh, De la Philosophia Perennis au pérennialisme américain, Milan, Archè, 2010, 622 pages.
MAISTRE Joseph (de), Considérations sur la France suivi de l’Essai sur le principe générateur des constitutions, 2006 (1797), Éditions Complexe
MEAUX (de) Lorraine, La Russie et la tentation de l’Orient, Paris, Fayard, 2010, 436 pages.
RIFFARD Pierre, L’Ésotérisme, Paris, Robert Laffont, 2003 (1990), 1032 pages.
SCHMITT Carl, Terre et Mer (1942), Paris, Pierre Guillaume de Roux, 2017, 240 pages.
SEDGWICK Mark, Contre le Monde Moderne. Le traditionalisme et l’histoire intellectuelle secrète du XXème siècle, Paris, Dervy, 2008, 380 pages.
SPYKMAN Nicolas, The Geography of the Peace, New York, Harcourt, Brace and Co, 1944, 66 pages.
Articles
BOUTIN Christophe, « Tradition et réaction : la figure de Julius Evola », in., « Les pensées réactionnaires », Mil neuf cent, n°9, 1991, pp. 81-97.
LASSERRE Frédéric et MOTTET Eric, « L’initiative Belt and Road, stratégie chinoise du Grand Jeu ? », Diplomatie, numéro 90, 2018/1, pp. 36-40.
MACKINDER Halford, « The Geographical Pivot of History », The Geographical Journal, vol. 23, 1904/4, pp. 421-437.
STRUYE DE SWIELANDE Tanguy, « La Chine et ses objectifs géopolitiques à l’aube de 2049 », in « Regards géopolitiques », Bulletin du Conseil québécois d’études géopolitiques, volume 2, n°1, printemps 2016, pp. 24-28.
BOUCHARD Renaud et PORFIRYEV Boris, « L’économie russe et le basculement géostratégique », conférence donné dans le cadre du séminaire Franco-Russe « L’intégration eurasiatique en perspective / Евразийская интеграция в перспективе », Paris, EHESS, 14 septembre 2016 – 16 septembre 2016. http://renaudbouchard.canalblog.com/archives/2016/09/22/3...
BOULEGUE Mathieu, « La « lune de miel » sino-russe face à l’(incompatible) interaction entre l’Union Economique Eurasienne et la Belt & Road Initiative », Diploweb, 15 octobre 2017 https://www.diploweb.com/La-lune-de-miel-sino-russe-face-...
BOUCHARD Renaud et PORFIRYEV Boris, « L’économie russe et le basculement géostratégique », conférence donné dans le cadre du séminaire Franco-Russe « L’intégration eurasiatique en perspective / Евразийская интеграция в перспективе », Paris, EHESS, 14 septembre 2016 – 16 septembre 2016.http://renaudbouchard.canalblog.com/archives/2016/09/22/3...
DOUGUINE : Israël nous rapproche de l’Armageddon – la Déclaration de Trump sur les Hauteurs du Golan est de mauvais augure
Par Natalia Makeeva
La reconnaissance par le président américain Donald Trump de la souveraineté israélienne sur les Hauteurs du Golan continue à être discutée par des politiciens et des figures publiques autour du monde. Le décret correspondant a été signé par le dirigeant américain le jour d’avant, le 25 mars 2019. La Syrie a déjà déclaré que par cette mesure Trump a piétiné la loi internationale.
L’Agence d’Information Fédérale (FAN) rappelle que depuis de nombreux siècles, tout ce qui arrive en Israël, en Syrie et dans cette région est souvent interprété par une partie de la tradition intellectuelle à travers des interprétations chrétiennes, juives et islamiques comme associé à la Fin du Monde. FAN a discuté de cela avec le leader du « Mouvement Eurasien » international, le philosophe et politologue Alexandre Douguine.
Au début de la conversation, le philosophe a expliqué l’essence de l’Etat d’Israël du point de vue de la tradition religieuse juive.
« L’actuel Etat d’Israël est un simulacre. C’est une proclamation antisémite et antijuive dans tous les sens de ces concepts », assure Douguine. « Si vous le regardez depuis le judaïsme, c’est une parodie. En tant que partie du modèle eschatologique juif [décrivant la fin du monde], sa mission est une pure imposture. Le fait est que dans le judaïsme, dans l’histoire juive, le retour des Juifs dans la Terre Promise doit survenir au moment de l’arrivée du Moshiach [= le Messie]. Tant que le Messie ne vient pas, ils n’ont pas le droit religieux de revenir ici. L’Etat d’Israël est un obstacle pour le Messie. [Il faut choisir :] Le Moshiach ou Israël. »
Par conséquent, d’après Douguine, pour que le Moshiach puisse venir, Israël doit cesser d’exister, parce que c’est un simulacre, une tentative de remplacer le divin, du point de vue du judaïsme, par la volonté humaine.
Douguine explique que la reconnaissance des Hauteurs du Golan par Trump amène la Fin du Monde.
Quant à Trump, d’après l’interlocuteur de FAN, il est loin des sujets religieux.
« Trump, bien sûr, est un réaliste et un politicien complètement séculier. Il cherche des alliés parmi les mouvements conservateurs de droite, sans prêter attention à la religion à laquelle ils appartiennent », explique Douguine. « Il a misé sur quelques politiciens, en particulier sur Netanyahu. En même temps, Trump est absolument indifférent aux questions eschatologiques et elles n’ont pas de sens pour lui. Il soutient des politiciens simplement en raison des nécessités politiques ».
Quant au Golan, l’idée de reconnaître les droits d’Israël sur les Hauteurs du Golan de la Syrie, qui sont occupées par cet Etat [Israël], est une mesure purement politique.
« De mon point de vue, cela rend finalement plus proche l’effondrement de l’Etat d’Israël », dit Alexandre Douguine. « L’Amérique, représentée par Trump, peut temporairement soutenir Netanyahu, mais plus Israël agit agressivement et audacieusement, plus l’hostilité envers lui grandit, non seulement de la part de la population arabe mais aussi de la part d’autres pays ».
Par conséquent, conclut l’interlocuteur de FAN, le seul résultat de cette reconnaissance sera l’approche de la fin de l’Etat d’Israël.
« Et c’est la signification eschatologique », Douguine en est convaincu. « Lorsqu’il s’effondrera, les Juifs se retrouveront face à une nouvelle expulsion, recherchant un nouveau foyer, et alors, du point de vue des Juifs traditionnels, l’obstacle à la réalisation de leur scénario eschatologique sera éliminé. C’est dans ce sens et seulement dans ce sens que j’interprète la décision de Trump, qui est simplement un instrument du destin. Plus tôt l’Etat d’Israël s’effondrera et disparaîtra de la face de la terre, plus tôt dans la perspective juive – c’est-à-dire de leur point de vue, le Moshiach viendra et plus tôt le [véritable] Etat apparaîtra, de leur point de vue. »
« D’un point de vue chrétien, tout sera différent », remarque-t-il.
En même temps, d’après Douguine, les cercles fondamentalistes protestants n’ont pas beaucoup d’influence sur Trump, il est bien plus probablement un homme séculier – un playboy, un réaliste politique.
« D’une manière générale il est de droite, conservateur, et il traite bien les religions. Mais il ne comprend pas la théologie protestante – il a un profil complètement différent, un style différent. Il ne s’y intéresse pas, cela ne compte pas. Et il voit tout à travers des catégories politiques réelles. Et les lignes plus profondes du destin et de l’humanité motivent les actions des pays ou de leurs dirigeants contre leur volonté, sans qu’ils s’en rendent compte, qu’ils comprennent ce qu’ils font ou qu’ils ne le comprennent pas », conclut le philosophe.
Rappelons que les Hauteurs du Golan sont un territoire disputé entre Israël et la Syrie, dont ils firent partie entre 1944 et 1967. En résultat de la dénommée Guerre des Six Jours en juin 1967, le territoire fut envahi par Israël. En 1981, la Knesset israélienne proclama sa souveraineté sur le Golan, mais cette décision ne fut pas reconnue par le Conseil de Sécurité de l’ONU. En 2018, les hauteurs furent complètement capturées par des militants islamistes. Durant l’été 2018, l’Armée Arabe Syrienne parvint à les chasser de la région.
Les Hauteurs du Golan sont un territoire important pour au moins deux raisons : l’accès aux réserves d’eau dépend du contrôle de ces hauteurs, et elles sont aussi d’une importance stratégique d’un point de vue militaire.
[Dans un article il y a quelques années, le philosophe russe disait déjà : « Le problème d’Israël n’est pas géopolitique ou économique. Il est théologique. Leur Messie ne vient pas. Les calculs juifs disent unanimement : il est grand temps, il devrait sûrement se hâter. Si les USA tombent, il y aura presque immédiatement un pays de moins au Moyen-Orient. Devinez lequel ? Donc il doit vraiment venir, parce que toutes les actions politiques et militaires des Juifs dans la seconde moitié du XXe siècle furent orientées vers sa venue. S’il attend encore, ils sont perdus. Il ne viendra pas, ni maintenant, ni plus tard. C’est vraiment une mauvaise nouvelle. Une mauvaise nouvelle pour les bon Juifs. Ils pourraient promouvoir un simulacre du genre Sabbataï Zeevi. Un Messie virtuel. Ils le peuvent peut-être. Et ils le feront peut-être. Ce sera encore pire pour eux. Internet ne peut pas les sauver. Ni le veau d’or, ni un gros mensonge. » (Alexandre Douguine, « The end of Present World. Post-American future », conférence de Londres, octobre 2013). – NDT.]
It is well known that the ”Washington Post” is one of the most important tentacles of the octopus called mainstream or corporate media which is at the service of the great capital, of globalism that undermines the sovereignty of all states, causes huge economic discrepancies, poverty, misery and suffering everywhere. But in the last few years the dominant media has lost a lot of its credibility. And this, first of all, thanks to the honest intellectuals who criticize the System of the new kind of devastating imperialism that seriously affects all peoples of the world. In the last twenty years, among the world's most influential scholars who present a profound, complex and coherent analysis of the spiritual, cultural, political and economic essence of financial capitalism, neoliberalism, the West's civilization exclusivity, which pretend to be the superior and obligatory model for the rest of the world is the Russian conservative philosopher Aleksandr Dugin. His books are translated and published regularly in many countries, his presence at various international conferences has an enormous impact. His notoriety has become so great on a global scale that liberal virus promoters, corporate media propagandists can no longer ignore him. And the following article is a suplimentary argument in that sense: https://www.washingtonpost.com/outlook/2019/04/16/why-far....
A first remark about this article is that in fact the authors try to defame US political strategist Steve Bannon, but devoted almost all of the text to Dugin's denigration. Or, more precisely, Bannon's association with Dugin should be compromising for the one who, as the author of the article claims, would be inspired by the books of the Russian thinker. That is why Dugin's demonization has become a priority for the servants of the System. In this sense, Dugin's ideological opponents have some success. Their purpose is not just a banal disinformation of the public by using all the denigratory terms of the religion of political correctness.
One of the basic targets of the attacks against him, along with the clear intention of compromising the person and hence of his thinking, is the intimidation, ostracizing and defamation of all intellectuals who meet or even intend to cooperate with him. Thus, a few years ago in Romania was published a so-called Dugin list, which included writers, scholars, journalists and other well-known intellectuals with whom he had met during his visits to this country. Then a real witch-hunt took place, the mainstream media terrorizing those people, asking them for explanations and especially to publicly dissociate themselves from the relationship with the Russian philosopher. The intimidation force of such a campaign was so strong that some hesitated, was forced to give incoherent explanations, and to justify that they had nothing in common with Dugin's ideas.
But why is this article published just now? There would be some explanations in this regard. First, because Steve Bannon has repeatedly declared that he is determined to give his full support to sovereignist, patriotic and eurosceptic political forces. His close relationship with Viktor Orban, Matteo Salvini and Marine Le Pen as well as his intention to contribute to the victory of the new vave of populist poltical forces in the European Parliament elections raises concerns in the camp of global players such as Soros, whom Bannon defeats directly. Then, several major political events in recent years have created panic in the camp of globalists. Trump's success at the last presidential election in the US (largely thanks to Bannon), the Brexit, the creation ruling coalition between two apparently incompatible parties in Italy, opposition from the Visegrad group countries to Brussels, the movement of the Yellow vests in France, the rise of AfD in Germany etc. show that the project of a unipolar world under the dictate of American imperialism is about to collapse. At the same time, the presence of Russia in Syria, her co-operation with China, Iran, and even with Turkey, its co-operation with Venezuela's legal government weakens even more American hegemony. In this sense, the Multipolar World Theory, conceptualized by Dugin is increasingly shared by many countries of the world.
Dugin became the number one enemy of globalists not only because of his exceptional ability to theorize the great challenges of our time. He is not just a scholar who writes his books and remains isolated from the great public debates. Dugin as a public figure is the one who scandalize and disturb istablishment who has been accustomed for decades to arrogantly exercise his monopoly on the truth. His merit lies equally in the exemplary assumption of the role of a militant with a dynamic presence in the capitals of different countries with a colossal impact. But the most serious crime of the Russian political philosopher before the masters of the dominant discourse is that he is a profoundly religious man who confesses openly his Orthodox faith. In a world of aggressive hyperliberalism, in which secularism has become a state religion, confessing your Christian faith has become an unacceptable attitude.
That's why the statement which is repeated in this article that Dugin is ”The Most Dangerous Philosopher in the World” for his influence of world politics” is the greatest compliment to him, a true title of glory. But for who is the Russian thinker dangerous? For the system of market fundamentalism, for international law violators who practice criminal military aggression against sovereign countries? For the promoters of the apocalyptic project of transhumanism? For the apostles of the culture of death, of consumerism, of mass subcultures, of the destruction of civilizations, countries and peoples through the direct aggression and economic neo-colonialism? In this respect, Dughin's detractors' statement is a totally true one, to which we enthusiastically subscribe.
Dugin is admired by normal men who have preserved their mental integrity and discernment for the same reasons why they are denied by liberals who represent the last stage of spiritual blindness and moral degradation. He is a follower and a theorist of Tradition, of the perennial religious and civilization values, of the family and the state of normality that are severely affected by the deadly epidemic and apostate Modernity. He knows that in the struggle between God and Satan neutrality is an infamy. In this spiritual war that takes place in the soul of every man, but also at the geopolitical level, he made his own choice, which is a total, fully assumed and irreversible. Dugin is not confined to ephemeral opinions or preferences. He has firm convictions, which he can develop brilliantly in his books and speeches. That is why it is dangerous for liberal totalitarian system.
I would like to mention that I am the translator, editor and promoter of Dugin's books in the Republic of Moldova and Romania. I translated "The Fourth Political Theory", "The Theory of the Multipolar World," "Eurasian Mission," "International Relations," as well as many articles by this author, which we included in the anthology published in 2017 in Chisinau and in Bucharest "Eurasian Destiny". I have read many other books signed by Dugin. I would like to say that I am an old anti-Communist and anti-Soviet militant, and as a patriot of my country who detests any kind of foreign domination, I can confirm that Dugin is far from any idea of religious, cultural, civilization, racial or politico-military supremacy.
"Washigton Post" listed the whole series of invectives against Dugin. Nothing new in this. They represent the propaganda tics of the servants of liberal globalism, who feel that their system of world domination is about to fall inevitably. The spring of the peoples engaged in the total battle for the restoration of national sovereignty becomes a global phenomenon that can no longer be stopped. And Dugin is one of the most vocal spiritual and ideological leaders who brings together intellectuals and political movements from whole continents engaged in the collective effort to regain the freedom stolen by this new type of extraterritorial imperialism.
The work of this philosopher is full of admiration for all the civilizations, cultures, languages and religions of the world. His monumental work, "Noomahia," comprising more than twenty volumes, is an exceptional synthesis of the peoples' logos all over of the world. It elevates this scholar to the highest stage of science on man and society. To declare him a fascist, xenophobic, racist thinker who has so much admiration and respect for the ethno-cultural diversity of all peoples is not more than a stupid joke.
Returning to the denigratory article against Bannon, I would like to return to the reader's attention a quote from his speech launched on March 10, 2018 in front of the congress of the French National Front. In his speech, he showed his full support for populist, sovereignist, anti-system European parties:
“What I’ve learned is that you’re part of a worldwide movement, that is bigger than France, bigger than Italy, bigger than Hungary — bigger than all of it. And history is on our side,” he said. “The tide of history is with us, and it will compel us to victory after victory after victory.”
And continued:
“Let them call you racists. Let them call you xenophobes. Let them call you nativists”. In other words, Bannon's call for European patriots is not to be intimidated by the pernicious accusations of corporate media. Well, denigration and demonization of the opponents of international mafia like Soros network continues. And this is a sure sign that European populists are on the right track. This shows that Dugin and his followers everywhere are not just right, but also successful.
Nearly a year ago, I published an article about Bannon's initiative to support European populist movements. (https://www.geopolitica.ru/en/article/movement-gravedigge...). Some of my foreign friends found my text too enthusiastic. Some European dissidents, of whom I have a special respect, have published critical articles on this initiative. I do not negate their arguments. I just want to say that as we all welcomed Trump's election, no matter how he later evolved, as we applauded Brexit, no matter what the later maneuvers was made, I looked with sympathy for Bannon's public statements. For the simple reason that all these phenomena are symptomatic and demonstrate that the wave of revolt against the current state of affairs is steadily increasing.
In conclusion I would like to repeat the following. I am proud to say publicly that I am a friend of Aleksandr Dugin. We are at the same side in this total spiritual, intlectual and political war against our common ennemies who are the enemies of all nations. The Chisinau Forum, which is a joint initiative of dissident intellectuals from several countries, created in 2017 as a platform for discussion and development of geopolitical, economic and cultural alternative visions, has as its leader Dugin. For the simple reason that he is the most representative and respected among us. Of course, those who are afraid of the system's repression and do not take the risk of being with us can still remain in expectancy. It is the choice of those who prefer personal comfort and thus miss the direct participation in the great transformations of our time.
As for myself, I remain with Dugin.
Iurie Roșca,
Journalist, editor
Chisinau, Republic of Moldova,
22th April
If some English-speaking people is really interested to better understand the vision on Mr. Dugin it might be useful for them to read at least the book Mark Sedgwick ”Against the Modern World: Traditionalism and the Secret Intellectual History of the Twentieth Century”, or even better the author's books.
L’idée de Bachofen d’un matriarcat primordial et sa théorie des « cercles culturels » furent développés par un autre historien et archéologue, un spécialiste en paléo-épigraphie, Herman Wirth (1885-1981).
Les théories de Wirth sont basées sur l’hypothèse empruntée à l’auteur indien Bala Gandhara Tilak (1856-1920) [1], selon qui la civilisation proto-indo-européenne originelle se forma à la fin du Paléolithique (la culture aurignacienne) dans la région du cercle polaire nordique. Cette hypothèse était basée sur l’interprétation des données de l’astrologie indienne, des textes védiques, et des mythes des Hindous, des Iraniens et des Grecs, qui parlent de l’existence dans l’antiquité lointaine d’un pays habité se trouvant dans le Grand Nord (Hyperborée). Ce continent étai décrit dans les Vedas comme la « terre du sanglier blanc », Varahi, et l’« île de lumière », ou Sweta Dvipa. La tradition zoroastrienne parle de l’ancienne résidence du premier homme, la cité de Vara, située dans le Grand Nord, qu’il fut forcé de quitter pour descendre vers le sud quand la déité obscure Angra Mainyu, l’ennemi du dieu de la lumière Ahura-Mazda, déchaîna un « grand froid » sur cette contrée. Tilak affirme l’existence de cette proto-civilisation « nordique » sur la base de l’astrologie indienne, dont le symbolisme, selon Tilak, ne devient clair que si nous acceptons que les constellations furent originellement observées dans les régions circumpolaires, où le jour des dieux est égal à l’année des hommes.
Wirth adopta cette hypothèse et construisit sa propre théorie sur elle, la « théorie hyperboréenne » [2] ou théorie du « cercle culturel de Thulé » [3], qui est le nom grec de la cité mythique se trouvant dans le pays des Hyperboréens. D’après cette théorie, avant la dernière vague de refroidissement mondial, la zone circumpolaire dans l’Océan nord-atlantique abritait des terres habitables dont les habitants furent les créateurs d’un code culturel primordial. Cette culture se forma dans des conditions où l’environnement naturel de l’Arctique n’était pas encore si inhospitalier, et où son climat était similaire au climat tempéré de l’Europe Centrale moderne. Cependant, étaient présents tous les phénomènes annuels et atmosphériques qui peuvent être observés dans l’Arctique aujourd’hui : le jour et la nuit arctiques. Les cycles solaire et lunaire annuels sont structurés différemment de leurs équivalents sous les latitudes moyennes. Ainsi, les fixations symboliques du calendrier, la trajectoire du soleil, de la lune et les constellations du zodiaque avaient forcément une forme différente et des motifs différents.
A partir d’une énorme quantité de matériel archéologique, paléo-épigraphique (peintures rupestres, symboles paléolithiques, anciennes gravures, etc.), mythologique et philologique, Herman Wirth tenta de reconstruire le système primordial du code culturel de cette proto-civilisation arctique. Au cœur de celui-ci il plaça le proto-calendrier reconstruit, dont les dernières traces sont constituées d’après Wirth par les runes scandinaves, qu’il attribuait à l’antiquité éloignée. Wirth proposa d’examiner ce calendrier, qui enregistre les moments clés de l’année arctique, comme étant la clé de toutes les versions ultérieures des héritages mythologiques, religieux, ritualistes, artistiques et philosophiques qui continuèrent et développèrent cet algorithme primordial au cours des vagues de migrations des porteurs de la « culture thuléenne » dans les régions méridionales. Lorsqu’on les appliqua à d’autres conditions climatiques, cependant, beaucoup des motifs symboliques de ce calendrier, qui étaient parfaitement clairs dans l’Arctique, perdirent leur sens et leur justification. Ils furent partiellement transférés à de nouvelles réalités, partiellement transformés en reliques, et perdirent partiellement leur sens ou en acquirent de nouveaux.
D’abord et avant tout, ce changement entraîna une compréhension fondamentalement nouvelle de l’unité de base du temps : à la place du jour hyperboréen qui est égal à une année, c’est le cercle du jour qui est beaucoup plus clairement défini dans les régions au sud du cercle polaire qui devint la mesure des événements de la vie humaine. De plus, les points indiquant les équinoxes de printemps et d’automne changèrent en relation avec le mouvement en direction du sud. Tout cela obscurcit graduellement la clarté et la simplicité parfaites de la matrice primordiale.
Wirth pensait que sa reconstruction du système sacré de la culture de Thulé se trouvait au cœur de tous les types historiques d’écriture et de langage, ainsi que des tons musicaux, du symbolisme des couleurs, des gestes rituels, des inhumations, des systèmes religieux, etc.
L’étude de cette culture forma la base des tentatives de Wirth pour reconstruire ce qu’il nommait la « proto-écriture » ou « proto-script » de l’humanité. Wirth publia les résultats de ses études dans deux ouvrages monumentaux, Der Aufgang der Menschheit (La marche en avant de l’Humanité) [4] et Die Heilige Urschrift der Menschheit (L’écriture originelle sacrée de l’Humanité) [5], incluant tous deux une grande quantité de tables synoptiques, d’illustrations comparatives de fouilles archéologiques, de systèmes d’écriture, etc.
Matriarcat nordique
Wirth adopta l’idée de Bachofen d’un matriarcat primordial et attribua à la « culture de Thulé » une forme matriarcale de civilisation. Il suggéra que la croyance selon laquelle le genre féminin tend à la matérialité, à la corporéité, à la chtonicité et à des spécificités empiriques est un pur produit de la censure patriarcale, et que le matriarcat pouvait être un phénomène tout aussi spirituel, et même plus, que le patriarcat. Wirth pensait que les sociétés dominées par des femmes, et par des clergés, des religions et des cultes féminins représentaient les types les plus avancés de la culture hyperboréenne, qu’il nommait la « culture des Dames blanches » (weisse Frauen).
Wirth présenta ainsi une vision très particulière de la relation entre le matriarcat et le patriarcat dans la culture archaïque de la région méditerranéenne. De son point de vue, les plus anciennes formes de culture en Méditerranée furent celles établies par les porteurs du matriarcat hyperboréen, qui en plusieurs étapes descendirent des régions circumpolaires, de l’Atlantique Nord, par voie de mer (et leurs navires avec des trèfles sur la poupe étaient caractéristiques). C’était le peuple mentionné dans les artefacts du Proche-Orient comme les « peuples de la mer », ou am-uru, d’où le nom ethnique des Amorrites. Le nom de Mo-uru, d’après Wirth, était jadis celui du centre principal des Hyperboréens, mais fut donné à de nouveaux centres sacrés par les natifs du Nord dans leurs vagues migratoires. C’est à ces vagues que nous devons les cultures sumérienne, akkadienne, égyptienne (dont l’écriture prédynastique était linéaire), hittite-hourrite, minoenne, mycénienne, et pélagienne. Toutes ces strates hyperboréennes étaient structurées autour de la figure de la Prêtresse Blanche.
Le patriarcat, d’après Wirth, fut apporté par des immigrants d’Asie, venant des steppes du Touran, qui déformèrent la tradition hyperboréenne primordiale et imposèrent aux cultures méditerranéennes des valeurs très différentes – primitives, violentes, agressives et utilitaires – qui s’opposèrent (c’est-à-dire qu’elles les dégradèrent) aux formes purement spirituelles du matriarcat nordique.
Ainsi chez Wirth nous avons la reconstruction suivante : le type de culture matriarcale primordial, spirituel et hautement développé du cercle culturel hyperboréen se diffusa à partir d’un centre circumpolaire, principalement par voie de mer, pénétrant en Méditerranée, effleurant l’Afrique, et atteignant même la côte sud de l’Asie jusque dans le Pacifique, où la culture maorie conserve encore des traces de l’ancienne tradition arctique. Une autre branche venant du centre de Mo-uru dans l’Atlantique Nord migra en Amérique du Nord, où elle posa les fondations du code culturel de nombreuses tribus. L’une des entreprises de Wirth fut de démontrer une homologie entre ces deux branches qui étaient issues de la culture de Thulé – la branche européenne, méditerranéenne, et aussi africaine et polynésienne d’une part, et la branche nord-américaine de l’autre [6].
Entretemps se forma en Asie continentale un pôle culturel qui représentait l’embryon du proto-patriarcat. Wirth associait cette culture au naturalisme primitif, aux cultes phalliques, et à un type de culture martial, agressif et utilitaire, que Wirth considérait comme inférieur et asiatique. Nous avons consacré un volume entier à un exposé plus détaillé des idées de Wirth [7].
La signification des idées de Wirth pour la géosophie
De nombreux aspects des travaux injustement oubliés d’Herman Wirth méritent attention dans l’étude de l’anthropologie plurielle. Avant tout, son hypothèse extrêmement fertile du cercle culturel de Thulé, qui est généralement rejetée d’emblée sans aucune analyse sérieuse de son argumentation, est si riche qu’elle mérite une sérieuse attention à elle seule. Si une telle hypothèse permet la résolution de si nombreux problèmes historiques et archéologiques associés à l’histoire des symboles, des signes, des mythes, des rituels, des hiéroglyphes, du calendrier, de l’écriture et des plus anciennes idées de la structure de l’espace et du temps, alors cela en soi est suffisant pour justifier un examen approfondi. Même si les travaux de Wirth contiennent de nombreuses affirmations qui semblent complètement fausses ou hautement douteuses, nous pouvons les laisser de coté et tenter de comprendre l’essence de sa théorie qui, à notre avis, est une version extraordinairement constructive qui élargit notre compréhension des époques archaïques de l’ancienne histoire de l’humanité. On n’est pas obligé d’accepter inconditionnellement la théorie du cercle culturel de Thulé, mais une évaluation de son potentiel interprétatif est nécessaire.
Deuxièmement, l’évaluation positive du matriarcat par Wirth est extrêmement intéressante et donne du poids aux idées de Bachofen. En effet, nous avons affaire à une interprétation d’une civilisation matriarcale conditionnellement reconstruite à partir de la position de ce qu’est le patriarcat, théorique du moins, auquel notre société s’est habituée. Wirth propose une interprétation alternative du Logos féminin, une tentative de voir le Logos de la Grande Mère avec des yeux différents. C’est aussi une proposition extrêmement non-conventionnelle et fertile.
Troisièmement, dans les théories de Wirth nous pouvons voir de claires analogies avec les reconstructions de Spengler et de Frobenius. Alors que Frobenius et particulièrement Spengler prirent le parti de la culture indo-européenne (touranienne, eurasienne), c’est-à-dire le camp du patriarcat tel qu’ils l’interprétaient, Wirth propose de regarder les choses du point de vue de la civilisation des Dames Blanches, c’est-à-dire depuis la position de la culture méditerranéenne primordiale qui précéda l’invasion des « peuples aux chars de guerre ».
Notes
[1] Tilak, B.G., Arkticheskaiia rodina v Vedakh (Moscow: FAIR-PRESS, 2001). En anglais : Tilak, B.G., The Arctic Home in the Vedas: Being Also a New Key to the Interpretation of Many Vedic Texts and Legends (Poona City: Tilak Bros, 1903).
[2] Dugin, A.G., Znaki Velikogo Norda: Giperboreiskaiia Teoriia (Moscow: Veche, 2008). Une traduction anglaise de l’introduction est disponible ici : http://www.4pt.su/en/content/herman-wirth-runes-great-yul.... Une traduction française a été publiée dans le gros recueil de textes d’Alexandre Douguine, Pour le Front de la Tradition, Ars Magna, 2017, p. 509.
[3] Wirth, H., Khronika Ura-Linda. Drevneishaiia istoriia Evropy (Moscow: Veche, 2007). En allemand : Wirth, Herman. Die Ura-Linda Chronik (Leipzig: Koehler & Amelang, 1933).
[4] Wirth, H., Der Aufgang der Menschheit. Forschungen zur Geschichte der Religion, Symbolik und Schrift der atlantisch-nordischen Rasse (Jena: Diederichs, 1928).
[5] Wirth, H., Die Heilige Urschrift der Menschheit. Symbolgeschichtliche Untersuchungen diesseits und jenseits des Nordatlantik (Leipzig: Koehler & Amelang, 1936).
[6] Le titre complet du livre de Wirth, Die Heilige Urschrift der Menschheit, spécifie « des deux cotés de l’Atlantique Nord ». Voir note 5.
[7] Voir note 2.
Chapitre 22 de la Partie 2, « Théories des Civilisations : critères, concepts, et correspondances », du livre Noomachy: Wars of the Mind – Geosophy – Horizons and Civilizations (Moscou, Akademicheskii Proekt, 2017).
Le ternaire en relation avec le Quatrième Théorie Politique de Douguine : un commentaire de « Chlodomir »
La magie du ternaire est très puissante, mais il ne faut pas s’y laisser enfermer. Au niveau politique, un tel cercle vicieux se forma avec les trois grandes idéologies qui ont dominé le XXe siècle : libéralisme, communisme, fascisme (le nazisme n’étant qu’une branche hypertrophiée du fascisme, un « fascisme radical » dans la terminologie marxiste). Si l’on en rejette deux au profit d’une troisième, quelle qu’elle soit, on reste enfermé dans le cercle, car ces idéologies viennent toutes trois de la Modernité occidentale. L’un des mérites du théoricien et philosophe russe Alexandre Douguine est d’avoir compris qu’il fallait sortir de ce cercle vicieux, « rompre » le cercle (« En science politique au siècle dernier, nous avions appris à ne compter que jusqu’à trois. (…) nous n’avons pas d’autre solution que d’apprendre à compter jusqu’à quatre », A. Douguine, article sur https://rusreinfo.ru/, 2016).
Après quelques tâtonnements (dans un premier temps, il parla de « trinité dialectique »), et après être passé par le national-bolchevisme puis par l’eurasisme, Douguine finit par élaborer la Quatrième Théorie Politique. Cette « 4TP » rejette les trois vieilles idéologies et adopte de nouveaux concepts, en empruntant à la Révolution Conservatrice allemande, aux auteurs eurasistes russes (notamment L. Gumilev), au Traditionalisme (ou Pérennialisme), à la géopolitique, et aussi à la pensée de Heidegger (à qui il emprunta le concept du « Dasein »).
Le succès rapide du livre éponyme de Douguine, La Quatrième Théorie Politique (traduit en anglais et en français en 2012), montra que sa démarche correspondait à une certaine attente dans les élites intellectuelles. La 4TP, par son nom même, a un peu servi d’outil « maïeutique » pour toute une génération militante enfermée dans le mécanisme mental de la « troisième voie » et de la « troisième position », voire de la « troisième idéologie ». Cette approche a eu pendant longtemps de grands avantages, mais est maintenant dépassée. Le « Trois » permet de dépasser le stérile dualisme (cultivé notamment par la Deuxième Théorie Politique) et c’est un pas en avant énorme, mais la vie est mouvement et le ternaire a montré ses limites. La force du « Quatre » permet de « tout faire sauter », de faire appel au « chaos créateur », de réintroduire le Multiple (le Multipolaire, dans le domaine géopolitique), et ensuite « les dix mille êtres »... Douguine explique d’ailleurs que la 4TP est une théorie ouverte et en construction ; mais dès qu’elle existe (ou existera, avec un corpus théorique cohérent et opératif), il n’est pas interdit de réintroduire certains éléments des trois idéologies précédentes…
L’« eurasisme » est une idéologie très bien adaptée à la Russie, mais la 4TP va plus loin et permet de libérer à nouveau la créativité idéologique et politique (l’eurasisme est en quelque sorte la partie russe de la 4TP). On peut même parler de Quatrième Voie, concept peut-être encore plus opératif. Dans les trois vieilles idéologies de la Modernité, le Sujet politique était respectivement l’Individu, la Classe, la Race (ou plutôt le Peuple et/ou la Nation essentialisés, avec une forte connotation ethnique, en ce qui concerne le fascisme « générique »).
Dans la 4TP (qui rejette la Modernité), le fondement philosophique est le Dasein et le Sujet politique est, très logiquement, la Civilisation (phénomène organique fondé sur une ethnogenèse et se déployant sur un Grand Espace). Après Huntington, Douguine distingue à peu près une dizaine de civilisations existantes ou potentielles sur la planète. L’humanité arriverait donc à un nouveau stade de développement organique, après les tribus, les cités-Etats, les royaumes, les empires, et les Etats-nations. On peut alors entrevoir un ordre mondial alternatif et multipolaire, fondé sur la coexistence d’une dizaine d’« Etats-civilisations » (mais sans gouvernement mondial, contrairement au sinistre « Nouvel Ordre Mondial » oligarchique et prédateur ; un organe de coordination devrait suffire). Ce qui serait tout de même plus facile à gérer que plusieurs centaines d’Etats-nations (et le nombre a tendance à augmenter, un spectacle assez grotesque…) représentés à l’ONU.
Comme l’explique Douguine, le libéralisme ultra-capitaliste (le « commercialisme ») et pseudo-démocratique est devenu le Troisième Totalitarisme, le dernier avatar de la Modernité. Sa réalité est la domination oligarchique planétaire, son fantasme et son projet secret (de moins en moins secret, à vrai dire…) est le transhumanisme. En voulant passer directement au globalisme en grillant l’étape organique des Civilisations, il est devenu une Utopie totalitaire et s’est condamné à l’échec historique. En voulant imposer son utopie par la force, le globalisme libéral plonge le monde dans le chaos. Après une dernière crise d’hystérie meurtrière, il terminera dans la poubelle de l’histoire avec le fascisme et le communisme. Mais il risque d’y avoir un mauvais moment à passer, car les prédateurs libéraux globalistes ne voudront pas lâcher leur proie (les peuples enracinés) si facilement…
CRITIQUE DE LA DIALECTIQUE HEGELIENNE
par Ludwig Gumplowicz
(ou la « fascination du ternaire »)
Hegel… cherche à résoudre le dualisme obscur et contradictoire qui se retrouve dans tout l’ouvrage de Herder ; il essaie de concilier Dieu et la nature en une unité supérieure, son fameux « esprit absolu ». En ne voyant et en ne représentant dans toute l’histoire que le développement de cet esprit absolu seul et indivisible, il abandonne le terrain de toute réalité et de toute science ; il réduit sa philosophie de l’histoire à une simple fantasmagorie.
En nous décrivant quelque chose qui n’existe que dans sa tête, il nous affirme que telle est la réalité, et, en donnant à ses fantaisies, pour leur assurer plus de créance, des noms empruntés à l’histoire universelle, il réussit à créer l’illusion.
On sait que, d’après Hegel, le développement et la propagation de l’esprit absolu se règlent « sur une mesure à 3 temps » : thèse, antithèse et synthèse. La formule est habile : on peut l’appliquer à tout en général, à chaque chose en particulier. Il n’est pas un ensemble de mouvements qu’elle n’embrasse ; il n’est pas un mouvement qui lui échappe. Que ce mouvement soit physique, intellectuel ou social, on n’a qu’à considérer une phase quelconque de son développement, comme l’un des temps de la mesure à 3 temps, et voilà le moyen de bâcler la philosophie de tel ou tel sujet, et les sujets ne manquent pas, la nature et la vie nous offrant partout des mouvements. Rien de plus facile que d’écrire ainsi une philosophie de la physique. La thèse sera, par exemple, l’attraction, alors l’antithèse sera la répulsion ; la synthèse, la cohésion. Quant aux détails, il suffira de les traiter tant bien que mal. Une philosophie de la musique ou de la peinture, etc., ne présenterait pas de plus grandes difficultés.
Pour créer sa philosophie de l’histoire, Hegel n’a eu qu’à prendre l’Orient pour thèse de « l’esprit absolu », l’antiquité classique pour antithèse, le monde germanique pour synthèse, et à faire rentrer l’histoire universelle, de gré ou de force, dans ses formules. Un Chinois, à la vérité, aurait tout aussi bien le droit de prendre l’Europe pour thèse, l’Amérique pour antithèse, le monde chinois pour synthèse de l’esprit absolu, et de fabriquer ainsi une philosophie chinoise de l’histoire. Il acquerrait probablement en Chine la popularité que Hegel s’est acquise en Allemagne, car la théorie qui permet le plus facilement aux hommes de comprendre le monde et la vie humaine devient toujours populaire. C’est pourquoi la Bible est le plus populaire des livres, sa formule pour comprendre le monde et la vie étant la plus simple.
Mais il y avait des hommes qui ne voulaient pas se placer au point de vue théologique, qui prétendaient concevoir le monde « philosophiquement ». A ceux-là Hegel est venu fournir une formule « philosophique » non moins simple, d’une assimilation non moins facile : « l’esprit absolu se développe ». Un point, c’est tout. Et les gens de distinguer, dans leurs sujets, une thèse, une antithèse et une synthèse. On y arrive toujours, pourvu que l’on ait été dressé, et dès lors on a la satisfaction de comprendre le monde.
Bachofen’s idea of a primordial matriarchy and his theory of “cultural circles” were developed by another historian and archaeologist, a specialist in paleo-epigraphy, Herman Wirth (1885-1981).
Wirth’s theories are based on the hypothesis borrowed from the Indian author Bala Gandhara Tilak (1856-1920) [1], that the original Proto-Indo-European civilization was formed in the late Paleolithic (the Aurignacian culture) in the lands of the northern polar circle. This hypothesis was based on the interpretation of the data of Indian astrology, Vedic texts, and the myths of the Hindus, Iranians, and Greeks which speak of the existence in remote antiquity of a populated country lying in the Far North (Hyperborea). This continent was described in the Vedas as the “land of the white boar”, Varahi, and the “island of light”, or Sweta Dvipa. The Zoroastrian tradition speaks of the ancient abode of the first man, the city of Vara, located in the Far North, from which he was forced to descend southwards as the dark deity Angra Mainyu, the enemy of the god of light, Ahura-Mazda, unleashed a “great cold” across these lands. Tilak argues for the existence of this “Nordic” proto-civilization on the basis of Indian astrology, the symbolism of which, according to Tilak, becomes clear only if we accept that the constellations were originally observed in the circumpolar regions, where the day of the gods is equal to the year of men.
Wirth adopted this hypothesis and constructed his own theory upon it, the “Hyperborean theory” [2] or theory of the “cultural circle of Thule” [3], which represents the Greek name for the mythical city lying in the country of the Hyperboreans. According to this theory, before the latest wave of global cooling, the circumpolar zone in the North Atlantic Ocean was home to inhabitable lands whose inhabitants were the creators of a primordial cultural code. This culture was formed under conditions when the natural environment of the Arctic was not yet so harsh, and when its climate was similar to the modern temperate Central European climate. There were present all the annual and atmospheric phenomena which can be observed in the Arctic today: the Arctic day and Arctic night. The yearly solar and lunar cycles of the Arctic are structured differently than their counterparts in middle-range latitudes. Thus, the symbolic fixations of the calendar, the trajectory of the sun, the moon, and the constellations of the zodiac necessarily had a different form and different patterns.
On the basis of an enormous swathe of archaeological, paleo-epigraphical (cave paintings, Paleolithic symbols, ancient carvings, etc.), mythological, and philological material, Herman Wirth undertook an attempt to reconstruct the primordial system of this Arctic proto-civilization’s cultural code. At its heart he put the reconstructed proto-calendar, the last traces of which Wirth believed are constituted by the Scandinavian runes, which he attributed to remote antiquity. Wirth proposed to examine this calendar, which records the key moments of the Arctic year, as the key to all later versions of mythological, religious, ritualistic, artistic, and philosophical heritages which continued and developed this primordial algorithm over the course of the wave-like migrations of the bearers of “Thulean culture” into the southern regions. When applied to other climatic conditions, however, many of the symbolic patterns of this calendar, otherwise crystal clear in the Arctic, lost their meaning and rationale. They were partially transferred to new realities, partially frozen as relics, and partially lost their meanings or acquired new ones.
First and foremost, this change entailed a fundamentally new understanding of the basic unit of time: instead of the Hyperborean day, equal to a year, the daily circle, which is much more clearly defined in the regions south of the polar circle, became the measure of events of human life. What is more, the localizing points of the spring and autumn equinoxes changed in relation to southward movement. All of this gradually confused the crystal clarity and simplicity of the primordial matrix.
Wirth believed that his reconstruction of the sacred complex of the culture of Thule lay at the heart of all historical types of writing and language, as well as musical tones, the symbolism of colors, ritual gestures, burials, religious complexes, etc.
Studying this culture formed the basis of Wirth’s attempts at reconstructing what he called the “proto-writing” or “proto-script” of humanity. Wirth published the results of his studies in two monumental works, Der Aufgang der Menschheit (The Emergence of Mankind) [4] and Die Heilige Urschrift der Menschheit (The Sacred Proto-Script of Mankind) [5], both equipped with an enormous lot of synoptic tables, comparative illustrations of archaeological excavations, writing systems, etc.
Nordic matriarchy
Wirth embraced Bachofen’s notion of primordial matriarchy and attributed to the “Thule culture” a matriarchal form of civilization. He suggested that the belief that the female gender is inclined towards materiality, corporeality, chthonicity, and empirical specifics is purely a product of patriarchal censorship, and that matriarchy could be no less, indeed even more of a spiritual phenomenon than patriarchy. Wirth believed that societies dominated by women and female priesthoods, religions, and cults represented the more advanced types of Hyperborean culture, which he termed the “culture of White Ladies” (weisse Frauen).
Wirth thus presented an altogether peculiar view on the relationship between matriarchy and patriarchy in the archaic culture of the Mediterranean region. In his point of view, the most ancient forms of culture in the Mediterranean were those established by bearers of the Hyperborean matriarchy, who in several stages descended from the circumpolar regions, from the North Atlantic, by sea (and that ships with shamrocks on the stern were characteristic of them). These were the people mentioned in ancient Near Eastern artifacts as the “sea-peoples”, or am-uru, hence the ethnic name of the Amorites. The name Mo-uru, according to Wirth, once belonged to the very main center of the Hyperboreans, but was transmitted along with the natives of the North in their migration waves to new sacred centers. It is to these waves that we owe the Sumerian, Akkadian, Egyptian (whose pre-dynastic writing was linear), Hittite-Hurrian, Minoan, Mycenaean, and Pelasgian cultures. All of these Hyperborean strata were structured around the figure of the White Priestess.
Patriarchy, according to Wirth, was brought by immigrants from Asia, from the steppe zones of Turan, who distorted the primordial Hyperborean tradition and imposed upon the Mediterranean cultures quite different – rude, violent, aggressive, and utilitarian -values which contrasted (for worse) the pure spiritual forms of the Nordic matriarchy.
Thus, in Wirth we have the following reconstruction: the Hyperborean cultural circle’s primordial, spiritual and highly-developed type of matriarchal culture spread from a circumpolar center, mainly be sea, penetrating the Mediterranean, scraping Africa, and even reaching the southern coast of Asia all the way down to Polynesia, where the Maori culture still retains traces of the ancient Arctic tradition. Another offshoot of the center of Mo-uru in the North Atlantic migrated to North America, where it laid the foundations of the cultural code of many tribes. One of Wirth’s undertakings was to demonstrate a homology between these two branches that dispersed out of the culture of Thule – the European, Mediterranean, and further African and Pacific on the one hand, and the North-American on the other.[6]
Meanwhile, in continental Asia there formed a cultural pole which represented the embryo of proto-patriarchy. Wirth associated this culture with crude naturalism, phallic cults, and a martial, aggressive, and utilitarian type of culture, which Wirth believed to be lower and Asian. We have devoted a whole separate volume to a more detailed outline of Herman Wirth’s views.[7]
The significance of Wirth’s ideas to geosophy
Many aspects of Herman Wirth’s unjustly forgotten works deserve attention in the study of plural anthropology. First of all, his extremely fertile hypothesis of the cultural circle of Thule, which is usually discarded from the outset without any careful analysis of his argumentation, is so rich that it deserves serious attention in itself. If such an hypothesis allows for the resolution of such numerous historical and archaeological problems associated with the history of symbols, signs, myths, rituals, hieroglyphs, the calendar, writing, and the most ancient views of the structure of space and time, then this alone is enough to warrant thorough inquiry. Even though Wirth’s works contain many claims which seem either unequivocally wrong or highly controversial, we can set them aside and try to understand the essence of his theory which, in our opinion, is an extraordinarily constructive version that expands our understanding of the archaic epochs of the ancient history of mankind. The theory of the cultural circle of Thule need not be unconditionally accepted, but an assessment of its interpretive potential is necessary.
Secondly, Wirth’s positive appraisal of matriarchy is extremely interesting and adds weight to sympathy for Bachofen. Indeed, we are dealing with an interpretation of a conditionally reconstructed matriarchal civilization from the position of what is the, in the very least nominal, patriarchy to which our society has become accustomed. Wirth proposes an alternative interpretation of the female Logos, an attempt to view the Logos of the Great Mother through different eyes. This is also an extremely unconventional and fertile proposal.
Thirdly, in Wirth’s theories we can see clear analogues to the reconstructions of both Spengler and Frobenius. If Frobenius and especially Spengler took the side of Indo-European (Turanian, Eurasian) culture, i.e., the side of patriarchy as they interpreted it, then Wirth proposes to look at things from the standpoint of the civilization of the White Ladies, i.e., from the position of the primordial Mediterranean culture that preceded the invasion of the “people on war chariots.”
Footnotes:
[1] Tilak, B.G., Arkticheskaiia rodina v Vedakh (Moscow: FAIR-PRESS, 2001). In English: Tilak, B.G., The Arctic Home in the Vedas: Being Also a New Key to the Interpretation of Many Vedic Texts and Legends (Poona City: Tilak Bros, 1903).
[2] Dugin, A.G., Znaki Velikogo Norda: Giperboreiskaiia Teoriia (Moscow: Veche, 2008). English translation of introduction available here.
[3] Wirth, H., Khronika Ura-Linda. Drevneishaiia istoriia Evropy (Moscow: Veche, 2007). In German: Wirth, Herman. Die Ura-Linda Chronik (Leipzig: Koehler & Amelang, 1933).
[4] Wirth, H., Der Aufgang der Menschheit. Forschungen zur Geschichte der Religion, Symbolik und Schrift der atlantisch-nordischen Rasse (Jena: Diederichs, 1928).
[5] Wirth, H., Die Heilige Urschrift der Menschheit. Symbolgeschichtliche Untersuchungen diesseits und jenseits des Nordatlantik (Leipzig: Koehler & Amelang, 1936).
[6] The full title of Wirth’s Die Heilige Urschrift der Menschheit specifies “on both sides of the North Atlantic.” See footnote 5.
[7] See footnote 2.
Translator: Jafe Arnold
Chapter 22 of Part 2, “Theories of Civilizations: Criteria, Concepts, and Correspondences”, of Noomachy: Wars of the Mind – Geosophy – Horizons and Civilizations (Moscow, Akademicheskii Proekt, 2017).
Les manifestations en France, symbolisées par des gilets jaunes, couvrent une part de plus en plus importante de la société. Les experts politiques ont déjà qualifié ce mouvement de «nouvelle révolution ». L’ampleur du mouvement des « gilets jaunes » est déjà si sérieux qu’il est absolument nécessaire d’analyser ce phénomène de manière détaillée.
Il s’agit d’une manifestation vivante du populisme européen moderne. Le sens du populisme en tant que phénomène issu de la structure politique des sociétés issues de la Grande Révolution française et basé sur la confrontation entre la droite et la gauche, est en train de changer radicalement.
Les mouvements populistes rejettent ce schéma politique classique gauche/droite et ne suivent aucune attitude idéologique stricte, ni de droite ni de gauche. C’est la force et le succès du populisme : il ne joue pas selon les règles préétablies. Néanmoins, le populisme a sa propre logique : malgré toute sa spontanéité, il est tout à fait possible de retracer une certaine logique et même les débuts d’une idéologie populiste qui prend forme sous nos yeux.
Tout d’abord, le fait que les mouvements populistes soient dirigés contre l’élite politique dans son ensemble, sans faire de distinction, qu’elle soit de droite ou de gauche, est frappant. C’est le « soulèvement de la périphérie de la société contre son centre ». Dans son célèbre ouvrage, le sociologue américain Christopher Lasch (1932-1994) a désigné la forme de gouvernement qui prévaut dans la société occidentale moderne comme la « révolte des élites ».
Au début du XXe siècle, il était d’usage de suivre le discours de José Ortega y Gasset sur la « révolte des masses », dont l’influence croissante sur la politique menaçait, semble-t-il, de détruire la culture occidentale – le logos européen.
Mais Christopher Lasch a noté une nouvelle tendance politique : ce sont les élites qui détruisent la culture et le logos européen aujourd’hui. Ces nouvelles élites occidentales, qui n’ont atteint le sommet du pouvoir que par leur ingéniosité et leur immense volonté de pouvoir, sont bien pires et plus destructives que les masses.
Une personne ordinaire maintient encore quelques traditions culturelles ; il est presque impossible de trouver un « prolétaire pur ». Mais les élites capitalistes modernes, qui n’ont pas de sens aristocratique, sont avides de pouvoir, de position et de confort. Dans le même temps, de plus en plus de types marginaux ont commencé à pénétrer dans la « nouvelle élite », des personnes appartenant non pas à des groupes périphériques, mais à des groupes minoritaires – ethniques, culturels, religieux (souvent sectaires) et sexuels – et sont devenus dominants parmi eux. C’est cette populace perverse, selon Christopher Lasch, qui forme la base de l’élite mondialiste moderne, qui détruit les fondements de la civilisation.
En conséquence, le populisme – y compris le populisme des gilets jaunes – peut être considéré comme un soulèvement de représailles du peuple contre les élites, qui ont complètement perdu leur lien avec la société. Les élites ont construit leur propre monde dans lequel le deux poids, deux mesures, les normes du politiquement correct, la démagogie libérale règnent.
Selon ces « nouvelles élites », le peuple et la société, dans leur état actuel, n’ont pas leur place dans ce monde. C’est pourquoi la représentante typique de la « nouvelle élite », Hillary Clinton, dégoûtée par le succès du populiste de droite Trump, a ouvertement insulté les Américains ordinaires – comme étant déplorables, ce qui veut dire « honteux ». Les « déplorables » ont choisi Trump – non pas parce qu’ils l’aimaient, mais pour répondre à la « sorcière mondialiste » Clinton.
Macron est un représentant du même type de « nouvelle élite ». Il est curieux qu’à la veille des élections, le journal français Libération ait publié le titre « Faites ce que vous voulez, mais votez Macron ». C’est une paraphrase évidente d’Aleister Crowley, qui s’est proclamé au XXe siècle comme l’Antichrist et la Bête 666 : « Fais ce que tu veux, c’est la seule Loi. » En d’autres termes, les foules obéissantes devaient voter pour Macron non pas pour des raisons rationnelles, non pas à cause de ses idées et de ses vertus, mais simplement parce que c’est la loi impérative de l’élite au pouvoir. Et le mépris des élites à l’égard des masses obéissantes et assassinées est si visible qu’elles ne se donnent même pas la peine de les séduire par des promesses qui ne seront pas tenues : « Votez pour Macron, car c’est un ordre et on n’en parle plus. » Votez et vous serez libres. Sinon, vous êtes déplorables. Et c’est tout.
En Italie, la moitié de la population a voté pour les populistes de droite de la Lega, et l’autre moitié pour les populistes de gauche 5 étoiles, et ensemble ces partis ont réussi à créer le premier gouvernement populiste de l’histoire européenne.
Et maintenant en France. Et bien qu’en France, il n’y ait pratiquement aucun contact politique entre le populisme de droite du Front national et le populisme de gauche de Mélenchon, mais il est aujourd’hui uni dans la révolte héroïque des gilets jaunes. Les gilets jaunes sont déplorables, aussi bien à droite qu’à gauche (mais pas dans la gauche libérale, ni la droite libérale). Les populistes de droite sont terrifiés par les nouvelles politiques insensées de l’élite concernant l’immigration et la destruction des vestiges de l’identité française. Les populistes de gauche sont outrés par les politiques économiques désastreuses des libéraux, qui ne défendent que les intérêts des grandes entreprises : Macron est un protégé des Rothschild et cela montre de quel côté il est…
Les gilets jaunes se rebellent contre Macron comme contre l’élite libérale au pouvoir. Mais aujourd’hui, ce n’est déjà plus un mouvement de la droite ou de la gauche classique. Macron est de gauche en faveur de la migration, de la protection des minorités, de la légalisation de la dégénérescence et du soi-disant « marxisme culturel », mais de droite (droite libérale) sur le plan économique, défendant fermement les intérêts des grandes entreprises et de la bureaucratie européenne. C’est un pur mondialiste, qui ne dédaigne pas une déclaration directe de son appartenance à la Franc-maçonnerie (son fameux signe de la main, représentant un triangle), même avec des slogans directs sataniques : « Faites ce que vous voulez, votez pour Macron. » La révolte des gilets jaunes est précisément contre cette combinaison de droite libérale et de gauche libérale.
Si Mélenchon et Marine Le Pen ne peuvent être unis politiquement, l’un trop à gauche et l’autre trop à droite, alors les gilets jaunes le feront à la place des dirigeants politiques qui cherchent à diriger un mouvement populiste. Les gilets jaunes ne sont pas seulement contre la politique économique ou l’immigration – ils sont contre Macron en tant que symbole de tout le système, contre la mondialisation, contre le totalitarisme libéral, contre « l’état actuel des choses ». Le mouvement des gilets jaunes est une révolution populiste et populaire. Et le mot « peuple » (populus, le peuple) dans le concept de « populisme » doit être compris littéralement.
Ce ne sont pas des masses abstraites ou un prolétariat impersonnel – ce sont les derniers êtres vivants en date qui se sont soulevés contre la puissance mondiale de la progéniture mondialiste, les rebelles (comme le croit Lasch) de la culture et de la civilisation, mais aussi envers l’homme comme tel, les gens, Dieu.
Aujourd’hui, il n’y a plus de droite ni de gauche : seul, le peuple est contre l’élite. Les gilets jaunes créent une nouvelle histoire politique, une nouvelle idéologie. Macron n’est pas un nom personnel, c’est une étiquette de la Matrice. Pour atteindre la liberté, il a besoin d’être annihilé. Ainsi parlent les gilets jaunes, et ils disent la vérité …
Aleksandre Gelyevich Douguine est un philosophe, un analyste politique et un géostratège russe, et un auteur – plus connu internationalement pour son livre ‘The Fourth Political Theory’. Il entretient des liens étroits avec le Kremlin et l’armée russe, ayant été conseiller du président de la Douma d’État Gennadiy Seleznyov, et membre clé du parti au pouvoir, Russie unie Sergei Naryshkin. Il réside à Moscou, supervise le travail de Géopolitika et inspire le travail du mouvement eurasien.
Traduit du Russe (RT) par Geopolitika – édité par J. Flores for FRN.
On connaît le philosophe et homme d’influence Alexandre Douguine, qui défend en Russie la doctrine extrêmement russe de l’eurasisme (ou néo-eurasisme puisqu’un premier eurasisme fut développé dans les années 1920 par des exilés russes). Ses conceptions appréciées d’une façon générale s’appuient sur la Tradition et une sorte de nationalisme mystique ; bien entendu et évidemment, la critique libérale occidentale s’est trouvée mécaniquement conduite à le classer à l’extrême-droite selon les normes terroristes psychologiques et communicationnelles du bloc-BAO pour le faire entrer dans sa grille de “diabolisation” habituelle et rechercher sa destruction intellectuelle dans l’opprobre religieux de l’excommunication.
Sans nous attarder aux détails politiques, aux évolutions chronologiques, etc., qui effectivement réduisent le débat à des querelles stériles et effectivement se heurtent à cette dialectique-Système de la “diabolisation” enterrant justement tout débat selon l’argument religieux de l’anathème de l’excommunication, nous mettrions Douguine dans un courant nationaliste mystique russe de type métaphysique et métahistorique où figureraient aussi bien Dostoïevski que Soljenitsyne. D’une façon fondamentale et hors des scories de la “diabolisation” toujours elle, laquelle recherche à tout prix l’abaissement des jugements et de l’esprit par conséquent, ce courant sort de la seule sphère russe lorsqu’il développe ses perceptions métaphysiques et rejoint le grand courant de la Tradition évidemment antimoderniste où l’on trouve des penseurs tels que Guénon et Evola qui sont des références de Douguine.
A partir de cette présentation, on comprend que l’intérêt de ce texte de Douguine sur la révolte des Gilets-Jaunes (*), – texte venu de l’anglais de FortRuss.comà partir du russe sur RT, – tient d’abord en ce qu’il généralise et, en quelque sorte, “internationalise” selon la référence de la métahistoire la crise des Gilets-Jaunes en France. C’est à notre avis la voie impérative à suivre pour le jugement le plus fécond : bien loin de leurs revendications, faire sortir les Gilets-Jaunes du cadre français tout en conservant les composants français les plus hauts et les plus ouverts à une métahistoire générale, pour mieux rechercher et définir leur signification.
Travaillant comme on l’a décrit, on trouve l’évidence impérative d’un Douguine repoussant énergiquement et absolument la classification droite-gauche avec toutes ses besognes de “diabolisation” qui dépendent bien plus de la “com’” affectionnée par le Système que de la métaphysique, pour justement développer une appréciation métaphysique, ou plus précisément dans ce cas métahistorique selon notre référence méthodologique habituelle. Il en résulte que Douguine voit dans les Gilets-Jaunes un mouvement de révolte contre les élites, celles que nommons nous-mêmes élites-Système (ou “élitesSystème”, pour suivre notre habituelle méthodologie dialectique), qui n’ont évidemment pas de frontières, d’autant que l’une de leurs idées centrales en tant que globalistes forcenés et globalistes religieux-intégristes est la destruction des frontières comme de l’identité.
La traduction politique rejoint alors, bien évidemment, le courant populiste que l’on voit partout se lever, sous des formes extrêmement différentes selon les nations, les régions et les conceptions, mais toutes ces formes se rejoignant et se transmutant en un courant homogène d’une vaste contre-attaque contre les élitesSystème unies au sein du courant globaliste (néolibéral, communautariste, “mélangistes”, etc., et “diabolisateur” bien entendu). Le caractère psychologique de cette réaction des Gilets-Jaunes est la rage et la colère contre l’arrogance et le nihilisme entropique, avec une indéniable couleur satanique, des élitesSystème.
Avec les Gilets-Jaunes, et particulièrement selon Douguine, il est évidemment question du “peuple” puisque l’attaque vise les élitesSystème dont la première démarche est le mépris et la haine du peuple qui rechigne à entrer dans le moule entropique de leur destruction. Pour autant, il est incontestable que la référence va aussi à une élite dissidente, dont Douguine lui-même fait partie et dont on trouve de nombreux représentants en France (là aussi hors des clivages droite-gauche et de leur désaccord dans la politique courante) ; qui se manifeste de plus en plus dans ce pays avec des gens aussi différents que Todd, Sapir, Finkielkraut, Zemmour, Michéa, Onfray, Gaucher, Guillluy, Houellebecq, de Benoist, etc.
L’intérêt des Gilets-Jaunes est effectivement de forcer à des grands reclassements hors des clivages favorisés par les élitesSystème pour développer leur dialectique déstructurante pour l’adversaire de la “diabolisation”, pour développer une critique antimoderne radicale. Il s’agit, à la fois opérationnellement mais aussi conceptuellement au plus niveau de la métahistoire, d’une critique antiSystème s’alimentant notamment, directement ou indirectement et pour une partie non négligeable, au courant de la Tradition primordiale débarrassée de ses clivages politiques bien entendu mais aussi de ses clivages par rapport à la question de la religion.
La menace suprême de l’entropie et de la destruction du monde que portent les élitesSystème par le biais de la globalisation doit conduire à écarter les querelles d’opinion, de chapelles, etc., pour en venir à l’essentiel. Les Gilets-Jaunes constituent à cet égard une formidable opportunité autant qu’une forte pression d’un type nouveau et c’est de ce point de vue que l’analyse de Douguine est d’une réelle utilité. Il est bon qu’elle vienne d’un non-Français, d’un nationaliste mystique russe qu’on croirait lié sinon fermé à son seul choix russiste (néo-eurasien), et qui au contraire apprécie le problème d’un point de vue transnational, unitaire, transcendant les frontières sans les abolir, transcendant les différences identitaires sans affaiblir en aucune façon les identités mais en les renforçant au contraire. Il y a une diversité très marquées mais qui se rejoint en un tronc commun face à la menace entropie/destruction du monde que développent les élitesSystème recherchant au contraire leur propre mélange niveleur et entropique puisqu’elles sont comptables de l’équation du Système surpuissance-autodestruction du Système.
(A cette occasion, il faut définir les élitesSystème comme ersatz d’élites, élites absolument inverties, car inversion plus encore que négation du concept d’élites, des “élites” absolument, totalement usurpatrices et inverties selon une démarche qui s’inspire de la manière satanique, jusqu’à faire croire à sa véritable existence sous la forme d’une influence entropique dévastatrice. Il faut aussi avancer l’hypothèse que la sociologie qu’en fait Douguine est soit contestable, soit incomplète, soit trop imprécise à notre sens ; à côté des nouveaux-super-riches, ou “super nouveaux-riches”, qui n’ont pas appris à être riches d’une manière responsable, toute l’infanterie des élitesSystème qui fait sa force de frappe est ainsi définie par Douguine : « ...personnes de types marginaux [qui] ont commencé à pénétrer dans la “nouvelle élite”, les personnes non issues de groupes périphériques, mais appartenant à des groupes minoritaires – ethniques, culturels, religieux [souvent sectaires] et sexuels – [qui] sont devenues dominants parmi eux. » Nous aurons une approche différentes : même s’il y a une telle diversité, c’est essentiellement la “fonction” qui caractérise cette “infanterie des élitesSystème”, essentiellement venue de la communication, que ce soit de l’entertainment, du show-biz, de la fausse-littérature, de l’art subventionné par le Corporate Power [A.C.], du clergé postmoderne, des ONG, etc. ; créatures particulièrement brillantes-blingbling, connues, pipoles clinquants, vedettes des talk-shows TV, élevées dans l’affectivisme tenant lieu d’intellectualisme, d’une culture subvertie et d’apparence, réduite aux acquêts postmodernes... Une très récente pétition pour que “les GJ se remettent au travail” comprend comme “personnalités” : Cyrile Hanouna, Stephane Berg, Thierry Lhermitte, BHL, – saltimbanques ou bouffons, ou les deux à la fois.)
dedefensa.org
Note
(*) Nous proposerions effectivement une “majusculation” générale en Gilets-Jaunes, pour marquer l’importance fondamentale de ce mouvement, et éventuellement utiliser l’acronyme “GJ” lorsque la rapidité d’un texte l’autorise, ou pour la facilité d’un titre. (D’ailleurs et “pour rendre à César” comme à notre habitude, nous noterons que certains lecteurs venus au Forum ont commencé à utiliser l’acronyme et nous ont inspirés à cet égard.)
Douguine : insurrection en France
L’anatomie du populisme et le défi lancé aux élites
Les manifestations en France, symbolisées par des gilets jaunes, couvrent une partie de plus en plus importante de la société. Les experts politiques ont déjà qualifié ce mouvement de “nouvelle révolution”. L’ampleur du mouvement des gilets jaunes est d’ores et déjà telle qu’il est absolument nécessaire d’analyser ce phénomène de manière détaillée.
Nous avons affaire à une manifestation vivante du populisme européen moderne. La marque principale du populisme en tant que phénomène issu de la structure politique des sociétés formées à la suite de la Grande Révolution Française et basées sur l’antagonisme entre droite et gauche, est qu’il modifie radicalement cet antagonisme.
Les mouvements populistes rejettent ce schéma classique gauche / droite et ne suivent aucune attitude idéologique stricte, ni de droite ni de gauche . C’est la force et le succès du populisme: il ne joue pas selon les règles préétablies. Pour autant, le populisme a sa propre logique: malgré toute sa spontanéité, il est tout à fait possible de tracer une certaine logique et même les prémices d’une idéologie populiste qui se dessine sous nos yeux.
Tout d’abord, le fait que les mouvements populistes soient dirigés contre l’ensemble de l’élite politique, sans distinction, qu’elle soit de droite ou de gauche, est frappant. C’est le “soulèvement de la périphérie de la société contre son centre”. Dans son célèbre ouvrage, le sociologue américain Christopher Lasch(1932-1994) a qualifié la forme de gouvernement qui prévaut dans la société occidentale moderne de “Révolte des élites”.
Au début du XXe siècle, il était d’usage de suivre le discours de José Ortega y Gasset sur la “révolte des masses”, dont l’influence croissante sur la politique menaçait, semble-t-il, de détruire la culture occidentale – le Logos Européen. Mais Christopher Lasch a noté une nouvelle tendance politique : ce sont les élites qui détruisent la culture et le Logos Européen aujourd’hui. Ces nouvelles élites occidentales, qui n’ont atteint le sommet du pouvoir que par leur ressources et leur immense “volonté de puissance”, sont bien pires et plus destructrices que les masses.
Une personne ordinaire conserve encore certaines traditions culturelles; il est presque impossible de trouver un “prolétaire pur”. Mais les élites capitalistes modernes, qui n’ont pas d’aristocratisme, sont avides de pouvoir, de position et de confort. Dans le même temps, de plus en plus de personnes de types marginaux ont commencé à pénétrer dans la “nouvelle élite”, les personnes non issues de groupes périphériques, mais appartenant à des groupes minoritaires – ethniques, culturels, religieux (souvent sectaires) et sexuels – sont devenus dominants parmi eux. Selon Christopher Lasch, c’est cette cohue perverse qui constitue la base de l’élite mondialiste moderne, qui détruit les fondements de la civilisation.
En conséquence, le populisme – y compris celui des “gilets jaunes” – peut être considéré comme un soulèvement de représailles du peuple contre les élites, qui ont complètement perdu leur lien avec la société. Les élites ont construit leur propre monde dans lequel règnent le double discours de convention, des normes du politiquement correct et de la démagogie libérale.
Selon ces “nouvelles élites”, le peuple et la société, dans leur état actuel, n’ont pas leur place dans ce monde. Par exemple, cette représentante typique de la “nouvelle élite”, Hillary Clinton, furieuse du succès du populiste de droite Trump, a ouvertement insulté les Américains ordinaires – comme déplorables, ce qui veut dire “néfastes” et “inexistants”. Les “Déplorables” ont choisi Trump – non pas parce qu’ils l’aimaient, mais pour répondre à la “sorcière globaliste” Clinton.
Macron est un représentant du même type des “nouvelles élites”. Il est curieux qu’à la veille des élections, le journal français Libération ait publié le titre « Faites ce que vous voulez, mais votez Macron ». Cela est une paraphrase évidente d’Aleister Crowley, qui s’est proclamé au XXe siècle l’Antéchrist et la Bête 666: « Fais ce que tu voudras sera la totalité de la Loi ». En d’autres termes, les foules obéissantes devraient voter pour Macron non pas pour des raisons rationnelles, pas à cause de ses idées et de ses vertus, mais simplement parce qu’il s’agit de la loi impérative de l’élite dirigeante. Le mépris des élites pour les masses obéissantes et asservies est si affichée que ces élites ne se donnent même plus la peine de les séduire avec des promesses irréalisables : « Votez pour Macron, c’est la consigne et ce n’est pas discutable. » Votez et alors vous êtes libre. Sinon vous êtes déplorables… C’est tout.
En Italie, les deux principaux groupes de la population ont voté pour les populistes de droite de La Ligue et pour les populistes de gauche du Mouvement des 5 Etoiles. Ensemble ces partis ont réussi à créer le premier gouvernement populiste de l’histoire européenne.
Et maintenant la France. Bien qu’en France, il n’existe pratiquement aucun contact politique entre le populisme de droite du Rassemblement National et le populisme de gauche de Mélenchon, aujourd’hui le populisme est réuni dans la révolte héroïque des “gilets jaunes”. Les gilets jaunes sont déplorables, à droite comme à gauche, au contraire de la droite libérale et de la gauche libérale qui sont admirables. Les populistes de droite sont terrifiés par la nouvelle politique insensée de l’élite en matière d’immigration et par la destruction des vestiges de l’identité française. Les populistes de gauche sont scandalisés par la politique économique désastreuse des libéraux, qui ne défendent que les intérêts des grandes entreprises. Macron est un protégé des Rothschild et cela montre de quel côté il est…
Les gilets jaunes se sont rebellés contre Macron et contre l’élite libérale au pouvoir. Mais aujourd’hui, ce n’est déjà plus un mouvement de droite ou de gauche classique. Macron est de gauche pour le soutien de la migration, la protection des minorités, la légalisation de la dégénérescence et le soi-disant “marxisme culturel”, mais il est de droite (droite libérale) en termes d’économie, défendant fermement les intérêts des grandes entreprises et de la bureaucratie européenne. Il est un pur globaliste, ne dédaignant pas une affirmation directe de son appartenance à la franc-maçonnerie (son fameux signe de la main représentant un triangle), même avec des slogans sataniques explicites : « Faites ce que vous voulez, votez pour Macron. » La révolte des gilets jaunes est précisément contre cette combinaison de droite libérale et de gauche libérale.
Si Mélenchon et Marine Le Pen ne peuvent pas être unis politiquement, étant l’un trop à gauche et l’autre trop à droite, les gilets jaunes le feront à la place de ces dirigeants politiques cherchant à diriger un mouvement populiste. Les gilets jaunes ne sont pas seulement contre la politique économique ou l’immigration – ils sont contre Macron en tant que symbole de l’ensemble du système, contre le globalisme, contre le totalitarisme libéral, contre “l’état actuel des choses”. Le mouvement des gilets jaunes est une révolution populiste et populaire. Et le mot “peuple” (populus, “le peuple”) doit être pris littéralement dans le concept de “populisme”.
Ce ne sont pas des masses abstraites ni un prolétariat impersonnel – ce sont les derniers peuples vivants qui se sont levés contre le pouvoir mondial de la progéniture globaliste, les rebelles de la culture et de la civilisation, comme le croit Laech, rebelles à propos de l’homme en tant que tel, des peuples. de Dieu. Aujourd’hui, il n’y a plus de droite ni de gauche : seul le peuple est contre l’élite. Les gilets jaunes créent une nouvelle histoire politique, une nouvelle idéologie. Le nom de Macron ne désigne pas une personne, c’est une étiquette de la matrice. Pour obtenir la liberté, il doit être annihilé. Ainsi les gilets jaunes se dressent-ils et disent-ils la vérité.
The term “post-truth”, which appeared for the first time in 1992, has known a considerable diffusion in the political commentary after two important political events of 2016: the EU referendum in the United Kingdom and the presidential election in the United States. For this reason , the Oxford Dictionaries have decided to elect it as “Word of the Year 2016”. They affirm that it is an adjective defined as “relating to or denoting circumstances in which objective facts are less influential in shaping public opinion than appeals to emotion and personal belief”. In the present article, I will compare two different visions (perhaps completely opposite) on the phenomenon of “post-truth”: the one of the liberal journalist Jonathan Freedland and the one of the Russian philosopher Alexander Dugin. In the end, I will try to make some conclusions.
The opinion of Jonathan Freedland
I found this article on “The Guardian” ‘s website[1] and I chose this source because I wanted to see how the phenomenon of post-truth was treated by a famous and widespread (maybe we could say “mainstream”) newspaper as “The Guardian” (just think that it defines itself as the “leading liberal voice in the world”) and in particular by a well-known journalist as Jonathan Freedland. At a general level, regarding the opinion expressed by the journalist in the article, it can be said that he expresses all the typical worries of the good liberal, progressive and positivist western intellectual. But now let’s analyze the reflection of Freedland in detail.
First of all, the British journalist says that «2016 has punched truth in the face, leaving it bruised and bleeding». For example, he says that: «As Aleppo endured its final agonies, the simple act of circulating any account – a video, a photograph, a news report – would trigger an unnerving response. Someone, somewhere would reply that the photograph was doctored, the source was a stooge, the rescued child was not really a child or not really rescued». According to his opinion «this is about more than assigning blame for this death or that bombing. This is about refusing to accept that the death or bombing occurred at all». It is interesting to see that he mentions the «defenders of Bashar al-Assad» and the «Russian and Iranian enablers» as one of the guilty of this kind of behavior. Citing a phrase of the US Senator Daniel Patrick Moynihan, Freedland says that «“You’re entitled to your own opinion, but you’re not entitled to your own facts”». However, he asserts that today this fundamental distinction between opinions and facts seems failed. In fact, «Now people regard facts as very much like opinions: you can discard the ones you don’t like».
Afterwards, Freedland analyzes the behavior of Donald Trump. He underlines that the US President, about matters of supreme importance and gravity as the role of the Russians in the hacking of democratic emails and the climate change, in the face of a vast body of evidence, always said: «“Nobody really knows”». Furthermore, Freedland remembers that Trump also said that if you deduct the millions of illegal votes he would have won the US popular vote: a flagrantly false claim for which there is no evidence whatsoever. Regarding these claims of Trump, the journalist says: «We’ve been calling this “post-truth politics” but I now worry that the phrase is far too gentle, suggesting society has simply reached some new phase in its development. It lets off the guilty too lightly. What Trump is doing is not “engaging in post-truth politics”. He’s lying». In the end, he is convinced that «Trump and those like him not only lie: they imply that the truth doesn’t matter». Afterward, Freedland lists the causes of this situation: the use of technology («Social media allows fact deniers to spread their anti-history fast and wide»), the distrust in elites («People are no longer prepared to take their leaders’ word on trust») and the trend towards «deeper and more bitter partisanship» (affirming amazed that «once people have aligned themselves with a tribe, studies show their first instinct will be to believe what favours their side and disbelieve what favours their opponent»). The journalist affirms that this tendency to not give importance to the truth «is making our public sphere a dizzying place» and asserts that «Without a common, agreed set of facts, we can hardly have any kind of public conversation at all». Citing the writer David Roberts, Freedland says that today «“There are no more referees. There are only players”»; in fact, «When actual judges enter the picture […] one side rushes to discredit them, branding them as biased, ideological partisans» (in other terms as «enemies of the people»). At the end, Freedland concludes that «we cannot live in such a world. Evidence, facts and reason are the building blocks of civilization. Without them we plunge into darkness».
Alexander Dugin’s reflection
Personally, I think that the reflection of Freedland about the phenomenon of the post-truth is rather superficial and insufficient. I find more interesting the analysis of the Russian philosopher Alexander Dugin, who gave an interview to the journalist Gabriel Gatehouse of the BBC almost a year ago, exactly on these issues (Alexander Dugin: “We have our special Russian truth”- BBS Newsnight)[2]. The philosopher starts by saying that «any truth is relative so we have our special Russian truth that you need to accept as something that maybe is not your truth». He explains that it «doesn’t means that truth doesn’t exist, but it means that absolute truth, one for all, doesn’t exist». Afterwards, Gatehouse asks Dugin a personal question: «when you watch the news on Russian television, do you believe in what you see?». Dugin replies: «absolutely». «But you are an intelligent man!» affirms arrogantly the journalist and immediately Dugin argues that post-modernism and sociology teach us that «real facts are the ones the society believes in», therefore «every so-called truth is a matter of believing. So we believe in what we do, we believe in what we say and that is the only way to define the truth». Dugin clarifies «that is not only our position»; in fact, «when I see western media I ask myself how people could lie in such a way […] but after I say to myself: “stop, it is not lying, it is their truth”». Then he goes on affirming that «facts are always interpretation» and «you see because you interpret». At this point, Gatehouse stop Dugin saying: «but if somebody flys on an airplane and drops a bomb on a building in Aleppo..», but Dugin replies immediately asking: «but whose airplane is it? what bomb is it? what is the area the bomb is falling on? After answering these questions our interpretation begins. It’s a war and it’s very difficult to go there and to see what’s happening». «For you any bomb falling is Russian», continues Dugin, «any person killed by Russian bomb is an innocent civilian […] because you are a real normal western man, western journalist, western reporter and you presume that Russians are evils. This is yourtruth». According to Dugin, now we live in a «multipolar world», which is composed by a plurality of equally strong powers. We must understand and accept that in such a world «nobody has the monopoly on the truth».
Conclusions
Unlike Dugin, for Freedland there is only one truth in the world, which cannot be questioned at all. The British journalist completely ignores the so-called autonomyof the political, such as the fact that politics is not based on rationality, but on irrationality. As we learn from the German jurist Carl Schmitt, politics means acting to defend or impose a particular type of collective existence, beyond what is morally right or wrong and what is objectively true or false. Freedland is very surprised by the actual trend towards a «deeper and more bitter partisanship», but this fact only means that what is happening in countries like his own it’s simply the return of politics in contexts from which it was almost gone. Politics divides people into different groups, which are aggregated around a particular “speech”, or a particular “narration”, or, as Dugin teaches us, around a particular “truth”. To Trump’s supporters (like those of any other political leader) doesn’t matter if what their leader says is true or false; they only identify themselves in him and in his political view. So politicians like Trump are neither “engaging in post-truth politics” nor lying, but they are only making politics. Furthermore, Freedland should understand that in politics there are indeed no referees, but only players. In fact, there are referees only when there is someone who commands on all the others and who has the monopoly of the truth.
As we still learn from Carl Schmitt, politics divides men into friends and enemies; this implies the fact that there is always the possibility that politics degenerates into a conflict. Schmitt affirms that the liberal philosophers were the ones who wanted to reduce politics into a simple platform of discussion. So when Freedland says that «Without a common, agreed set of facts, we can hardly have any kind of public conversation at all», he does nothing more than express a typically liberal concern. At the end, overturning his last sentence, we could say that “evidence, facts and reason are not the building blocks of civilization, but only those of his civilisation. Without them we don’t plunge into darkness”, but we just return to real politics. In other words, we can say that we are moving towards a “multipolar world”. The real challenge, as Dugin suggests us, is to be able to accept the other’s diversity and to respect his truth, without giving up our identity.
« Le fond de la destinée russe consiste à révéler au monde un Christ russe, inconnu à l’univers, et dont le principe est contenu dans notre orthodoxie. À mon avis, c’est là que se trouvent les éléments de la future puissance civilisatrice, de la résurrection par nous de l’Europe » lettre de Dostoïevski à Nikolaï Strakhov en 1869
Pour aller à l'essentiel, nous savons qu'Alexandre Douguine a mauvaise presse dans nos milieux mais l'Eurasisme ne se résume pas à Alexandre Douguine et Alexandre Douguine ne se résume pas à ses provocations. Nous connaissons les extraits cités comme des déclarations de foi par les détracteurs de Douguine et qui tournent dans nos milieux, c'est de bonne guerre, mais nous vous renvoyons à la lecture des passages dont il est question dans le contexte de leurs ouvrages et vous constaterez par vous-même qu'il ne s'agit pas de premier degré, la construction littéraire laisse peu de doutes... Nous comprenons que ces extraits de but en blanc peuvent heurter les sensibilités nationalistes et identitaires mais, fondamentalement, Alexandre Douguine n'est pas notre ennemi et ses essais sont autant d'éloges de la frontière ; des plus grandes frontières. C'est l'atlantisme qui est visé. Le conflit ukrainien et les positions d'Alexandre Douguine ont bien évidement joué un rôle majeur dans le rejet de l'eurasisme par les milieux nationalistes français ; nous pensons que pour entretenir un dialogue il est besoin d'interlocuteurs, fussent-ils des adversaires. Nous n'ignorons pas les vues impérialistes de la Russie qui n'est plus la Blanche et Sainte Russie des Tsars et des prophètes.
L'Eurasisme comme phare idéologique malgré les frasques de Douguine ; nous nous devons de le justifier, parce que nous pensons et persistons à penser malgré les mauvais temps ukrainiens et le brouillard néo-souverainiste que l'orientation eurasiste est l'expression idéologique la plus immédiate vers la « révolution conservatrice ».
Le paysage et le réseau eurasiste francophone se divisent en trois franges : le canal historique sous l'égide de l'orthodoxe Constantin Parvulesco et de son fils Stanislas 1er, Prince d'Araucanie (et du « Royaume littéraire » de Patagonie, Nouvelle France – pour comprendre cette filiation inattendue nous vous renvoyons à la lecture du roman de Jean Raspail : « Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie » ), fils et petit-fils de Jean Parvulesco, et dont Laurent James est proche ; les canaux éditoriaux et de diffusion de la nouvelle ex-droite via Alain de Benoist et Christian Bouchet ; et, le plus confidentiel « Eurasisme européen » initié par Maître Steuckers et dans lequel nous nous inscrivons prioritairement.
Le réseau et le mouvement eurasiste francophone sont inexistants en terme de militants, d'activités et d'actualités, l'eurasisme en France reste de la pure littérature de combat et appartient au monde des idées. Cependant, il est nécessaire de s'y intéresser si nous voulons, à terme, incarner une Troisième voie européenne et avoir un véritable dialogue avec les eurasistes russes, parce qu'il y a des filiations qui ne mentent pas. Il y aura des antagonismes idéologiques entre « eurasisme » et ce que vous appelez aujourd'hui « occidentalisme » mais la construction eurasiste reposent sur de nombreuses références occidentales, au sens classique de la révolution conservatrice dans laquelle eurasisme et occidentalisme se confondent, s'inscrivent et pourraient se rejoindre.
Nous vous laissons tout le loisir de vérifier l'existence de l'eurasisme et des différentes formes de sa révolution en lisant la littérature eurasiste la plus immédiate d'Alexandre Douguine à Robert Steuckers, de Jean Parvulesco à Jean Thiriart, de Laurent James à Guillaume Faye, de Eugène-Melchior de Vogüé à Henri de Grossouvre et qui vous donnera toutes les références et filiations, origines et sources nécessaires pour appréhender les orientations eurasistes.
Nous ne savons pas quelle part doit avoir l'eurasisme dans nos propres constructions mais nous savons que l'eurasisme a sa partition à jouer ; et quelle musique !
Cela dit, l'Eurasisme français n'existe pas au-delà d'une tempête dans la baie de Douarnenez, du troquet de Maître Steuckers dans la capitale de toutes les Russies en exil et de la cave ensoleillée de Laurent James, et ce n'est pas un réel problème pour nous parler entre militants d'une génération identitaire et européenne qui se cherche un empire.
Ce qui serait fondamentalement opportun de retenir au sujet de l'orientation eurasiste, c'est l'idée que la Tradition est un feu sacré qui, pour être préservé, pour ne pas s'éteindre, se déplace ; c'est l'histoire de Rome, c'est l'histoire des centres spirituels, c'est l'histoire de notre civilisation. Nous n'avons pas été dissous par l'Empire, nous nous sommes diffusés à travers l'Empire. « La chute de Rome » a été fantasmée, et l'Empire d'Orient a survécu, sauvegardant le meilleur de l'Occident pour lui rétribuer ; à tout barbare, civilisation. Quand commence et quand s'achève une civilisation ? Ou, comment passe-t-on du temple romain à l'église romane ?
Par les médiations du Ciel ; de la « civilisation des pierres levées » à la révolution de Février qui sonne le glas ; de la séparation cataclysmique au schisme parousial ; du recours shamanique aux forêts de Merlin à la mort de Raspoutine ; du centre ardent du catholicisme médiéval aux confins de l'Empire Avar ; au cœur du pagano-christianisme des celtes de Galilée aux battements des tambours de guerre des peuples hyperboréens ; de l'arrivée des Saints de Provence au retour des Cosaques ; de l'ombre d'Attila au pacte de Clovis ; de la furie gauloise aux cris de la Horde d'or ; Pour nous, la Gaule charnelle et notre sang sont toujours déjà présents sur les terres de nos ancêtres et notre salut aux anciens russes et vieux croyants est fraternel ; Par Toutatis !
L'Eurasisme et l'Européisme sont les veines de la Révolution conservatrice, les routes herculéennes vers l'Europe et la plus Grande Europe, vers le retour de la dernière Rome et de la nouvelle Gaule. Moscou est le cœur battant de la Troisième Rome, de la Rome éternelle, réanimée, le centre actuel d'un même combat civilisationnel, de la renaissance religieuse et spirituelle européenne de l’Église Catholique romaine et Orthodoxe grecque, cela peut nous contrarier, la Russie de Vladimir Poutine n'est peut-être pas parfaite, mais nous ne pouvons que l'admettre. Arthur sarmate !
Nous autres, eurasistes, cœurs sauvages de l'Empire, si nous nous proclamons gaulois plutôt que français nous sommes marqués au fer rouge des nationaux et des souverainistes. Pour les néo-païens, nous sommes d'horribles traditionalistes catholiques ; pour les cathos tradis, de terribles gnostiques. Ceux d'entre vous, communistes et libéraux, qui opposez la France à la république comme nous le faisons pour mille raisons excellemment justifiées par Laurent James à plusieurs reprises au sujet des deux France et qui nous reprochent nos ruades contre le chauvinisme ; le nationalisme de pure frime, interprétées comme haute trahison ou suspectées d'antiracisme, ce qui est un comble de mauvaise foi, quelle sera votre dernière patrie quand la terre aura brûlé ? Nous savons qui nous sommes ; nous chérissons notre race. Nous attendons que vous en possédiez une à défaut que le néant vous possède. Tout le monde sait que l'on se bat toujours pour ce que l'on n'a pas ; pour ce que l'on a perdu. Était-ce par distraction ? Alors, recherchez-la partout, priez Saint-Antoine de Padoue, mais ne nous demandez pas de retrouver ce que nous n'avons jamais égaré.
Le mot « eurasisme » n'est pas une fin ; par contre, il faudra bien, tôt ou tard, se rassembler sous une bannière.
De la nôtre, nous avons enlevé le rouge et y avons jeté le Feu. Notre bannière est noire et solaire. Telle est notre anarchie ; notre Droite.